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Haïti, l’amnésie d’une colonie française

Alzheimer / lundi 25 janvier 2010 par Louis Cabanes
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Le séisme haïtien a un triste mérite : soulever la question de la blessure coloniale française. L’ouvrage collectif "la fracture coloniale" paru en 2005, traitait déjà l’occultation de cette histoire voilée. Extraits.

La mémoire coloniale de la France a toujours été double : la légende « dorée » de l’épopée coloniale, de l’exotisme érigé en mythe populaire et souvent en vecteur publicitaire à connotation raciste à peine voilée, d’une part ; les drames de la décolonisation et de ses guerres longtemps non reconnues comme telles, avec leurs massacres, tortures et traumatismes pour les populations, colonisés comme colonisateurs contraints à un retour vers une métropole presque toujours devenue terre étrangère, d’autre part.[…]

Face à une France à l’apogée de sa gloire et de sa puissance, au moment où le premier Consul s’apprêtait à se faire empereur des français et à écraser l’Europe de sa force militaire pour lui imposer « la loi des Français », la proclamation d’une « République des nègres » sur une terre française depuis Louis XIV était un affront inouï.

Aux origines de la fracture coloniale

Deux siècles après la rupture irréversible entre Haïti et son ancienne métropole, la fracture n’est toujours pas resoudée et la mémoire française peine à faire place, dans son vaste patrimoine postcolonial, en Haïti. De multiples signes manifestent « cet oubli » du passé de colonie française de l’actuelle République haïtienne : bon nombre de français d’aujourd’hui ne confondent-ils pas Haïti avec la lointaine Tahiti ?

Et, plus étonnante encore, voire plus inquiétante, la déclaration en mars 2000 du président de la République française, en réponse à cette question d’un journaliste de la République dominicaine : « que pense faire la France, la France pays riche qui a eu [ici] une de ses colonies ? ». Jacques Chirac affirma tout simplement, et, semble il, sans déclencher les sarcasmes ou les commentaires désobligeants de la presse française, métropolitaine ou antillaise : «  Haïti n’a pas été, à proprement parler, une colonie française, mais nous avons depuis longtemps des relations amicales avec Haïti, dans la mesure où nous partageons l’usage de la même langue. Et la France a eu une coopération et a toujours une coopération importante avec Haïti et elle continuera à l’avoir. »

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Ainsi l’oubli d’Haïti, première indépendance noire, est solidement ancré dans l’inconscient national, le président de la République lui-même a spontanément formulé le credo français le plus commun : Haïti n’a pas été une colonie française ; et personne sur l’instant n’a relevé l’énormité du propos. Un tel « trou de mémoire » est assurément révélateur d’un malaise profond et ancien. La perte de Saint-Domingue par une défaite face à une insurrection d’esclaves transformée en guerre de libération était inacceptable, car elle transgressait un dogme jusqu’alors unanimement admis, celui de la supériorité des Blancs sur les autres peuples.[…]

Le mécanisme de l’oubli entra aussitôt en œuvre et fit très rapidement sortir la naissance d’Haïti de l’histoire coloniale française[…]

Une défaite niée…et des pères fondateurs occultés

Aujourd’hui, quel manuel d’histoire générale de la période napoléonienne évoque-t-il la bataille de Vertières (18 novembre 1803), la première grande défaite des troupes napoléoniennes ? Les manifestations commémoratives les plus récentes n’ont pas dérogé à cette pratique du silence, comme l’a confirmé la grande exposition du Musée de la Marine à Paris, de mars à Août 2004, Napoléon et la mer. Un rêve d’Empire, qui ne consacra pas une ligne, ni une image, à la guerre de Saint-Domingue et à la naissance d’Haïti, l’année même de leur bicentenaire[…]

Plus étonnant encore est l’absence d’Haïti dans la plupart des dictionnaires consacrés à la Révolution française parus à l’occasion du bicentenaire : le dictionnaire de la Révolution française de François Furet et Mona Ozouf ignore son existence, ce qui surprend peu puisque les colonies y sont occultées ; et il en est de même dans celui (pourtant très largement biographique) dirigé par Jean Tulard et dans celui de Claude Manceron […].

Si l’on considère maintenant la postérité de l’autre grand acteur de l’abolition de l’esclavage et de la naissance d’Haïti, Toussaint Louverture, le constat va dans le même sens, avec un degré d’occultation moindre[…] Si la figure de Toussaint Louverture est parfois évoquée, le plus souvent par un portrait, elle est rarement liée à une histoire de la Révolution de Saint-Domingue et moins encore la proclamation de l’indépendance de la colonie […].

Une lente et progressive mise à l’écart

Si Haïti est sorti de la mémoire coloniale française avec une rapidité étonnante, la trace des modalités de cette gestion se lit encore dans les archives de la gestion de la société postcoloniale et plus encore dans l’enracinement d’une pratique qui fera école : les colons rentrés en France après l’indépendance ont inauguré, à leur profit, un double système de ce que l’on pourrait appeler des « réparations ». […] La perte de Saint-Domingue a ainsi permis la mise en place de la première législation postcoloniale destinée à secourir puis à indemniser les « rapatriés ». Ce mécanisme servira de matrice pour les autres décolonisations tragiques que la France a connues au XX siècle – c’est sur ce modèle que sera notamment élaboré le processus d’indemnisation des « rapatriés d’Algérie », après 1962. Car si la mémoire de Saint-Domingue a été oubliée, celle des modes d’indemnisation a vite été retrouvée…

Une mémoire retrouvée ?

Si l’on s’en tient aux signes extérieurs que sont les « lieux de mémoire » visibles par tous dans le paysage urbain le plus quotidien, force est de constater que le vide reste la règle : nous sommes face à ce que l’on pourrait appeler le silence des lieux de mémoire.

En effet, nous constatons que Paris, ce réceptacle de la mémoire nationale, a généreusement donné des noms de rues et de places aux territoires qui ont formé le premier Empire colonial français. Ainsi la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, anciennes colonies devenues départements d’outre-mer, ont des rues à leur nom dans la capitale ; les Antilles et la Réunion ont des places. Mais aucun lieu de mémoire ne rappelle le souvenir d’Haïti, pas même son sous nom colonial de Saint-Domingue, et pas davantage à travers les acteurs de sa révolution, puisque les noms de Sonthonax ou de Toussaint Louverture n’ont jamais été gravés sur des plaques de rue ou sur des édifices publics parisiens.[…]

Si un jour Haïti réintègre la mémoire française, ce sera au prix d’un long travail où la recherche savante et la diffusion de son histoire dans les manuels scolaires, dans une vaste relecture nationale de l’histoire coloniale et de ses séquelles. En l’attente de ce travail de longue durée, s’agissant d’Haïti, le constat reste sévère : la fracture coloniale qui caractérise la mémoire française depuis la fin des processus d’indépendance des années 1960 a pris naissance avec la réaction de Paris face à la rupture unilatérale de 1804. Et elle demeure ouverte depuis maintenant deux siècles.

"La fracture coloniale", Pascal Blanchard Nicolas Bancel, aux Editions La Découverte, 11 euros 40. Extraits du chapitre de Marcel Dorigny.

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Forum

  • Haïti, l’amnésie d’une colonie française : La République française a encore fait 200 000 victimes
    le mardi 9 février 2010 à 16:47, Polycrate a dit :

    Ce n’est pas la France qu’en Haïti il convient de mettre en accusation… mais la République…

    L’Assemblée Constituante qui a laissé retirer leur citoyenneté aux "libres de couleur" (ce que la République réitérera en Guadeloupe en l’an X)

    Finalement, Toussaint Louverture qui se soulève au nom du Roi, Louis XVI puis Louis XVII !

    Voilà un pan de la réalité obscurci par "La désinformation et la perversion de l’histoire"… comme disait Fillon il y a quelques jours… Mais là, il parlait de la Shoah…

    Quant à la Shoah nègre, pas question d’en parler… Bien sûr, les esclaves DEVAIENT se révolter… Comme la Terre devait trembler et les cyclones dévaster…

    Sans les fautes et les crimes de la République, Saint-Domingue, la colonie la plus riche, la mieux administrée du monde, serait restée française, un Etat et des compétences s’y seraient maintenu et ce séisme aurait fait MILLE fois moins de victimes.

  • Haïti, l’amnésie d’une colonie française
    le mercredi 27 janvier 2010 à 11:40, Philippe Madelin a dit :
    Au moins un frère de l’ancêtre de ma grand-mère paternelle de Ste Marie a été tué pendant cette "révolution de St Domingue". L’entreprise de colonisation de peuplement a été forte. Après la victoire d’Haïti, c’est-à-dire l’indépendance, de nombreux colons sont rentrés en métropole et une minorité s’est exilée dans la partie orientale de Cuba, pour développer la culture de la canne à sucre, et plus tard du café
  • Haïti, l’amnésie d’une colonie française
    le mardi 26 janvier 2010 à 20:39
    France, l’amnésie d’une colonie romaine. Des sesterces, encore des sesterces, toujours des sesterces ! Comme on le dit à Jules César : l’argent patron !
  • Et la dette qui condanna Haiti pendant des années ?
    le lundi 25 janvier 2010 à 20:13, coucou46 a dit :

    Peut être faudra t-il un autre article. De 150 millions de francs, reduite à 90 millions.

    "Imposer une indemnité aux esclaves victorieux etait l equivalent de leur faire payer en argent ce qu ils avaient déjà payé avec leur sang" Victor Schoelcher.

  • Haïti, l’amnésie d’une colonie française
    le lundi 25 janvier 2010 à 16:53, kamenev a dit :
    Le comble du comble c’est qu’un jour de 2002, je rentre dans un atelier d’encadrement à Montréal et je trouve un homme avant moi entrain de commander l’encadrement d’un tableau présentant tous les hommes politiques d’Haïti. Je lance la conversation, le bonhomme est un politique que je reconnais et en jetant un œil sur la collection de héros quelle ne fût pas ma surprise, je me suis exclamé :"Il en manque un, le plus important, le premier… !?!?" L’homme était surpris et ne savait quoi répondre. C’est alors que j’ai lâché le nom : Toussaint Louverture ! L’homme était offusqué. L"oubli est de l’intérieur et de l"extérieur.
    • Haïti, l’amnésie d’une colonie française
      le vendredi 12 février 2010 à 18:55, Estelle & Jean-Paul Manuel a dit :

      Une fois de plus il faut préciser que Toussaint-Louverture n’est pas un héros haïtien parce que

      a) il est mort sans avoir connu et avoir souhaité la guerre d’indépendance, déclenché à cause du rétablissement de l’esclavage et du désarmement des officiers de couleur et non à cause de son arrestation ou de son décès (qui fit peu de vagues tant il avait su s’attirer l’hostilité de la majorité des noirs)

      b) lui et ses alliés les grands planteurs ne reprochaient à la France que le maintien du système de l’exclusif qui obligeait les planteurs (dont il était) à commercer avec la métropole. C’est la seule raison de la rédaction et la proclamation de la constitution autonomiste de 1801 qui étendait ses pouvoirs.

      c) c’est un officier supérieur français dont les brevets ont été donnés par la Convention Nationale (général de brigade, puis de division en 1795, confirmé par le Directoire en 1797), nommé Gouverneur général puis Commandant en chef de l’armée (française) de Saint-Domingue par les représentants de la France et qui a été honoré d’un sabre d’honneur par celle-ci (distinction qui sera remplacée par la légion d’honneur).

      Il a été arrêté, comme l’aurait été tout officier dans son cas, pour insubordination et réclamait d’être jugé par un tribunal militaire quand il a succombé au froid des cellules du Fort de Joux le 7 avril 1803.

      Pour appui de ce que j’avance, méditez cet extrait de sa proclamation du 4 novembre 1801 au Cap : "Quant au général Moïse, mon neveu, il subira sous peu de jours la peine que mérite sa rébellion, il a conspiré contre la France, sa patrie, et quiconque s’armera contre elle, serait-ce mon propre fils, périra du supplice des traîtres.". Son neveu fut jugé et exécuté le 20.

      d) c’est plus qu’un simple héros haïtien, c’est un héros pour toute l’humanité car, malgré ses défauts et son tropisme de planteur, il haïssait l’esclavage et il l’a combattu de toutes ses forces, avec succès et avec une intelligence supérieure.

      Il est celui qui a définitivement enterré l’idée de la supériorité de la race blanche en mettant à genoux l’Espagne (qui lui avait donné son premier brevet d’officier et ses premières troupes en espérant récupérer la colonie française chancelante) et l’Angleterre (un corps expéditionnaire également venu reprendre la colonie à la Révolution Française et aidé par les colons royalistes) humiliée par le premier traité de paix arraché par la force signé par un noir avec les représentants d’une puissance européenne (30 août 1798).

      Il a établi les bases d’une gestion multiraciale (longtemps avant Mandela) après les horreurs de l’insurrection des noirs en faisant revenir les colons émigrés et en travaillant avec eux pour transformer une économie dont le moteur avait été l’esclavage en une nouvelle société prospère mais où le travail était obligatoire et la mobilité nulle. Au fond c’était l’esclavage sans le fouet et avec une fiche de paye (pardonnez l’anachronisme) et c’est pour cela qu’il était haï par ceux-là même dont il voulait garantir, à sa manière, la liberté.

      Un héros, oui, mais un héros français d’envergure mondiale, mort en français, victime de l’ingratitude et l’obstination de Napoléon.

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