La pression sur les salariés des banques n’a jamais été aussi forte. Les conseillers doivent vendre une kyrielle de produits financiers, sans égards pour le budget des clients. Édifiant.
Au départ, un léger malentendu. Vous venez voir votre conseiller financier, en toute confiance, afin d’obtenir l’avis de cet inestimable expert pour gérer vos économies. Sans se douter qu’il s’est mué en OS de la vente qui applique mécaniquement les objectifs assignés. Et peu importe la situation personnelle et financière des clients. « J’ai vu des gens à découvert à qui l’on proposait d’office des produits d’épargne », raconte Joseph Thouvenel, secrétaire général adjoint de la CFTC et ancien cadre d’une grande banque.
Dans le contexte hyperconcurrentiel du secteur bancaire, le marketing se doit d’être plus qu’imaginatif. Il faut vendre, à la chaîne, des produits d’épargne ou des crédits à la consommation qui répondent aux doux noms de « Teoz », de « Bénéfic », et des actions Natixis, produit de la fusion entre les Caisses d’épargne, au cours erratique ces dernières années. Les consignes imposées aux conseillers sont explicites. Selon des documents internes de la Caisse d’épargne consultés par Bakchich, certains procédés ressemblent à s’y méprendre à de la vente forcée. « Comme vous le savez, nous sommes en action sur les crédits conso et cartes Teoz, explique un manager à son équipe. Je vous en rappelle les objectifs : deux Teoz par collaborateur et par semaine et un CA minimal de 19 000 euros en conso par agent. Dès aujourd’hui, nous devons exploiter les cibles (sic), favoriser les occasions de vente et imposer le couplage immo-crédit. » Autrement dit, vous venez pour un emprunt et vous repartez avec une myriade de cartes et de crédits dont vous ne soupçonniez même pas l’existence.
Pour motiver ses troupes, le management passe son temps à tenter de les galvaniser, comme à l’armée. À la Société générale, on booste le personnel par mail : « C’est un rush dans lequel la compétition entre les agences va être âpre. Les points de vente les plus performants vont pouvoir se mettre en valeur, avec des récompenses à la clé. À nous de faire monter l’aiguille du voltmètre ! » écrit le directeur commercial d’une agence francilienne, en terminant par un élégant « Bonne chasse à tous ».
Et si les conseillers renâclent à la tâche, pointe déjà la menace de sanctions. « Bravo à Jean-Philippe qui a très nettement dépassé son objectif ; en revanche, Jean-Luc et Pascal ne sont pas du tout dans le rythme. Vous pénalisez l’ensemble de l’équipe. »
Quand les chiffres ne décollent pas, le directeur commercial se fend d’une alerte à ses équipes : « J’en appelle à une réaction rapide par solidarité avec vos collègues qui tiennent la cadence. La journée va être déterminante. » Pour être sûr de bien se faire comprendre, le manager n’hésite pas à en remettre une couche quelques jours plus tard : « Vu les récompenses que j’ai mises sur la table, le jeu en vaut la chandelle. Donc pas d’état d’âme : pied au plancher ! »
À ce rythme, pas étonnant que les chasseurs craquent (voir plus bas : « Le blues des conseillers financiers »). « On nous fait vendre n’importe quoi », résume plein d’amertume un conseiller de l’agence francilienne Société générale.
« La banque leur fait passer des phrases toutes faites pour répondre aux légitimes interrogations des clients », explique Serge Maître, président de l’Association française des usagers des banques. Selon une note de la Société générale, face à des clients redoutant les aléas de la Bourse, il suffit de rétorquer : « Ca fait des années que ça grimpe, ça va continuer » ou « c’est au plus bas, cela ne peut que remonter ».
Autre technique : préparer les vendeurs à trouver la parade devant des incohérences manifestes. Notamment lorsqu’il faut expliquer à une proie que « pour investir en Bourse, il ne faut pas avoir besoin de l’argent à une date fixe », en même temps qu’on lui refourgue un fonds commun de placement dont « la durée est fixe et connue à l’avance ». « Si la Bourse est au plus bas, qu’est-ce qu’on va leur dire ? » s’interroge un conseiller par mail. Réponse : « Ce n’est pas grave, on va leur en remettre pour six ans. Comme ça, on les fidélise et on finit l’objectif », tranche le manager. Pour les problèmes de conscience, il faudra repasser.
ces dérapages de vente existent dans toutes les grandes banques, privées comme mutualistes. plus surprenant, la poste, en quête de modernité, a quasiment été pion- nière sur ce terrain douteux. Bak- chich s’est procuré un rapport non public de la direction des enquêtes de l’autorité des marchés financiers (amF). le gendarme de la Bourse s’est intéressé de près à l’affaire et révèle la teneur des argumentaires donnés aux conseillers de la poste : « Harponner (sic) sur le taux sans évoquer la Bourse ni la condition d’obtention de la promesse. » si le client panique, il suffit de lui rap- peler que « l’euro est un gage de plus grande stabilité économique. La Poste propose d’une manière générale des placements de bon père de famille. » dans des corres- pondances internes de la direction, il est précisé que « les animateurs centrent leur action sur les training de vente afin de lever les éventuels freins des vendeurs liés aux har- pons, car Bénéfic préfigure le type de produits que La Poste commer- cialisera dans l’avenir ». en clair, il s’agit d’obtenir une totale docilité des vendeurs – en interne, on ne s’embarrasse pas d’euphémismes – pour les préparer à vendre toujours plus. vous reprendrez bien un petit crédit ?
De « challenge » en « prime au rendement », les salariés des banques n’ont pas le moral. Nombre d’entre eux ont le sentiment de perdre leur âme en travaillant dans des conditions de plus en plus éprouvantes. « La pression des objectifs est devenue insupportable. On leur dit : vous avez trois mois pour placer tant de produits, et de chacun dépend l’obtention d’une prime », raconte Joseph Thouvenel, syndicaliste CFTC.
La dernière enquête Samotrace réalisée par 120 médecins sur la santé mentale de 6 000 salariés montre que le personnel des banques est l’un des plus touchés par les « symptômes dépressifs et anxieux ». Selon une autre étude menée en février par un cabinet pour la Société générale, 36 % des salariés des banques seraient « stressés » et près de 13 % en situation d’« hyperstress ».
Face à ce problème, certains établissements ont mis en place des formations pour les managers censés prévenir les situations difficiles. Des dispositifs jugés insuffisants par la plupart des syndicats. « Pendant deux jours on va leur expliquer la conduite à tenir, leur dire ce qu’il faut éviter, et dès qu’ils reviennent avec la nécessité de tenir les objectifs, tout cela est vite oublié », affirme Thierry Pierret, délégué national CFDT à la Société générale. « On a distribué aux salariés une plaquette pour gérer leur stress. On leur explique qu’il est très important de bien respirer. » Voilà qui ne manque pas de souffle.
A lire sur Bakchich.info :
Nombre d’entre eux ont le sentiment de perdre leur âme en travaillant dans des conditions de plus en plus éprouvantes.
Naïveté excessive ? Les salariés croient-ils que les profits de leur société sont reversés à la Croix Rouge ?
Mais le principe même de ce métier est de vendre son âme (avec le portefeuille de ses clients) !!
L’encadré sur la Poste en dit long sur le fondement même de ce métier (avec le zêle qu’on connaît des anciennes enseignes publiques, ou même de l’Etat, dans la finance).
Le nouveau management c’est la responsabilité individuelle dans le collectif. Chacun est tenu par les objectifs de l’autre et aucun des deux ne peut se défausser à cause de la responsabilité en chaîne. Un peu si tu veux, par comparaison, on peut parler de système pyramidal mais dans la banque c’est un terme tabou, pourtant la justice devrait s’y intéresser c’est le minimum, sans compter effectivement la pression et l’incidence sur les conditions de travail.
Ecoute moi je suis à l’Ecureuil. Il y a 15 ans j’étais à la dèche et je sautais 4 repas sur 5. Mon conseiller m’accueillait physiquement et au téléphone avec tout le mépris que tu peux imaginer. Un jour j’en ai eu marre et j’ai sauté le pas en appelant le service Conso pour expliquer poliment que la roue tourne et qu’un jour peut-être ma situation se rétablissant la banque serait bien heureuse de m’avoir dans sa clientèle. L’accueil a changé, ma situation aussi et comme si de rien n’était, je n’étais plus "intouchable", ni paria et ma nouvelle conseillère m’appelait au bureau pour me fourguer ses produits en ricanant. Il va de soi que je n’en ai acheté aucun, car la plupart sont inutiles et inutilisables, redondants et chers.
Une de mes amies travaille en banque : 14 mois par an, des ouvertures de crédits immos quand elle veut, les RTT payées, les heures supps en compte épargne, les congés à revendre. Tu sais, je supporterais bien le stress moi aussi dans ces conditions. C’est un choix.
Ces gens ne sont pas à plaindre….
plus de 50 jour de congés par ans, des primes en tous genres etc… quel stress ??? Ils ont des syndicats extrêmement puissants (on les à même vus manifester POUR bouton lors du scandale Kerviel)…. Quelle pression ??? Qu’ils aillent en PME (ces mêmes PME qu’ils écrasent sous les frais et pénalités en tous genre)…. Ils vont voir ce qu’est la pression….
Ils appliquent ce qu’on leur demande et croyez bien qu’ils y trouvent leur compte…
Personne ne les obligent à traiter leurs client comme des vulgaires consommateurs….
L’Herbe est toujours plus verte chez le voisin.
Bonjour,
Je travaille dans la banque depuis 11 ans, je suis directeur d’une agence bancaire (cadre) depuis 5 ans et je gagne 1800€ net par mois sur 13 mois, j’ai 29 jours de congés par an et c’est tout. Je travaille 50h par semaine, gere 4 personnes, 4000 clients, et 600 clients dont je suis l’interlocuteur privilégié. Mon interessement et ma participation s’élève à 1000€ brut par an (les 2 cumulés) et si j’ai réalisé une excellente année, j’ai 2500€ de prime.
Je dois traiter environ 100 à 150 mails par semaine.
Il est vrai que j’ai des tickets restaurant et 30% de remise sur ma carte bancaire (beaucoup de clients ont plus de remises que les salariés des banques) et je peux avoir un prêt avec des conditions "légérements" plus avantageuses que les clients(nos dossiers personnels sont soumis aux mêmes regles d’admission que ceux des clients).
Je ne suis peut etre pas à plaindre mais je ne pense pas que je sois à envier compte de la pression commerciale permanente subie et à transmettre (l’article reflete parfaitement notre quotidien) et des revenus qui sont loin de faire réver. Nombre de salariés de PME à diplomes équivalents et à ancienneté équivalente s’en sortent mieux.
Elle est bien loin la belle époque des salariés des banques.