Le pouvoir central chinois dézingue patiemment mais sûrement les camarades rivaux de "la clique de Shangaï". Une saga débridée
Le 25 Septembre 2005, le vénérable, Chen Liangyu, 59 ans, se faisait proprement virer de son siège de Secrétaire du Parti Communiste Chinois de la municipalité de Shanghai et disparaissait pour un endroit inconnu en attendant un jugement à huis-clos pour corruption dans la gigantesque affaire du siphonage des fonds de pension publics de la ville. A première vue, rien de bien nouveau sous le soleil de Pékin : on coupe une tête ici ou là pour faire croire au bon peuple qu’on lutte vraiment contre la corruption et la structure du pouvoir chinois reste inchangée. Mais la chute du Camarade Chen n’est pas une opération de relations publiques version « socialisme de marché » comme une autre.
Tout d’abord, Chen Liangyu n’est pas n’importe quel lampiste : ancien maire de Shanghai, il reste, jusqu’à sa récente disgrâce, le dirigeant du Parti local et l’homme fort de la ville-vitrine du miracle économique chinois. Membre du Politburo national, l’organe suprême du Parti Communiste, où se prennent toutes les décisions qui comptent en Chine, Chen est surtout une des grandes figures de la « clique de Shanghai », surnom utilisé dans l’empire du Milieu pour décrire la camarilla issue de cette ville qui s’accapare l’essentiels des rouages du pouvoir sous la présidence de Jiang Zemin (1993-2003), lui-même ancien vice-maire de la mégalopole sur l’embouchure du Yang-Tse.
Il se trouve que Hu Jintao, l’actuel Président et successeur de Jiang ne fait pas partie de ce groupe, pas plus que son premier ministre Wen Jiabao. Hu fut notamment secrétaire du parti au Tibet où il gagna le doux surnom de « Boucher de Lasha » en réprimant les indépendantistes tibétains, bien loin des restaurants de luxe et des gratte-ciels futuristes dans lesquels s’ébroue l’élite politico-affairiste shanghaienne choyée par le régime de Jiang. L’arrivée au pouvoir de Hu se déroule donc dans le cadre d’une lutte à mort entre Jiang et sa « clique de Shanghai » d’une part (lesquels n’entendent pas renoncer au gâteau dans lequel ils mordent goulument depuis dix ans) et Hu et ses hommes de la « quatrième génération de dirigeants » de l’autre, brandissant en guise de mot d’ordre politique ce grand classique confuciano-maoïste : « ôte-toi de là que je m’y mette ! » Après avoir remplacé Jiang Zemin à la tête du Parti en 2002, Hu Jintao l’éjecte de la présidence de la République en 2003, puis de celle de la Commission Militaire Centrale (qui a la haute-main sur les forces armées) en 2004.
Chen Liangyu apparaît comme une des dernières victimes de ces règlements de comptes entre camarades. En privé, selon un mémorandum « secret » (qui circule opportunément dans toutes les salles de rédaction chinoises) concocté par l’agence officielle Xin Hua (Chine Nouvelle), Chen ne se gênait pas pour tenir jusqu’à son arrestation des propos acerbes envers Hu. Le mémorandum en remet une couche et l’accuse de « localisme shanghaien » (sous entendu : de manque de fidélité au gouvernement central de Pékin) et de « confusion idéologique » (lire : de ne pas applaudir assez bruyamment chaque idée du Président). En fait d’opération Mani pulite, l’éviction de Chen Liangyu n’est qu’un des derniers chapitres de l’ascension au pouvoir de Hu et des siens aux dépens de la « clique de Shanghai ».