La probable abstention record du 7 juin prochain doit nous interroger sur le sens à donner à une démocratie européenne en panne. Le rêve d’un État fédéral pourrait sortir le Parlement européen de l’ornière.
On semble parfois s’étonner ici ou là de l’atonie ambiante de la campagne pour les élections européennes. Bien qu’en France, la courbe de l’abstention s’élève mandature après mandature, certains commentateurs sont intrigués par le fait que l’Union européenne, dont l’emprise ne cesse de s’accroître sur les vies des citoyens, ne suscite pas davantage de passion. Plusieurs hypothèses sont régulièrement émises. La complexité du système institutionnel et son éloignement sont souvent cités. L’ésotérie des législations de l’Union ou la dépolarisation de la vie politique européenne semblent également susciter cette indifférence, voire cette défiance à l’égard de l’idéal européen. Sans doute peut-on également trouver des déterminants nationaux et plus conjoncturels à cette léthargie collective – les luttes internes au PS, l’intérêt bien compris pour le désintérêt des citoyens à l’UMP, les déchirements centristes, etc. Mais le mouvement semble bien plus européanisé…Partis, leaders, citoyens se désintéressent, semble-t-il, de l’enjeu dans la majeure partie des 27 Etats membres.
Certains commentateurs ou hommes politiques relèvent néanmoins une contradiction dans le fait de ne pas participer à une élection qui entend combler le fameux déficit démocratique au cœur de la vie politique européenne contre lequel les mêmes apathiques sont prêts à se mobiliser comme en 2005 lors du référendum sur le traité constitutionnel. Parce que le Parlement européen incarnerait la démocratie européenne, il deviendrait impératif de voter lors de ce scrutin européen afin de démocratiser l’Europe.
Bref, s’ils y comprenaient quelque chose, les citoyens devraient se précipiter dans les urnes : le Parlement européen étant le garant démocratique de l’Union. Et l’on pourrait ajouter qu’il devrait en être de même des partis de gouvernement et de leurs leaders…
Cette argumentation est à la fois fausse et dangereuse pour la construction communautaire. Fausse, elle l’est parce que le Parlement européen n’est pas un parlement à l’image de celui des démocraties occidentales contemporaines. Il n’a pas vocation à représenter la démocratie en Europe. Pour tout dire, ce n’est pas un parlement. Il a emprunté le nom ; il n’en a pas la qualité. La manœuvre était à l’époque fort louable. Elle est due aux plus militants des parlementaires européens des années 50 qui entendaient nommer la chose pour la faire exister. Force est de constater un demi siècle plus tard que nous sommes au milieu du gué. La chose est nommée mais elle n’existe pas. Il n’y a pas plus de Parlement européen que de gouvernement européen pour reprendre une autre expression performative par laquelle les bâtisseurs d’Europe qualifient parfois la Commission européenne. Comment affirmer cela de manière péremptoire ? Dans les démocraties, le parlement est cet organe qui présente deux qualités : 1/il représente une nation ou un peuple et, à ce titre, 2/il doit être associé de manière systématique et substantielle à l’adoption de la législation. Or, aujourd’hui, chaque parlementaire européen représente sa nation d’origine au sein de l’Union mais ni l’Europe, ni le peuple européen encore inexistant. Autrement dit, les parlementaires européens sont des délégués élus des États membres. Le Parlement européen ne représente pas une nation. Il ne remplit pas la première condition sine qua non des parlements occidentaux.
Quant à la seconde condition renvoyant à la place du PE dans le processus législatif, elle ne correspond pas au modèle parlementaire des démocraties occidentales. Pour ne donner qu’un seul exemple, ce que l’on appelle aujourd’hui par abus de langage les lois européennes ne nécessitent pas de sanction parlementaire. Plus de la moitié des actes à portée générale pris par le système politique européen est adoptée après avis consultatif du Parlement. Autrement dit, que cet avis soit négatif, critique ou enthousiaste n’a aucun impact sur la législation ! Le Parlement européen peut bien dire, ce règlement je n’en veux pas : il l’aura quand même ! Dictature ? Forfaiture ? Non, démocratie européenne.
A vrai dire, il n’y a rien de choquant là-dedans. Les principes démocratiques sont en fait respectés dans l’Union européenne. Parce que ces textes sont discutés et adoptés non par le Parlement européen, qui n’est pas un vrai parlement, mais par les gouvernements des Etats membres. Et eux, en revanche, sont élus selon les principes démocratiques.
On voit ainsi le malentendu. Par militantisme pro-européen, les bâtisseurs d’Europe ont tenté un coup de force symbolique : une prophétie autoréalisatrice, c’est-à-dire de celles que l’on annonce afin qu’elles se produisent. Elle visait à faire du Parlement européen ce qu’il n’est pas : un vrai parlement. Mais alors, poussant au bout leur raisonnement, ils ont dit : « le Parlement européen, c’est la démocratie européenne ». Or, c’était là se mettre en porte-à-faux car il s’agissait d’un pari sur l’avenir de la montée en puissance du Parlement qui n’a pas été gagné. Le Parlement européen n’ayant pas les pouvoirs d’un vrai parlement, la démocratie européenne à cette aune fixée par les bâtisseurs d’Europe est devenue une fausse démocratie. Ceux-là qui sont majoritaires aujourd’hui dans les institutions se sont donc complètement trompés. Ils ont voulu amender le projet des pères fondateurs afin d’y arrimer a posteriori un parlement. Jean Monnet en avait lui purement et simplement écarté l’idée. C’était un rouage trop lourd de l’appareillage démocratique ; les gouvernements feraient bien seuls l’affaire se disait-il pour adopter des textes complexes rapidement. On est aujourd’hui encore les héritiers de ce choix initial. C’est la raison pour laquelle en 2009 de vrai parlement européen, il n’existe pas. Et cela n’est pas grave. C’était le schéma initial de l’architecture européenne des pères fondateurs.
Alors où voulons-nous en venir ? Nous avons rapidement montré que le Parlement européen est un organe très marginal dans le système politique européen (ceux qui disent qu’il a gagné de très nombreux pouvoirs ont raison. Il n’en avait aucun. Il en a plus. Il en a très peu…). Nous avons également dit que cela ne remettait aucunement en cause le caractère démocratique de l’Union, pilotée par des gouvernements élus.
Mais en revanche lors des élections européennes, il nous semble nécessaire de poser clairement le problème plutôt que de faire passer des vessies pour des lanternes ou des assemblées techniques pour des parlements. Soit il convient de revendiquer les fondements historiques de la méthode Monnet et du rêve européen de ceux que l’on a appelé les pères fondateurs de l’Europe. Et alors calmons-nous. La faible participation enregistrée aux européennes est objectivement à l’image de la marginalité de l’institution parlementaire en Europe. Cela n’est pas grave. Le rêve communautaire est pensé autour de cette marginalité. Arrêtons de perdre de l’énergie à faire voter pour une institution dont les membres sont mal définis et dont le travail est accessoire pour faire fonctionner efficacement l’Europe !
Soit nous disons : le rêve communautaire est aujourd’hui daté. Jean Monnet était un homme de l’entre-deux-guerres. Modifions le schéma choisi dans un contexte tout différent ! Retournons au projet politique de l’Europe. Créons le parlement européen puisque nous n’en avons pas. La recette ? Elle est donnée par les fédéralistes des années 50 qui concurrençaient déjà la méthode Monnet. Elle passe par la constitution d’un pouvoir politique qui se donne des institutions. Ce pouvoir, le seul légitime dans toutes les démocraties occidentales, c’est celui des individus qui le subissent. Relançons le rêve d’un État fédéral européen démocratique ! Celui-là seul pourra avoir un Parlement européen représentant le peuple européen. Celui-là seul pourra adopter des lois européennes. Et pour celui-là seul il sera décisif d’aller voter ! Et l’abstention du 7 juin aura été fonctionnelle.
A lire ou relire sur Bakchich :
L’Histoire veut que l’Homme s’émancipe des politiques comme il s’est émancipé de dieu.
Croire que la solution à la construction européenne serait l’instauration d’un Etat fédéral relève du phantasme déguisé en théorie politique.
Quant au fait de dire que les textes communautaires sont démocratiques parce qu’adoptés par les gouvernements, c’est complétement spécieux, sauf à reconnaître une représentativité par ricochet au troisième degré…
Paradoxalement les fédéralistes sont les fossoyeurs de la construction européenne par leur acharnement à ignorer la volonté des Peuples.
L’Europe politique ne pourra exister de manière pérenne que sous une forme confédérale. Autrement ce sera la guerre.
Que vous votiez ou pas… y’aura le même nombre d’élus !
>>> Seule une REDUCTION du nombre d’élus en proportion des ABSTENTIONS serait démocratique…
>>Mais ni l’Ump, ni le Ps, ni le Modem, ni les Verts n’en veulent !
> Ces 4 ’partouzes européistes’ veulent conserver leurs "fromages"… rien de neuf ! L’abstention des NONistes les sert…
Alors dimanche… VOTEZ… ne vous abstenez pas…
Votez… mais pas pour ces gens-là !