Si même les entreprises d’assurances s’inquiétent du dérèglements climatiques…
Rien ne fera jamais plus peur à une transnationale que de perdre de l’argent. Dès le Sommet de la terre de Rio, en 1992, les plus grandes compagnies d’assurance et de réassurance – Swiss Re, Munich Re, Gerling, Skandia, Storebrand – lançaient leurs premières alertes.
Au vu des chiffres, il était limpide que le dérèglement climatique allait coûter fort cher. Regarder aujourd’hui les courbes des sinistres liés aux catastrophes « naturelles » permet de tout comprendre d’un seul coup d’oeil. Au tournant des années 80, les pertes économiques dues à des typhons, à des sécheresses ou à des tsunamis explosent, passant d’environ 200 milliards de dollars en 1989 à 700 en 2002. Tête des assureurs. En 2002 toujours, le puissant président de l’Association américaine des compagnies de réassurance, Franklin W. Nutter, déclare sans trembler : « L’industrie de l’assurance est la première menacée (…). Il est clair que le réchauffement de la planète pourrait mettre l’industrie en faillite. » C’est assez facile à comprendre. Assurer, c’est prévoir. Assurer a toujours été une balance entre des gains certains et des risques potentiels estimables. Tel n’est plus le cas avec la crise du climat, qui rebat toutes les cartes du grand jeu industriel. La célèbre compagnie britannique Lloyd’s vient de publier, le 12 juillet, une étude menée avec une maison réputée dans la prospective, Chatham House. Il s’agit d’un appel à « décarboner » de toute urgence l’économie mondiale.
Décarboner ? Ce néologisme restera, car il désigne l’action volontaire de moins gaspiller le carbone. Que dit le rapport ? Que c’en est fini. Que l’époque où l’humanité pouvait puiser sans réfléchir dans des sources d’énergie bourrées de carbone – pétrole, gaz, charbon – est derrière nous. Car tout ce carbone se transforme tôt ou tard en gaz à effet de serre, qui aggrave le réchauffement. Donc, un mur. Pour bien comprendre sa dimension, garder en tête ce chiffre inouï : il faudra trouver, d’ici à 2030, 26 000 milliards de dollars pour satisfaire les besoins d’énergie des humains, selon Nobuo Tanaka, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie. Une somme proprement inimaginable qui n’est encore à peu près rien. Car, dit la Lloyd’s, il faudrait dans le même temps opérer une « révolution énergétique » sans précédent qui nous libérerait au moins un peu de notre tragique addiction au pétrole. Bref, ça craint. Et les assureurs sont du même avis que les écologistes. Bref, au risque de se répéter, ça craint.
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