Il est des modes dont on ne sait qui les inspire. Dans le foot-business, le sujet tendance, c’est le « Salary Cap » ou plafonnement salarial. Décryptage.
Le « salary cap » semble être la première solution de bon sens lorsque l’on souhaite répondre à ces interrogations : comment rétablir un peu d’incertitude sportive dans un championnat atone, comment susciter un intérêt accru de la part des spectateurs au sens large, comment permettre aux clubs-employeurs de maîtriser leurs coûts d’exploitation dont la masse salariale est la ligne principale. En France, c’est une fausse bonne idée ; pour plusieurs raisons .
Observons d’abord ces quelques contradictions : le concept de plafonnement devient d’actualité dans ce pays alors que le championnat de L1 n’a jamais été aussi indécis depuis 5 ans au moins. Premier sujet d’étonnement. Ensuite, on s’interroge sur l’opportunité d’instaurer un « Salary Cap » alors que les ressources des clubs n’ont jamais été aussi élevées (droits TV obligent !) et que leurs comptes sont, si l’on en croit le président Thiriez, en très nette amélioration. Surtout si on les compare à ce qu’ils étaient il y a 5 ou 6 ans lorsque les pertes étaient abyssales et les transferts créatifs (Ronaldhino, Carew…) à leur apogée. Seconde surprise.
Dernière aberration, les difficultés juridiques rencontrées par Orange pour distribuer de manière exclusive dans son offre « Triple Play » les images acquises auprès de cette même Ligue ont motivé un petit commentaire un brin alarmiste de la part du même Thiriez quant à la future solvabilité des clubs. C’est de bonne guerre : sans la manne d’Orange, les trois-quart des clubs de L1 seraient dans le rouge et la moitié en dépôt de bilan a-t-il concédé. Cyclothymique, notre moustachu du ballon rond passe d’un triomphalisme indécent au pessimisme cafardeux en un éclair ; après tout, foutre les miches aux cochons de payants ne fait-il pas partie de son boulot ?
Last but not least, le « salary cap » ne peut avoir un effet véritable que lorsque les participants au système font preuve d’une totale adhésion à son principe et d’une stricte discipline dans son application. Or, le foot-business à la française, sans parler de ceux d’Europe de l’Est et d’Asie, moins réglementés et encadrés au papier mâché, se caractérise d’abord par une « culture de la transgression » que dissimule mal une DNCG invoquée à tout bout de champs comme le juge de paix omniscient : Que dire des violations récurrentes du code du travail au nom de « l’exception sportive » (les amendes qui tombent aussi drues que des giboulées de printemps par exemple…), du contournement de la loi relative aux modalités de rémunération des agents, ou encore des applications « sinueuses » de ses propres règlements. En particulier lorsqu’il s’agit d’homologuer des transferts qui sentent le souffre à des kilomètres…
Il est assez cocasse que les clubs français qui justifient le contournement systématique de la loi par souci d’économie, avec la complicité d’agents de joueurs qui omettent de communiquer leurs mandats à la Fédération Française de Football comme il leur en est pourtant fait obligation (si les joueurs payaient les agents comme le prévoit la loi, la rémunération de ces derniers passeraient dans le salaire du joueur et serait donc mécaniquement soumise aux charges sociales « confiscatoires » prétendent-ils) soient aujourd’hui tentés d’instaurer un plafonnement salarial ! Payer les agents en lieu et place des joueurs ne garantit donc pas la maîtrise des rémunérations de ces derniers ? CQFD. Alors pourquoi continuer ? Simplement parce qu’ils veulent fromage ET dessert ? Ou parce que l’intérêt de la manœuvre est ailleurs ; du côté des caisses noires enfouies dans le sable blanc de paradis fiscaux exotiques ? Magots qui, précisément, s’avèreraient bien utiles pour s’accommoder d’un quelconque plafonnement des salaires officiels. Passons…
Si un « salary cap » » était institué, tout laisse donc penser qu’il serait de toute façon contourné par les équipes les plus riches qui se lanceraient dans une vaste politique de rémunération occulte de leurs meilleurs éléments (hors charges sociales, hors salary-cap, hors impôt sur le revenu des joueurs concernés : « neto de chez neto », comme avait coutume de le dire un célèbre agent de joueurs dont l’italien n’est pas la langue maternelle …).
Les principales réserves au plafonnement salarial sont de 3 ordres :
• Sur la forme du salary cap : faut-il réduire le salaire unitaire, la masse salariale globale du club, composer un « medley » ? L’unanimité sur le type de plafonnement salarial pouvant être imaginé serait très difficile à faire. Une mesure de plafonnement de la masse salariale n’a de sens que si elle garantit une certaine harmonisation du spectacle vers « le haut » ! Une uniformisation vers le bas serait évidemment contre-productive. A notre sens, la seule manière de procéder, serait d’instaurer un plafond au coût salarial d’obtention d’un point en championnat, et/ou d’un tour éliminatoire en Champion’s League (Lire en bas de page l’encadré sur le modèle de calcul). C’est une mesure facile à mettre en œuvre qui rend aisée les comparaisons internationales, charges sociales comprises. De plus, c’est un excellent indice de productivité de la main-d’œuvre des entreprises de spectacle que sont les clubs sportifs.
• Sur son domaine d’application : à quoi bon instaurer un salary-cap au plan national si, au sein de l’UEFA, les autres membres ne l’appliquent pas ou l’appliquent de manière plus « avantageuse » et qu’on retrouve toujours les mêmes dans le dernier carré de la Champion’s League ?…
• A cause de sérieux doutes sur la volonté « politique » des institutions sportives de l’appliquer : pourquoi l’UEFA qui prétend de manière démagogique vouloir rétablir les chances des clubs moins riches (ou moins endettés selon elle) n’a-t-elle pas depuis longtemps instauré un salary cap, par le truchement de la licence UEFA ? Un formidable outil dont elle ne fait aucun usage. Rien ne s’y opposait et cela aurait pu être mis en œuvre très rapidement : C’eut été un jeu d’enfant de vérifier que les joueurs inscrits sur la feuille de match de chaque tour de la Champion’s League ne représentaient pas, par exemple, une masse salariale totale supérieure à un montant donné. Montant qui pourrait d’ailleurs être augmenté au fur et à mesure que l’on avance dans la compétition : par exemple, au premier tour une masse salariale mensuelle de la feuille de match limitée à 1,5 million au premier tour, 2 millions au deuxième tour, et ainsi de suite…Bref, ne faites ni ce que je dis, ni ce que je fais.
Remplir les nouveaux stades dont on ne cesse de nous rabâcher qu’ils sont indispensables pour accueillir l’Euro qu’on n’a pas encore décroché, de spectateurs venus voir jouer des mecs aux dribbles tristes pour cause de salary cap, semble très hypothétique. Si limiter la rémunération des artistes améliorait la qualité du spectacle, fut-il sportif, ça se saurait. Que le foot-business commence par se conformer à la loi, à ses propres règlements, et adopte des modes de gestion rationnels et transparents. Le reste suivra certainement.
A la fin de la saison, on calculerait pour chaque club, le « coût salarial d’obtention d’un point en championnat ». Par exemple, l’équipe qui finit avec 60 points et qui a engagé une masse salariale totale de 30 millions d’euros, à engagé 500 000 euros pour obtenir un point. On calcule ensuite le coût moyen pour toute la L1 en additionnant les coûts des 17 clubs non relégués en fin de saison, divisé par 17, ce qui donnerait le coût salarial moyen d’obtention d’un point en championnat, qui deviendrait le « salary cap » de la saison suivante…En cas de dépassement, les clubs seraient soumis à une pénalité à reverser à un fonds de péréquation entre tous les clubs qui se sont conformés à l’objectif au cours de la saison… Simple et qui peut rapporter gros..
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