Après le rapport Giazzi et au moment de l’ouverture ce jeudi 2 octobre des Etats généraux de la presse, de vilains mots circulent dans les couloirs de l’Agence France Presse. Changement de statut, ouverture du capital, privatisation… Les journalistes se demandent à quelle sauce ils vont être mangés par le gouvernement.
Dans son rapport « Les médias et le numérique » remis le 11 septembre à Nicolas Sarkozy, Danièle Giazzi, secrétaire nationale de l’UMP et conseillère du 16e arrondissement de Paris, n’évite pas les bourdes. En voilà une de taille : selon elle, l’Agence compterait 6000 journalistes – alors qu’elle n’en fait travailler que la moitié à peine, pigistes compris.
Impardonnable, pour celle qui n’est autre que la soeur d’une ancienne journaliste de l’AFP ! Michèle Folian, la soeurette de Danièle Giazzi, a quitté la rédaction en 2007, après avoir travaillé sur les secteurs Défense, Société et Economie, où elle était spécialisée dans les banques.
Cela n’empêche pas Giazzi de recommander « la transformation de l’AFP en société anonyme » (page 18). Car « l’AFP ne dispose pas de capital, ni d’actionnaires, seulement de dotations de fonds propres. Son statut lui interdit d’être directement subventionnée par l’État, ce qui mettrait en doute son indépendance. Elle dépend donc de ses seules ressources commerciales, mais 40 % de son chiffre d’affaires en 2004 provient des abonnements de services publics dépendant du gouvernement français », poursuit le rapport.
C’est un peu le problème de fond, la contradiction pourrait-on dire, de cette étrange entité (personne de droit privé) qu’est l’AFP : indépendante de par son statut depuis 1957, mais dépendante financièrement de l’Etat. Qui entend bien peser sur les décisions la concernant : 3 des 16 membres du conseil d’administration sont des représentants du gouvernement. D’autant que l’institution souffre d’un déficit quasi chronique : 2006 et 2007 ont permis de dégager un faible bénéfice après des années dans le rouge, mais son endettement atteint toujours plusieurs dizaines de millions d’euros.
Danièle Giazzi explique que la transformation en société anonyme, que le PDG de l’AFP, Pierre Louette (l’ex-conseiller médias de Balladur à Matignon, alors qu’un certain Sarkozy Nicolas était porte-parole du gouvernement), avait déjà évoquée en début d’année en faisant hurler les syndicats de la maison, doit lui permettre de « se doter d’un capital et de fonds propres, puis de pouvoir ouvrir son capital si nécessaire, afin qu’elle puisse améliorer son financement et développer sa migration vers le numérique ». La direction de l’Agence estime à 20 millions d’euros ses besoins financiers devant permettre un développement du numérique pour se mettre au niveau de la concurrence.
Pour la secrétaire nationale de l’UMP, il « semble également nécessaire de donner à l’AFP un actionnaire clairement identifié et stable ». La grande inconnue reste l’identité du futur actionnaire de cette entité très stratégique (troisième agence de presse mondiale derrière les américaines Reuters et AP, et présente dans 165 pays) qui « concourt à l’indépendance et au rayonnement de la France », selon Giazzi, qui semble confondre l’AFP et la soviétique Agence Tass. Bouygues, Lagardère, Bolloré… Qui, parmi les riches philantropes amis de notre omniprésident, se sacrifiera pour sauver le « rôle de service public » de l’Agence et continuer à « alimenter la Nation des meilleures informations possibles », toujours selon Danièle Giazzi ? A noter que Claude Goasguen, député de Paris dont Danièle Giazzi est la suppléante, avait lui aussi évoqué une « privatisation » de l’AFP avant l’été, lorsque l’UMP menait une charge en règle contre l’Agence, accusée de partialité dans la couverture de la politique française.
Très proche de Sarkozy, le bouillonnant Frédéric Lefebvre, député UMP des Hauts-de-Seine et porte-parole de l’UMP, avait à l’époque pilonné l’AFP en lui reprochant de ne pas reprendre ses communiqués, estimant que reprendre la bonne parole du parti au pouvoir était une obligation de l’Agence. Qu’il confondait lui aussi sans doute avec l’Agence Tass. Les attaques répétées de ce fervent adepte de la liberté encadrée de la presse avaient même provoqué une manifestation de protestation devant le siège de l’AFP de quelque 300 journalistes venus défendre leur maison. Une première.
Au moment de ces attaques, le PDG Pierre Louette avait pris la défense de sa maison. Il en a mollement remis une couche la semaine dernière devant le comité d’entreprise (CE), selon un participation à la réunion, en déclarant : « je ne me suis pas félicité du contenu du rapport Giazzi, mais il contenait néanmoins des appréciations très bonnes sur l’Agence », qualifiée de « référence en matière d’information ».
Un peu échaudé par son expérience du début de l’année, Louette n’a pas parlé de la transformation en société anonyme, mais d’un « toilettage du statut par déclassement (par décret, ndlr) de certains points qui sont dans ce statut : obligation de présenter un budget à l’équilibre, durée du mandat du PDG (actuellement de 3 ans, ndlr), et l’obligation que les représentants du personnel soient français », toujours selon un participant à la réunion. On notera que le rapport Giazzi évoque lui aussi la durée du mandat du PDG, préconisant de passer à 5 ans. Et Louette a confirmé la semaine dernière qu’il était candidat à sa succession – son mandat expire en fin d’année.
Plus intéressant, le PDG a évoqué devant le CE une autre piste que la transformation en SA pour consolider les finances de l’AFP : « émettre des obligations », ce que l’Agence pourrait faire sans changer de forme juridique – une obligation peut être émise par tout type d’organisme, public ou privé.
Reste le délicat problème du Contrat d’objectifs et de moyens (COM), que Louette est en train de négocier avec l’Etat. Le COM, quoi qu’on en dise, vise à une restructuration en douceur de l’Agence. Le 1er COM a sans doute permis de faire de 2006 et 2007 des années bénéficiaires, événement assez rare dans l’histoire de l’AFP. Cela ne s’est pas fait sans sacrifices : non remplacements de certains départs à la retraite, « redéploiements » de postes de province sur l’étranger, etc. Résultat, la rédaction fonctionne en flux tendu niveau effectifs, et le COM 2 est toujours en négociation alors qu’il aurait dû être finalisé il y a plusieurs semaines déjà. « J’ai dit aux autorités de signer d’abord le COM, on verra ensuite un éventuel toilettage du statut », a déclaré Louette la semaine dernière devant le CE.
Sous-entendu : le gouvernement avait fait de la révision du statut de l’AFP un préalable à la signature du COM. Ce qui prouve encore une fois que le chantage financier de l’Etat envers l’AFP n’est pas une légende.
Les syndicats de l’AFP sont puissants et n’entendent pas se laisser faire sans réagir. Non contents de siéger au conseil d’administration où ils ont deux représentants, ils savent mobiliser leurs troupes, comme l’a montré la manifestation d’avant l’été contre les attaques de l’UMP. Et ils ont réagi avec vigueur à la publication du rapport Giazzi. Dans un communiqué du 19 septembre, « l’intersyndicale (CGT-SNJ-FO-CFDT-CGC-SUD-CFTC de l’AFP) dénonce avec la plus forte détermination ces nouvelles propositions » et « appelle l’ensemble des salariés à se tenir prêts à riposter à nouveau si ces menaces devaient se préciser ».
Pour l’intersyndicale, « Le rapport succombe au dogmatisme idéologique qui prône la privatisation d’une entreprise peu rentable et remplissant une mission d’intérêt général et ne craint pas la contradiction, en recommandant l’entrée d’actionnaires, tout en affirmant que l’AFP ne doit pas tomber dans des mains étrangères. Ces propositions, si elles devaient être mises en oeuvre, mettraient à l’encan l’article 2 de notre statut, qui préserve l’indépendance rédactionnelle de l’agence. Rappelons que cet article précise, en partie, que l’AFP "ne doit, en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique" ».
Sarkozy a dû en faire une jaunisse : des journalistes soucieux de leur indépendance, en France, en 2008. Et tant qu’à faire, on va aussi les laisser écrire ce qu’ils veulent, voire faire preuve d’esprit critique ? Allons bon…
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Sarko aurait tort de se gèner ! Un bon coup de pied dans la fourmilière trotskyste …
Actuellement repère d’extrême gauchistes tendance "facteur" LCR, l’AFP est illégalement squatté par ces soi-disant journalistes de la gauche extrême ! Allez hop, dehors !