Y être mais en se tenant le plus éloigné possible de la Commission et du Parlement européen. Depuis sa représentation permanente, la France va exercer une présidence du conseil pour le moins décentrée. À Bruxelles, l’exception française passe d’abord par la géographie.
Pas très « bling bling » l’endroit où battra le cœur tricolore de l’Europe à partir du 1er juillet. L’adresse indique « 14 place de Louvain ». En fait de place, – la Belgique est le pays où est né le surréalisme… – c’est plutôt une rue sans âme et en travaux. Située derrière le siège du quotidien belge Le Soir, c’est ici que se cache la triste représentation permanente française, un choc pour l’honneur national. Sarko Ier va-t-il faire son grand soir dans l’Union européenne ? En tous cas, la France prend son rôle très au sérieux. La preuve, la « RP » (représentation permanente en langage diplomatique) de Bruxelles est devenue « la seconde ambassade étrangère, après celle de l’ONU à New York », indique-t-on fièrement sur place.
Depuis quelques mois, les effectifs sont montés en flèche, sans compter les crânes d’œufs qui font la navette depuis Paris à 1h20 en TGV, près de 220 hauts fonctionnaires s’agitent à présent dans cet immeuble, au lieu de 160 en temps normal. Ils s’affairent à préparer les dossiers chauds à venir, de la future présidence française du conseil européen. Et à assister la petite Slovénie, l’actuel pays président un peu court en fonctionnaires pour animer les innombrables réunions avec les ministres des différents pays. Du coup, les services du consulat ont été priés de trouver asile ailleurs dans la capitale belge pour faire de la place. Car la RP devrait aussi accueillir un certain nombre de réunions avec les chefs de gouvernements ou les ministres des autres pays. De quoi sacrement déplacer le centre de gravité de l’Europe bruxelloise.
Car c’est le plus étonnant. De tous les pays fondateurs, la France est celui dont la délégation est la plus à l’ouest. Au sens géographique bien sûr… En regardant un plan des institutions européennes distribué par le conseil, l’exception hexagonale saute aux yeux. À Bruxelles, la France a choisi le splendide isolement. Une position qui reflète l’espèce d’attirance-répulsion de la technostructure pour l’Europe. Elle se tient à la marge du quartier communautaire et surtout le plus loin possible des centres de pouvoir que sont la Commission et le Parlement.
Résultat, la première a été tenue à distance de 1,6 km à vol d’oiseau. Le second, dont l’importance grandit dans le processus de décision, repoussé à 2 km. « Il est certain que nous ne sommes pas tout près, mais si vous coupez par le parc de Bruxelles, vous pouvez attraper ensuite un bus », explique un fonctionnaire un peu penaud. Pour le métro, il faut changer. Résultat, une bonne marche de près d’une demi-heure pour gagner le centre névralgique. De là à expliquer la perte d’influence en Europe, il n’y a pas qu’un pas, mais plusieurs !
Moins dédaigneux vis-à-vis des institutions fédérales et surtout beaucoup plus pragmatiques, les États membres historiques ont au moins implanté leurs troupes au cœur du rectangle d’or, « là où s’élaborent des directives qui influenceront 80% des législations nationales », rappelle un fonctionnaire bruxellois. La palme de l’européanisme revient au pays le moins européen de tous, la Grande-Bretagne. La perfide Albion, qui s’y connaît en matière de lobbying, s’est placée à deux pas de la Commission, du Conseil européen et non loin du Parlement. Tout comme l’Autriche et le Portugal.
Il n’y a pas qu’en matière de présence officielle que les troupes françaises sont à la ramasse. C’est aussi le cas pour les médias. De quoi désoler les membres de la représentation permanente française. Dans une note intitulée « lobbyistes bruxellois : une stratégie d’influence », ils fustigent la faiblesse des troupes. « Sur 1 300 journalistes recensés en 2006, on compte seulement 85 Français (parmi lesquels seule une quarantaine est véritablement active), au quatrième rang derrière l’Allemagne qui en compte plus du double, soit 150, et derrière le Royaume-Uni qui en a 120 ». Camouflet intolérable, « les journalistes français sont à peu près au même nombre que les néerlandais, alors que la France est environ six fois plus peuplée que les Pays-Bas », s’étranglent les hauts fonctionnaires. Ce sont surtout les chaînes de télévision qui les irritent le plus, avec en tout et pour tout, trois correspondants pour France 2, France 3 et France 24. « Mais la chaîne TF1 n’est pas présente, même si LC1 vient d’ouvrir un bureau à Bruxelles ». Et de conclure « Il est illusoire de penser qu’on peut depuis Paris assurer une information pertinente sur les affaires européennes ». Transmis à Martin Bouygues, l’ami de Sarko, futur empereur d’Europe.
Les autres peuplent le quadrilatère que dessinent les deux grands axes de la géographie communautaire : l’interminable rue de la Loi et la rue Belliard. Lesquelles sont jalonnées d’annexes de la Commission, de diverses institutions communautaires, ainsi que des représentations de la plupart des régions des États membres. Là aussi, les conseils régionaux, arrivés depuis peu pèsent peu face à leurs gros homologues étrangers allemands. Quant aux dix nouveaux pays membres qui ont adhéré depuis 2004, ils ne sont pas bêtes. Malgré le prix des loyers en hausse, il y a bien longtemps qu’ils ont compris l’intérêt de pratiquer le collé-serré avec les lieux de pouvoir bruxellois. Malte, 400 000 habitants, a ainsi pris pied à trois rues du Parlement. Tous ont inséré leur RP là où les divers lobbies – 15 000 personnes pour 25 000 fonctionnaires européens ! – ont laissé un peu de place.
Seule exception, comme la France, la Pologne, plus gros nouvel entrant, fait bande à part, plus éloignée encore que la France du centre. Mais totalement à l’est, ce qui va de soit… Snif, nous ne sommes plus une exception à Bruxelles.
Il serait intéressant de savoir comment cette décision a été prise, par qui, à quel coût et quel était la liste des autres bâtiments disponibles.
Car tout est stupide dans cette implantation. Pour au moins un demi-siècle, Bruxelles sera le centre névralgique des prises de décision dans l’Union européenne. Les rencontres ne se font pas que dans les salles de réunion mais aussi dans les rues et les restaurants du "quartier européen". En outre, la visibilité et la proximité du bâtiment avec toutes les autres composantes de la vie européenne sont des facteurs essentiels dans la représentation et la communication, qu’il s’agisse de l’activité politique ou diplomatique.
Le coin est sinistre : quelques snacks, quelques restaurants déjà occupés par les élus du parlement fédéral belge, la joyeuse et désormais inutile Banque de Belgique, l’arrière folichon de la Cathédrale Ste Gudule (dite St-Michel) , la triste "Cité administrative" et sa désespérante esplanade…
Un bien joli gâchis, si vous me demandez mon avis.