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Inde : les terroristes étaient de sacrés Lashkar

Pakistan / dimanche 7 décembre 2008 par Mariam Abou Zahab
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La ville indienne de Mumbai se remet péniblement de la série d’attaques terroristes qui a fait 171 morts, du 26 au 29 novembre dernier. Les premiers suspects sont arrêtés et New Delhi désigne le groupe jihadiste pakistanais Lashkar-e Taiba.

Le rituel est bien établi. Huit jours après la fin des attaques terroristes contre Mumbai qui ont coûté la vie à 171 personnes, toutes les pistes semblent mener au Pakistan. Les principaux suspects sont, une fois de plus, les jihadistes du Lashkar-e Taiba.

Qui est le Lashkar-e Taiba ?

C’est un groupe jihadiste d’obédience salafiste et instrumentalisé par les services de renseignement de l’armée pakistanaise (ISI) pour mener une guerre asymétrique contre l’Inde au Cachemire. Il s’est rendu célèbre par ses opérations spectaculaires contre l’armée indienne depuis le début des années 1990. A la différence d’autres groupes actifs au Cachemire, les combattants du Lashkar-e Taiba sont à 80 % pakistanais et issus de l’enseignement public et non des madrassas (écoles coraniques).

Le programme du Lashkar-e Taiba est clair : islamiser le Cachemire et l’Inde puis partir à la conquête du monde entier et restaurer le califat. Pour le Lashkar-e Taiba, le Cachemire n’est donc que la porte de l’Inde. Il affirme « lutter pour la libération de 200 millions de musulmans indiens » et rêve de planter le drapeau de l’islam sur le Fort Rouge de Delhi, symbole de la reconquête du siège de l’Empire moghol occupé par les hindous (il a d’ailleurs mené une opération contre ce monument en décembre 2000).

Bien qu’ayant été interdit en janvier 2002 à la suite de l’attaque contre le Parlement indien (dans laquelle il a nié toute responsabilité en affirmant qu’il ne menait pas d’opérations aussi mal préparées…), le Lashkar-e Taiba est toléré et a poursuivi, bien que plus discrètement, ses activités au Cachemire.

Quelles sont les méthodes du Lashkar-e Taiba ?

Il a adopté la stratégie des missions suicides après la quasi-guerre de Kargil entre l’Inde et le Pakistan en 1999. Même si leur but ultime est le martyre, les groupes de fidayin (ainsi qu’ils sont désignés en son sein) sont différents des commandos suicides d’autres mouvements. Ils reçoivent une formation prolongée religieuse et militaire qui a pour but de s’assurer de leur motivation et ne partent pas pour des missions où la mort est certaine. Ils choisissent des opérations où ils ont une chance, aussi infime soit-elle, de revenir vivants. Leur objectif est de faire le plus de mal possible à l’ennemi et leurs opérations se caractérisent par une grande sauvagerie.

Quels liens avec Al Qaida ?

Si la nature des liens actuels du groupe avec l’ISI, les services secrets pakistanais, est soumise à controverse, le Lashkar-e Taiba s’est fragmenté et autonomisé et il est clair qu’il a renforcé ses liens avec la mouvance jihadiste globale mais aussi qu’il a aidé des militants arabes d’Al Qaida repliés au Pakistan. C’est d’ailleurs ainsi qu’Abu Zubeidah, l’un des principaux lieutenants d’Oussama Ben Laden, a été arrêté en mars 2002 au domicile de cadres du Laskhar-e Taiba à Faisalabad, une ville du Penjab qui est le centre de gravité de l’extrémisme sunnite.

Par ailleurs, des militants du Lashkar-e Taiba combattent les forces américaines dans la province de la Kunar, en Afghanistan. Il s’agit pour eux d’un retour aux sources car c’est en effet dans ce bastion salafi que le mouvement est né au milieu des années 1980 comme branche armée du Markaz Dawat wal Irshad (Centre de prédication et d’orientation), dont l’un des fondateurs n’était autre qu’Abdullah Azzam, l’idéologue du jihad afghan.

Quelle est leur rhétorique ?

L’Inde est souvent présentée dans la rhétorique du groupe jihadiste comme faisant partie du complot « croisé-hindou-sioniste » contre le monde musulman. Pourtant les déclarations, trop nombreuses et trop précises, du seul militant capturé vivant (est-il d’ailleurs pakistanais ?) sont à prendre avec des pincettes. On a du mal à imaginer qu’un militant du Lashkar-e Taiba soit aussi bavard même sous la torture, et ses révélations semblent reprendre mot pour mot les rapports des services de renseignement indiens.

Toujours en matière de rhétorique, comme on pouvait s’y attendre, les théories du « complot américano-sioniste » pour déstabiliser la région et anéantir le Pakistan circulent sur le Net ces derniers jours. Certains se sont également empressés d’affirmer que des Britanniques d’origine pakistanaise figuraient parmi les membres du commando. D’autres ont pointé du doigt les extrémistes hindous. Il est vrai que les circonstances de la mort le 26 novembre de Hemant Karkare, le chef de la police indienne qui avait mené l’enquête sur l’attentat contre le Samjohta Express et ceux de Malegaon (cf. encadré), sont pour le moins troublantes.

Quels pourraient être les objectifs des attentats de Mumbai du mois de novembre ?

Il est indéniable que l’opération de Mumbai visait à porter un coup d’arrêt au processus de rapprochement indo-pakistanais, un objectif partagé par les extrémistes hindous et les jihadistes pakistanais. La normalisation avec l’Inde entamée par le général Musharraf (ex-président du Pakistan) en 2004 avait été perçue comme une trahison non seulement par le Laskhar-e Taiba, mais également par ceux au sein de l’establishment militaire pakistanais qui considèrent toujours que la menace principale pour la survie du pays est l’Inde plutôt que les groupes extrémistes.

Ces craintes ont été renforcées après l’entrée en fonction du gouvernement civil issu des élections de février 2008 qui a exprimé sa volonté de relancer le processus gelé depuis deux ans en raison de l’intransigeance indienne. Les affrontements sur la ligne de contrôle au Cachemire avaient d’ailleurs repris et l’attentat contre l’ambassade d’Inde à Kaboul en juillet 2008, même s’il est lié à l’inquiétude pakistanaise face à la présence indienne en Afghanistan, avait aussi pour but de porter au coup d’arrêt au rapprochement.

Bien que la situation intérieure du Pakistan soit différente de celle de 2001, il est tentant de faire un parallèle entre l’attaque contre le Parlement indien de décembre 2001 et les attentats de Mumbai. En provoquant une tension entre les deux pays en 2001 et la mobilisation des troupes à la frontière indienne, les jihadistes arabes avaient pu quitter l’Afghanistan pour se réfugier au Pakistan. Les opérations menées par l’armée pakistanaise dans les zones tribales de Bajaur et Mohmand depuis le mois d’août 2008 ont porté un coup aux combattants arabes comme en témoignent les vidéos récentes dans lesquelles Ayman al Zawahiri s’adresse à l’armée pakistanaise.

On peut penser qu’en attaquant Mumbai, les jihadistes espéraient faire diversion et obtenir un redéploiement des troupes pakistanaises à la frontière indienne. Comme chaque fois que la tension monte dangereusement entre l’Inde et le Pakistan, les Etats-Unis sont intervenus et chacun des protagonistes a essayé de les attirer dans son camp. Mais cette fois le facteur afghan est déterminant : le Pakistan sait que les Etats-Unis ont besoin de lui pour mener leur guerre en Afghanistan et pour garantir la sécurité des voies d’approvisionnement des forces américaines et de celles de l’OTAN et qu’ils ne peuvent donc tolérer le redéploiement de troupes pakistanaises sur la frontière indienne.

Le Lashkar-e Taiba a-t-il bénéficié de complicités indiennes pour préparer les attentats de Mumbai ?

Si l’on admet que le Lashkar-e Taiba a organisé l’opération, il n’a pu le faire qu’avec des complicités locales à tous les niveaux – par exemple organiser ce type d’opération à Mumbai exige la collaboration de la mafia – et également avec l’aide d’un ou de plusieurs groupes indiens.

Actes terroristes en pagaille en Inde

En 2008, plus de 200 personnes ont trouvé la mort en Inde à la suite d’une série d’attentats, dont ceux commis à Jaipur, une ville touristique, en mai dernier qui ont fait 80 morts ; à Ahmedabad en juillet (45 morts) ; à Delhi en septembre (21 morts et une centaine de blessés).

En octobre 2005, 62 personnes ont été tuées à Delhi, 43 autres à Hyderabad en août 2007, et surtout 187 à la suite de l’explosion de sept bombes dans des trains et des gares à Bombay en juillet 2006. Ces attaques avaient été à peine mentionnées par les médias occidentaux et on peut penser qu’il en aurait été de même si les victimes des derniers attentats de Mumbai avaient été des Indiens ordinaires.

En août 2003, deux taxis piégés ont explosé devant la Gate of India, juste en face de l’hôtel Taj, à Mumbai, et dans un marché. Qui se souvient en Occident des 52 morts et de la centaine de blessés ? En prenant pour cible le 26 novembre le centre juif Nariman et les hôtels Taj et Oberoi fréquentés par l’élite indienne et les riches Occidentaux, les militants savaient que leur action aurait un retentissement mondial, mais les télévisions indiennes et les médias occidentaux ont fait peu de cas des dizaines d’Indiens ordinaires tués dans la gare centrale et dans l’hôpital public JJ. Ce traitement de l’information ne peut partial qu’exacerber le sentiment d’injustice des musulmans indiens et les radicaliser.

Autre caractéristiques du terrorisme en Inde : de très nombreux groupes ont recours à la violence et à la lutte armée. C’est le cas des mouvements séparatistes dans le Nord-Est, des naxalites dans le centre et l’est du pays, et des extrémistes hindous et musulmans.

Après l’attentat de février 2007 (68 morts) contre le Samjhota Express (le train de la concorde) qui relie l’Inde et le Pakistan, les autorités indiennes avaient comme d’habitude accusé le Pakistan. L’enquête a pourtant révélé que l’attentat avait été commis par un groupe extrémiste hindou avec l’aide d’un colonel de l’armée indienne de même que les attentats anti-musulmans de Malegaon en 2006 (36 morts).

Depuis les années 1990, et surtout depuis les massacres du Gujarat en 2002 qui ont fait près de 2 000 victimes, à 80 % musulmanes, le Lashkar-e Taiba n’a cessé d’étendre ses réseaux en Inde.

Accuser le Pakistan et désigner le Lashkar-e Taiba comme unique responsable permet aux autorités indiennes d’occulter bien des aspects d’une réalité qui, comme tous les observateurs avertis de l’Asie du Sud le savent, est toujours beaucoup plus complexe qu’on ne l’imagine a priori.

Qui plus est, le gouvernement indien doit affronter la colère de la population face à l’incompétence des services de renseignement et à l’impréparation des forces de sécurité ce qui, à six mois des élections, met le Congrès dans une position fort délicate comme en témoigne la toute récente démission du ministre de l’Intérieur indien, entre autres.

Quelle est la situation des musulmans en Inde ?

On oublie souvent que l’Inde compte au moins 150 millions de musulmans (13 à 14 % de la population) qui sont victimes d’une discrimination quasi-institutionnalisée, surtout depuis la montée du nationalisme hindou ces dernières années. Les extrémismes hindous et musulmans se renforcent mutuellement. Les disparités économiques et le sentiment d’exclusion et d’injustice que ressentent les jeunes musulmans indiens sont un terrain fertile sur lequel prospèrent les groupes extrémistes. Les Mujahidin indiens, nom derrière lequel se cache le SIMI (Mouvement islamique des étudiants indiens) interdit, ont revendiqué nombre des attentats commis depuis 2006 dans différentes villes de l’Inde.

Si le Tibet mobilise à juste titre les Occidentaux, le conflit du Cachemire est une guerre oubliée. Durant le siège de l’hôtel Taj à Mumbai en novembre, l’un des militants a déclaré à une chaîne de télévision indienne : « Où étiez-vous quand nos mères et nos sœurs étaient tuées ? Savez-vous combien de personnes ont été tuées par l’armée indienne au Cachemire cette semaine ? » On peut objecter que c’est typiquement le discours du Lashkar-e Taiba, mais c’est aussi la réalité.

La droite nationaliste hindoue ne manquera pas d’instrumentaliser les attentats de Mumbai pour revenir au pouvoir, mais ce sont surtout les musulmans indiens qui risquent d’être à plus long terme les victimes de représailles et de nouveaux massacres ne peuvent malheureusement pas être exclus.

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6 MESSAGES

Forum

  • Inde : les terroristes étaient de sacrés Lashkar
    le vendredi 19 décembre 2008 à 08:15, Rashid a dit :
    comme d’habitude MARIAM ABOU ZAHAB trempe sa plume dans le jus de betel… sa vision de la situation du Pakistan est a 180 degres, et elle ne tombe jamais dans le panneau commun aux journalistes occidentaux : la réduction du probleme pakistanais a deux ou trois clichés. Mais dommage pour le titre de l’article…
  • Inde : les terroristes étaient de sacrés Lashkar
    le mercredi 10 décembre 2008 à 04:54

    « Le programme du Lashkar-e Taiba est clair : islamiser le Cachemire et l’Inde puis partir à la conquête du monde entier et restaurer le califat. »

    On va quand même pas recommencer les croisades.

  • Inde : les terroristes étaient de sacrés Lashkar
    le dimanche 7 décembre 2008 à 12:00
    Excellent article. Ca change de la soupe des pseudo experts en terrorisme que la presse française nous donne à lire à longueur de colonnes…
  • Inde : les terroristes étaient de sacrés Lashkar
    le dimanche 7 décembre 2008 à 07:49, Phil2922 a dit :
    le Pakistan et l’Inde possédant la bombe atomique, il serait urgent d’envoyer des médiateurs de paix dans ces deux pays. Je propose que Sarko, avec l’écharpe blanche du Daleï Lama, y aille… !!
  • Inde : les terroristes étaient de sacrés Lashkar
    le dimanche 7 décembre 2008 à 03:37
    Enfin une analyse intelligente et documentée sur le sujet. Tout à fait d’accord de souligner que si ces attentats avaient eut lieu dans des bidonvilles cela n’aurait certainement pas fait la une dans le monde entier. Mêmes les médias indiens "oublient" ceux qui se sont fait tuer à la gare centrale ou à l’hopital pour enfants, insistant surtout sur les morts du Taj, du Leopold, de l’Oberoi ou du batiment abritant une communauté juive. Une exception toutefois pour le magazine "Outlook" qui dans son éditorial rappelle que les morts ne semble pas tous égaux.
    • Inde : les terroristes étaient de sacrés Lashkar
      le dimanche 7 décembre 2008 à 12:10, mariam abou zahab a dit :
      Merci ! si vous voulez (presque) tout savoir sur le Lashkar-e Taiba, j’ai rédigé un chapitre sur le sujet ("Je vous attends à la porte du paradis" : les martyrs pakistanais du Lashkar-e Taiba) dans Figures d’islam après le 11 septembre, Karthala, 2007.
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