Carton mondial, succès critique enfoui sous une pluie d’Oscars et fort bon film, Slumdog millionnaire ressemble aussi à une mauvaise thérapie cinématographie de la crise…
Bien sûr il faut vraiment avoir l’esprit mal tourné. Mais en voyant le film à succès Slumdog Millionaire, tout s’éclaire. On se dit que si l’Amérique hollywoodienne traumatisée par le krach mondial l’a enseveli sous l’or des Oscars, ( 8 statuettes !), ce n’est pas anodin.
Car l’antidote à Bernard Madoff, l’escroc de génie, symbole des dérives de l’ultralibéralisme financier qui n’en finit pas de se péter la gueule, c’est ce chien galeux des bidonvilles !
Eh oui tente-t-on de se rassurer aux States, ce krach, c’est juste un mauvais moment à passer. Il suffit de couper les branches pourries et tout repoussera bien vite comme avant.
Pas seulement aux Etats-Unis, mais dans le potager du village global qui ne cesse de s’étendre. C’est ce que semble vouloir nous dire Dany Boyle, le réalisateur roastbeef un brin roublard.
Il a installé l’action de son film bien ficelé, séduisant et ambigu à souhait dans le décor de la plus grande démocratie du monde, l’Inde et son milliard et quelques d’habitants.
Mais on a l’impression que pour lui ç’aurait pu être ailleurs. Dans l’Angleterre post Blair, la France de Sarkozy, l’Italie de Berlusconi, l’Amérique bushienne ou pourquoi pas la Chine d’aujourd’hui. Partout, on trouve le même terreau propice à la future renaissance de l’ultra libéralisme.
La grand motif d’espérance, en effet, c’est que tout le monde a maintenant le même comportement, le même appétit. Pareil à celui des dirigeants de l’assureur américain AIG, ou aux membres du club de Laurence Parisot, accros aux parachutes dorés, au bonus et aux stock options. Dans ce conte, il y a bien sûr l’histoire d’amour entre Slumdog et Latika, la petite princesse des rues. Mais si on la retire, au fond, tout tourne en effet autour d’une obsession : dans Slumdog Millionaire, les individus ne pensent qu’au fric et à la meilleure façon d’en gagner, étalon de l’accomplissement personnel. Très vite et beaucoup.
D’ailleurs, Boyle qui s’y connaît depuis le succès de son film "Petits meurtres entre amis" liste trois façons de satisfaire son avidité. Soit par le crime, voie choisie par le frère de Slumdog qui se met au service d’un mafieux local, mais le réalisateur réprouve cette voie puisqu’il le fait mourir.
Soit en investissant l’appareil de pouvoir médiatique, comme le présentateur putassier du jeu télévisé. Boyle fait la morale à ce personnage cupide et caricatural, mais en fin de compte l’épargne, comme on dirait à un banquier d’attendre un meilleur moment avant d’exercer ses stocks option. Reste la dernière voie : en utilisant la télévision, cette étrange lucarne présentée comme l’ascenseur social ultime pour tous les laissés pour compte. Grâce à elle, le héros intouchable est propulsé au firmament de la société indienne. Et l’éducation dans tout ça ? Visiblement, c’est une valeur qui n’est plus très cotée.
Dans le film, il y a un moment crucial. Celui où pour répondre à la question décisive à 20 millions de roupies, le héros, par extraordinaire se retrouve en contact avec Latika devant des millions voire des centaines de millions de téléspectateurs. Et là on se dit que si l’amour est vraiment le sujet du film, tant pis si le Slumdog perd les pédales, tant pis si tellement ému, il se goure dans sa réponse et paume du coup tous les millions accumulés. Il aura gagné Latika.
Mais non, il faut que Slumdog ait tout. Il aura tout. Le fric, la belle fille, la gloire médiatique. Un peu à l’image du footballeur, figure qui incarne auprès des jeunes la réussite absolue et même temps que l’individualisme triomphant. Archi millionnaire grâce aux contrats publicitaires mondiaux qui le recouvrent, entouré de belles pépées et roulant dans des bolides hors de prix, le héros du foot a une dimension bien supérieure à celle du vainqueur d’un radio crochet ou d’un jeu télévisé dont la renommée dépasse très rarement les frontières de son pays.
En tout cas il est normal que le héros du film obtienne tout, c’est le genre du conte qui le veut indépendamment de toute idéologie. Sauf que le film de Boyle est un drôle de conte, une sorte de film-pute très séduisant qui donne au public consommateur tout ce qu’il vient chercher pour son argent mais pas plus. Un peu de rêve et d’exotisme, un peu de social avec un reportage dans les bidonvilles de Mumbaï pour faire pleurer les âmes généreuses, un peu de foi en le progrès en montrant que grâce au capitalisme une frange de la société vit effectivement mieux qu’après la guerre, un peu de célébration de l’échange des cultures avec ce final opportuniste à la Bollywood.
Mais en même temps cet élan généreux du film est contrebalancé par un point de vue européanocentriste. Au fond il faut bien se rassurer et rassurer le public occidental blanc. Si ces gens commencent à nous ressembler dans leurs comportements de consommateurs, ils restent quand même des sauvages très cruels capables de pratiquer la gégène sur quelqu’un qui va gagner des millions. On sent cet autre message subliminal : si l’Inde ex-colonie anglaise devient une puissance considérable qui va bientôt dépasser l’Europe, il faudrait quand même qu’elle balaie un peu chez elle. C’est d’ailleurs le gros hic de ce produit cinématographique, ode émerveillée à la mondialisation. Il se trouve qu’en Inde la vision caricaturale du pays, de ses gentils et de ses méchants n’a pas du tout plu, même si le film est inspiré d’un roman indien. Même Salman Rushdie, l’auteur des Versets sataniques y est allé de sa dénonciation en jugeant l’histoire peu crédible.
Et puis il y a aussi un autre aspect désespérant. On paie presque 10 euros le ticket et on se retrouve assis dans un fauteuil de cinéma Pathé à regarder TF1. Ou quelque chose qui vous rappelle TF1. Cette petite musique familière et dramatique de “Qui veut gagner des millions“, le décor sombre, la mise en forme des questions, exactement tous les détails en fait. Sauf qu’on ne reconnaît pas notre Jean-Pierre Foucault national et sa malice de marseillais d’adoption. C’est un clone indien fait qui l’animateur. Dérangeant. On croyait posséder grâce à la chaîne de Bouygues un divertissement culturel de création française, mais on déchante. Notre Jean-Pierre Foucault n’est qu’un avatar, un pion régional d’un grand jeu mondialisé qui déverse ses tonnes de fric sur le meilleur. Un produit tellement parfait, tellement standardisé qu’il n’y aucune adaptation à réaliser même pour des téléspectateurs de l’autre bout du monde. C’est cet outil qui formate son public.
Reste qu’entre le début et la fin du film, on a forcément dû opérer quelques ajustements intérieurs et régler son jugement selon les nouveaux critères idéologiques généraux en vigueur. Lorsque le générique défile, on est finalement heureux pour Slumdog. Voilà un jeune homme de 18 ans, qui n’a pas besoin d’attendre 50 ans pour savoir s’il a réussi sa vie. Avec le pognon amassé, le chien des bidonvilles de Mumbai va pouvoir suivre le précepte d’un publicitaire hexagonal et s’acheter, comme l’actuel président français une Rolex. Ce qui s’appelle se mettre à l’heure de la vraie réussite.
A lire ou relie sur Bakchich.info
"De deux choses l’une : ou bien Jacques Séguéla est un con, et ça m’étonnerait quand même un peu, ou bien Jacques Séguéla n’est pas un con, et ça m’étonnerait quand même beaucoup !" Pierre Desproges, le 25 octobre 1982, Tribunal des Flagrants Délires.
Tout (…)
Le film est basé sur un roman de Vikas Swarup ‘Les Fabuleuses Aventures d’un Indien malchanceux qui devint milliardaire’ ( le nom en version française). Danny Boyle n’est pas l’auteur de l’histoire. Merci
NGS