Selon la Cour des comptes, l’un des principaux problèmes de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie est que, justement, elle ne maîtrise guère ses dépenses.
L’Ademe est riche, très riche. De plus en plus riche. Principal chef d’orchestre de la mise en œuvre du Grenelle cher à Borloo, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie a vu ses moyens croître de façon exponentielle. Entre 2008 et 2009, son budget d’intervention en « autorisations d’engagement » est passé de 340 à 670 millions d’euros. Pour 2011, la loi de finances lui alloue 508 millions d’euros de crédits de paiement.
Or « cette affectation directe de ressources [les fait échapper à] l’autorisation parlementaire et à la mesure de la performance », note Fabienne Keller. En clair, la sénatrice UMP du Bas-Rhin se demande si tout cet argent est correctement utilisé. D’où sa demande d’audit à la Cour des comptes. En 2006 déjà, un premier rapport de la Cour pointait « l’éparpillement des services et l’insuffisance des procédures de contrôle », rappelle l’élue.
Celui pondu en septembre 2010 n’est guère plus tendre avec l’agence.
Question éparpillement, l’Ademe sait y faire, avec la coexistence de trois sites dits « centraux », à Paris, Angers et Valbonne. Auxquels s’ajoute une délégation dans chaque région. Christian Descheemaeker, président de la septième chambre de la Cour des comptes, écrit que cette dispersion est génératrice de « surcoûts, de lourdeurs, voire de dysfonctionnements ».
Au total, en 2009, les agents de l’Ademe étaient 1032, soit 15% de plus qu’en 2004, pour des dépenses en personnel en augmentation de 23,18% sur la même période.
L’aide à la réalisation – 70% du budget de l’agence – concerne à la fois le financement de grands équipements (réseau de chaleur ou usine d’incinération) et une multitude de petits projets : haute qualité environnementale dans les HLM, plan de déplacements entreprise (PDE), achat de véhicules électriques, etc. Pour le financement d’un PDE, par exemple, la Cour note que « l’Agence ne se donne pas d’objectif chiffré exact, ne cible pas les entreprises pour lesquelles un PDE pourrait avoir un effet d’entraînement plus fort que pour d’autres, ou celles situées dans une zone où le plan a plus de sens qu’ailleurs ».
Christian Descheemaeker estime par ailleurs que « l’Ademe ne pourra pas durablement financer autant de petits projets sans mettre en exergue de façon plus nette leur exemplarité ».
Bref, « il conviendrait de remettre de l’ordre dans la terminologie, de clarifier les concepts et d’améliorer l’exploitation de ce qui est financé à partir d’une typologie plus claire, en explicitant les suites possibles et en structurant les enseignements à en tirer ». Y a du boulot.
S’agissant de l’appui à la recherche, l’Ademe s’est vu attribuer un magot de 2,85 milliards d’euros pour les énergies renouvelables et décarbonées, les véhicules du futur, les déchets et l’économie numérique. Elle a également reçu 375 millions d’euros (pour la période 2009-2012) au titre du Fonds démonstrateur de recherche mis en place dans le cadre du Grenelle en 2008. Problème : le conseil scientifique de l’Agence, censé en orienter la politique de recherche, n’existe plus depuis septembre 2009 !
Enfin, pour les quatre grandes missions de l’Agence aussi, c’est un joli cafouillage. À part pour les déchets, où « elle exerce un leadership clair », l’Ademe partage ses domaines d’intervention avec d’autres entités publiques. Les sages de la rue Cambon déplorent cette situation, susceptible de créer « des risques de redondance, de frottement, de coûts de transaction, de coordination ». Exemple : les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air sont subventionnées par l’Ademe pour leurs investissements, et par les nouvelles directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement pour leur fonctionnement.
« La concentration des fonds Grenelle entre les mains d’un seul et même opérateur permet, selon le ministère, d’accélérer la réalisation de certains aspects du Grenelle », note le rapport. Il reste que la Cour des comptes juge qu’une « amélioration de l’information sur la performance de l’opérateur est souhaitable » et que « l’exercice de hiérarchisation et de sélection rigoureuse auquel le Grenelle invite l’établissement et ses directions régionales reste en partie à faire ». Elle doit, selon la Cour, « reconsidérer ses modes d’intervention » si elle veut être « le vecteur du changement d’un modèle de société ».
Lara Mace (avec Valeurs Vertes)
Contacter l’Ademe est un vrai poème. Pour répondre aux – paraît-il – très nombreuses demandes de la presse, l’agence a monté une usine à gaz digne des Shadoks. Lorsqu’un journaliste compose le numéro du service communication de l’Ademe, il tombe directement sur un sous-traitant, l’américain TB WA. Lequel trie les questions et, selon les sujets, en refile à un autre, Golin Harris. Et une semaine plus tard, quand l’article est bouclé, une fille vous contacte pour en savoir plus sur votre question. « Ce n’est pas la première fois que des journalistes nous disent que ce système d’externalisation est inefficace », confie-t-on à la direction de l’agence. Inefficace et sans doute coûteux. La Cour ne s’est d’ailleurs pas privée de pointer les curieuses dépenses de communication de l’Ademe, qui a claqué « près de 3,4 millions d’euros (…) entre 2004 et 2008, sans qu’aucun marché supérieur à 90 000 euros ait été formalisé ». Elle a fait le bonheur de l’annuaire des Pages jaunes en y achetant des pages de pub « pour un montant total de 611 000 euros hors taxes ». Et, en parallèle, « plusieurs directions régionales ont également conclu des marchés ou lettres d’achat avec ce prestataire ayant le même objet, pour un montant total de 183 200 d’euros, soit près de 30 % du total des marchés centraux du service de communication », note la Cour. Si avec ça on ne trouve pas le numéro de téléphone de l’Ademe, c’est à désespérer. Encore faudrait-il qu’il y ait quelqu’un au bout du fil ! ✹ Emile Borne