Le traumatisme Jérôme Kerviel passé, la Société Générale se croyait sortie d’affaire de ses tracas financiers. L’année 2010 ne sera pourtant pas celle de la sortie de crise…
A La Défense, au siège administratif de la banque, on pensait il y a encore quelques semaines en avoir fini avec la période maudite ouverte par la vente à la sauvette début janvier 2008, des positions prises frauduleusement par un trader indiscipliné dénommé Kerviel. Las, il semble bien que la vieille maison aux 145 printemps bien tapés, entre dans une nouvelle phase de malchance active.
La rechute semble coïncider avec l’annonce, à la mi-septembre 2009, d’un dépôt devant la Haute Cour de Londres, d’une plainte à l’encontre du prince des mille et une nuits Maan al Sanea, propriétaire entre autre, de 3% de la Banque HSBC. Le businessman saoudien un brin distrait, aurait oublié de lui rembourser une petite cinquantaine de millions de dollars plus intérêts, prêtés à son groupe spécialisé dans l’immobilier et la santé.
Le 30 octobre, les évènements prenaient franchement une sale tournure. Les syndicats-maison appelaient à une journée de grève pour le 24 novembre. Du jamais vu. Ces aigris, jaloux de la rémunération de la direction de la banque, reprochent à cette dernière d’avoir demandé au personnel de se serrer la ceinture, au moment précis où la banque levait 4,8 milliards d’euros, dont 3,4 milliards destinés à rembourser les aides publiques dont elle a bénéficié pour traverser honorablement la crise.
Par malchance, c’est le moment qu’a choisi Daniel Bouton, pour annoncer à la communauté financière qu’il venait de créer sa propre boite de conseil avec l’aide de Rothschild & Cie. On se souvient que « Dany le mal aimé » avait quitté la banque en juin 2009, quelques semaines après une enième polémique sur un plan d’attribution de plantureux stock-options auquel lui et 3 de ses collègues avaient du renoncer la mort dans l’âme.
Pour jeter un peu d’huile sur le feu, sa rivale la BNP, croyait utile de confier à l’agence Reuters le 4 novembre dernier, que la nouvelle rumeur d’une prise de contrôle de la Générale, « était sans fondement de A à Z ». Le même jour, son président Frédéric Oudea, émettait un « profit warning » à moyen terme, histoire de dire que la banque maîtrise parfaitement son environnement économique, en indiquant qu’il s’attendait à 15% de rentabilité de ses capitaux propres à l’horizon 2012, contre un peu plus de 26% en 2005-2006. Une contrariété tout au plus…
Histoire de passer la troisième couche sur le moral des troupes pour la veillée de Noël, c’est l’oligarque russe Vladimir Potanine, actionnaire minoritaire avec la Socgen dans Rosbank, qui indiquait à son tour le 25 décembre dernier, son intention de prendre une participation minoritaire dans la banque : « nos partenaires sont favorables à cette idée et nous ont invité à rejoindre la liste des actionnaires » a-t-il annoncé à Reuters Moscou.
Début 2010, les mauvaises nouvelles apparaissent plus clairement encore, entre les lignes des communiqués faussement sereins : c’est ainsi qu’on apprenait le 7 janvier sous l’encre de la Tribune, qu’exclusion faite des produits de dérivés, la banque possède des actifs invendables pour une valeur nominale de 45 milliards d’Euros ramenée à 35 milliards après provision, et qu’elle s’apprête à placer dans une structure de « defeasance ». Le seul mot évoque immanquablement le célébrissime CDR du Crédit Lyonnais et les pertes abyssales qu’il a accusé. Aux frais du contribuable puisqu’il était à l’époque, « propriété » de l’Etat. Pas étonnant que le cours de l’action Société Générale ait ressenti les répliques de la secousse, dans les jours qui ont suivi.
Et puis, on s’est remis à parler d’une fusion SG-Crédit Agricole, les 2 maisons ayant déjà rapproché leur principale unité de gestion d’actif, joliment baptisée « Amundi » le 31 décembre 2009. Le 11 janvier, un petit frisson est passé dans le dos des analystes. La banque émettait un « profit warning » avouant qu’elle devait comptabiliser une nouvelle perte sur des actifs toxiques sortis de nulle part, pour un montant total de 1,4 milliards d’euros, laquelle perte va bouffer la quasi totalité de son profit du dernier trimestre 2009.
Puis les choses se précipitent. Le 16 Janvier, on apprend qu’en Inde, les autorités de régulation du marché ont suspendu la Société Générale sur ses opérations de dérivés offshore. Le communiqué des régulateurs locaux est assez inquiétant : « La Société Générale s’est montrée totalement incapable d’obtenir une information fiable et complète de la part de ses contreparties…La Société Générale est tenue de fournir des explications sur les raisons pour lesquelles les procédures appropriées portant notamment sur l’annulation de son certificat d’immatriculation en tant qu’investisseur institutionnel étranger, n’ont pas été mises en œuvre… ». Si même les indiens se mettent de la partie…
Et puis, on a eu la mouche dans le lait. Ou plutôt dans le beurre de Trust Company of the West, une boite de gestion d’actifs fondée par Robert A. Day en 1972. Le même Robert Day qui en a refourgué 51% le 11 avril 2002 à la Société Générale via la SGAM pour 880 millions de dollars payés en actions Socgen. Ce brave Day, vaguement initié, qui a vendu pour 85,75 millions d’euros d’actions Société Générale le 9 janvier 2008, soit 2 semaines avant l’annonce du désastre Kerviel…
Des chiffres qui donnent effectivement le vertige et devraient encourager la direction de la Générale à décréter le branle-bas de combat…
Le 7 janvier, TCW a donc déposé une plainte devant le tribunal de Los Angeles contre Jeffrey Gundlach, son Chief Investment Officer, son gourou qui a lui seul gérait 65 milliards de dollars, autrement dit 59% des fonds confiés à TCW par ses clients. Dans la Cité des Anges et des studios hollywoodiens, l’affaire va indiscutablement inspirer les scénaristes.
Le mec aurait secrètement monté sa boite, nommée DoubleLine et, pillé joyeusement TCW en détournant, avec l’aide de 3 collègues de la direction et d’une cinquantaine d’employés ( !) l’équivalent de 9 millions de pages de documentation technique sensible. Les clients de TCW ont été massivement appelés à laisser tomber ces Has-Been de TCW et à rejoindre Gundlach et ses potes dans leur nouvelle boite. Vraiment désordre…
Du coup, le Département du Trésor américain qui devait créer un fond avec TCW pour reprendre et gérer un minuscule milliard de dollars d’actifs toxiques, a décidé de réserver sa décision.
Abasourdie, la plaignante appuie l’essentiel de ses griefs sur un double constat : d’abord que le félon a perçu 134 millions de dollars de rémunération en 5 ans dont 40 millions en 2009. Ensuite qu’à la suite de son licenciement intervenu le 4 décembre sans préavis, on a retrouvé dans son bureau, « une quantité significative de marijuana et d’autres drogues dont certaines manifestement utilisées récemment, 12 sex-toys, 34 magazines pornographiques et 36 DVD et vidéo cassettes pornographiques hard core… ».
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