Ce jeudi 20 août, les Afghans votent pour élire leur président. Mais derrière ce scrutin, perçu par la communauté internationale comme un succès pour la démocratie, se cache une fraude massive aux multiples visages.
Le 20 août, 17 millions d’Afghans – soit 4,5 millions de nouveaux inscrits – vont élire leur président ainsi que 420 membres des conseils provinciaux. La communauté internationale a investi 220 millions de dollars pour organiser le scrutin déjà présenté comme un succès pour la démocratie. Ces élections se dérouleront sous haute tension en raison des menaces des taliban, entre autres. Le ministère des Affaires étrangères afghan a appelé les médias à ne pas rendre compte des actes de violence commis le jour du scrutin pour ne pas dissuader les électeurs de se rendre aux bureaux de vote.
La population afghane, et particulièrement la jeunesse urbaine, a participé activement à la campagne qui semblait parfois inspirée de celle d’Obama, mais les débats télévisés retransmis par les chaînes privées et l’affluence aux meetings des candidats ne doivent pas faire illusion. La campagne est restée largement urbaine, pas seulement pour des raisons de sécurité : 13 % de la population rurale seulement a accès à l’électricité et ne peut donc regarder la télévision. De plus, les paysans n’ont pas vu d’amélioration de leurs conditions de vie, bien au contraire, et le gouvernement corrompu, allié aux chefs de guerre et incapable de protéger la population et de fournir des services de base a perdu toute légitimité.
Quant aux réunions électorales, les candidats sont en compétition pour avoir le soutien d’hommes influents (petits chefs de guerre, notables tribaux, entre autres) qui apportent des blocs de voix et les vendent au plus offrant. Ce sont ces intermédiaires qui rassemblent la population pour les grands meetings ; ceux qui y participent ne savent pas toujours pourquoi ils sont là et beaucoup sont plus attirés par la distribution de nourriture que par le programme du candidat. Ces mêmes intermédiaires transporteront les électeurs jusqu’aux bureaux de vote et s’assureront qu’ils ont bien voté. Il faudra s’armer de patience pour exercer son droit de vote aux élections provinciales ; on estime qu’il faudra au moins 10 minutes pour qu’un électeur, souvent illettré, identifie la photo et le symbole du candidat de son choix sur des bulletins parfois composés de plusieurs pages : dans le Nangarhar (à l’est du pays), les 275 candidats pour 19 sièges sont répartis sur 5 pages…
Le taux de participation reste une inconnue, la peur des taliban n’étant pas le seul motif d’abstention. Seule une minorité d’Afghans ont confiance dans le processus électoral ; beaucoup n’attendent pas grand-chose du scrutin, déçus par les promesses non tenues et la corruption généralisée ou persuadés que les jeux sont faits d’avance et que le résultat est décidé à Washington. Certains s’interrogent sur la légitimité d’élections en présence de troupes étrangères (même si celles-ci font profil bas pour ne pas donner l’impression d’influencer le processus).
Par ailleurs, le président Karzai, très impopulaire chez les Pashtounes du sud et de l’est, a choisi comme vice-présidents Karim Khalili, hazara (le troisième groupe ethnique du pays, d’origine turco-mongole), et le général Fahim, criminel de guerre notoire, et il a obtenu – ou plutôt acheté – le ralliement de personnalités au passé tout aussi douteux, tels Dostum et Gul Agha Sherzai. Ces accords au nom de « l’unité nationale » ont pour seul objectif de s’assurer les voix des Hazaras et des Ouzbeks et de diviser le vote tajik. Ajoutons à cela l’utilisation des médias publics, la désignation d’un de ses proches à la tête de la Commission électorale indépendante et les pressions exercées par les fonctionnaires de l’administration provinciale, tout particulièrement à Kandahar où l’issue du scrutin ne fait aucun doute d’autant plus que des cartes d’électeur ont été généreusement distribuées dans les lycées à des adolescents de 14 ou 15 ans qui sont fortement incités par leurs professeurs à voter pour Karzai.
La fraude menace la crédibilité du scrutin et son ampleur est sous-estimée par les responsables occidentaux qui affirment que le résultat n’en sera pas affecté dans la mesure où elle est le fait de tous les candidats ! Les médias français nous ont montré des jeunes gens qui exhibaient 6 ou 7 cartes d’électeurs, ce qui fait sourire : ces dernières semaines, les cartes d’électeurs s’échangeaient par paquets de 100 au prix unitaire de 6 dollars.
Le Dr Abdullah, principal rival du président Karzai, a déclaré que le nombre d’électeurs inscrits dépassait le nombre de votants potentiels. On estime la population afghane à 33 millions d’habitants dont 65 % ont moins de 20 ans. Le problème c’est qu’aucun recensement n’a eu lieu en Afghanistan depuis plus de 30 ans – le dernier organisé en 1979 était incomplet et non fiable. Les observateurs de la Commission européenne ont annoncé à deux jours du scrutin qu’ils avaient constaté des irrégularités dans le processus d’enregistrement, et notamment dans la délivrance de cartes au nom de « femmes fantômes ». La plupart des cartes d’électrices ne portent pas de photographie pour des raisons culturelles. Des hommes ont fait enregistrer 10, voire 15 femmes de leur famille sans qu’aucune vérification ne soit effectuée, toujours pour des raisons culturelles. Cette pratique est particulièrement répandue dans les régions pashtounes du sud et de l’est contrôlées par les taliban. C’est ainsi qu’au Logar, 72 % des nouveaux inscrits sont des femmes, au Nuristan elles sont 71 %, dans le Paktia 64 %, à Khost 65 %, ce qui n’est tout simplement pas crédible. Beaucoup de femmes n’iront pas voter, non parce qu’elles ont peur des taliban, mais parce que leur mari le leur interdit, mais on peut être sûr que celui-ci saura faire bon usage de la carte, ou des cartes, au nom de son épouse !
La fraude suppose une collusion entre les candidats et des membres de la commission électorale. En effet, les « femmes fantômes » sont inscrites aux registres électoraux. On achète des cartes et des numéros d’enregistrement, en bref des vraies fausses électrices. Ensuite, les candidats achètent un bureau de vote et s’arrangent pour que des parents ou des sympathisants y soient affectés. Le décompte s’effectuera dans les bureaux de vote et il est beaucoup plus facile de faire du bourrage d’urnes dans les bureaux pour femmes.
Les responsables occidentaux ne manqueront pas de mettre en avant le taux élevé de participation des femmes et s’en serviront pour justifier auprès de leur opinion la présence des troupes en Afghanistan qui a permis aux femmes de voter. Ils ignorent probablement que les femmes afghanes ont obtenu le droit de vote en 1964 et qu’elles l’ont très peu utilisé, encore une fois pour des raisons culturelles.
Cette fraude risque d’avoir des conséquences graves, par exemple si le taux de participation des femmes est plus élevé dans le Paktia qu’à Kaboul. Si un candidat prétend à la victoire grâce à des voix de « femmes fantômes » dans l’est du pays ou si le président Karzai est réélu au premier tour avec un pourcentage élevé des voix, on peut craindre un scénario à l’iranienne. Le président Karzai, qui en est bien conscient, a été le premier à féliciter Ahmadinejad pour sa réélection controversée. Les violences qui pourraient éclater, surtout à Kaboul, ne manqueraient pas d’être instrumentalisées par l’opposition armée pour créer le chaos.
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