Les médias bruissent depuis plusieurs jours de la controverse opposant l’Agence France Presse (AFP) au sympathique porte-parole de l’UMP Frédéric Lefebvre. Il dit avoir été victime d’une censure de la part de la vénérable agence, dont le statut stipule dans son article 2 qu’elle est indépendante de tout pouvoir politique ou économique - allez voir, ledit article est affiché dans le hall d’entrée du siège, place de la Bourse à Paris.
Les faits d’abord. Début avril, Ségolène Royal est condamnée à verser des salaires non payés à deux anciennes collaboratrices. Réactions politiques de tous bords, l’UMP tombant évidemment à bras raccourcis sur l’ex-candidate socialiste à la présidentielle de 2007. Frédéric Lefebvre ne reste pas sur le bord de la route : le 11 avril, une dépêche de l’AFP reprend ses propos par lesquels il critique - c’est de bonne guerre, dirais-je - le comportement de Mme Royal envers ses anciennes collaboratrices. Mais il remet le couvert fin avril, envoyant un nouveau communiqué attaquant encore une fois Ségolène Royal sur cette affaire. Cette fois-ci, le service politique de l’AFP, estimant que le communiqué n’apporte rien de neuf, décide de ne pas traiter le communiqué.
J’estime de mon côté que ce choix a été le bon : l’AFP s’efforce en général de s’attacher aux faits pour traiter l’actualité (en interne, n’appelle-t-on pas les dépêches des ’factuels’ ?), et le fait que M. Lefebvre attaque Ségolène Royal dans cette histoire n’était effectivement pas nouveau, puisque déjà traité par l’AFP deux semaines auparavant. Mais ce n’est pas mon propos ici.
Deux remarques au passage. Un : Mme Royal avait elle aussi attaqué l’AFP en 2007, l’accusant d’être favorable à l’UMP, ceci tendant à prouver que l’Agence n’est que la victime collatérale d’une féroce guerre de saturation médiatique entre UMP et PS. Deux : il est assez piquant de se prendre une leçon de déontologie d’un homme tel que M. Lefebvre, qui n’hésitait pas par exemple en 2006 à mélanger allègrement les genres en faisant du lobbying, via sa société Pic Conseil, pour l’industrie du jeu alors même qu’il était conseiller du ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, qui était lui chargé de la régulation de ce secteur de l’économie. L’associé lobbyiste de M. Lefebvre avait même un bureau au ministère, avec secrétaire et téléphone, sans y exercer aucune fonction officielle. Voilà pour la déontologie.
Les réactions médiatiques à la controverse UMP-AFP ont été nuancées. Sur le site de Libération, Daniel Schneidermann écrit : « j’aurais plutôt tendance à donner raison à l’UMP ». Mais il justifie son jugement par des faits erronés. Un peu délicat lorsqu’on donne des leçons…
Dans la page Rebonds du Monde, Christophe Beaudufe, président de la société des journalistes de l’AFP, prend la défense de l’Agence. Et précise que « l’Etat est (le) plus gros client (de l’AFP), et qu’elle ne pourrait vivre sous sa forme actuelle sans le soutien des pouvoirs publics ». Le noeud du problème.
L’AFP est quasiment en déficit depuis sa création, même si elle a engrangé des bénéfices (assez faibles) en 2006 et 2007, aidée par la vente en crédit-bail de son siège social. L’information a un coût, surtout lorsqu’il faut entretenir un réseau dans 165 pays. Les journalistes de l’AFP sont viscéralement attachés à l’indépendance et l’impartialité de ’l’Agence’, comme nous l’appelons tous. Mais certains de ses dirigeants ont parfois fait, depuis le début de la geste sarkozienne (disons depuis sa véritable montée en puissance en 2004), quelques… compromis qui ont pu faire croire aux proches du président qu’ils jouaient « à la maison ». Je pourrais narrer quelques anecdotes sur certaines informations pas ou mal traitées sous la pression, mais là encore, ce n’est pas mon propos.
Pourquoi ces compromis ? Peur, dans un contexte financier délicat, de froisser le principal client (l’Etat) et de le voir diminuer ses abonnements, et donc les recettes engrangées. Peur pour certains directeurs de l’Agence de nuire à leur propre carrière en faisant des vagues (car on monte en grade à l’AFP de préférence lorsqu’on ne fait pas de vagues), surtout depuis l’entrée en fonction en décembre 2005 du nouveau PDG, Pierre Louette, proche de Nicolas Sarkozy (ils se sont connus au gouvernement Balladur, M. Louette officiant à Matignon et M. Sarkozy à Bercy). A noter cependant que M. Louette a pris la défense de la rédaction, sans hésitation et sans concession. Qu’il soit ici remercié de penser que la liberté de la presse ne se négocie pas.
Peur encore de certains hiérarques de l’Agence de se fâcher avec certains politiques qu’ils croisent parfois au hasard de dîners en ville. Peur, enfin, de se voir exclus du jeu de l’actualité en temps réel sur simple décision d’un politique froissé qui refuserait l’accès d’une conférence de presse à un journaliste jugé « incontrôlable », empêchant ainsi l’Agence de faire son travail, et ce dans un contexte très concurrentiel et - on y revient - financièrement tendu.
Au final, le bilan pour l’AFP est un peu gênant sur quelques points : je pense à des dossiers délicats pour l’actuelle majorité qui n’ont jamais été traités par l’Agence (par exemple, une affaire de casinos sur laquelle Bakchich n’a pas manqué de nous égratigner, à bon escient). Ma conclusion, toute personnelle, est la suivante : si les dégâts sont quasiment invisibles pour le grand public, et même pour une partie de la rédaction, l’équipe Sarkozy, qui scrute, analyse et manipule les médias comme personne ne l’avait encore fait en France dans le domaine politique, n’a pas manqué de remarquer notre tendance à l’autocensure et de l’exploiter parfois. Ce qui explique sa morgue et sa virulence aujourd’hui. Ce qui arrive est aussi notre faute. Nous nous étions endormis dans nos confortables fauteuils de la place de la Bourse. Si nous voulons le respect, il va falloir le regagner. Par l’excellence de notre travail et la fin des compromis. Avec les dents, quoi.
Daniel Schneidermann, notre confrère et néanmoins ami, nous fait l’honneur de nous citer dans sa chronique du jour sur son fort goutu site arretsurimages.net. Pour l’occasion, nous nous sommes abonnés. Cela valait le coup, Dany nous houspille un peu, nous reprochant un peu ce coup de boule où nous critiquons son côté donneur de leçons. Autre petite admonestation à notre encontre, l’anonymat de l’auteur de ce billet ; ou le fait qu’il ne précise pas les faits « erronés » sur lesquels Schneidermann appuie son raisonnement. Bah, qui aime bien châtie bien.
C’est sur que l’AFP est d’une parfaite neutralité… J’en veux pour preuve cet article au sujet de Berlusconi, avec la belle image qui va bien…
http://afp.google.com/article/ALeqM5i9kgPPCC6ZZem8HfiDvWM2RLQVTA
Si ceci n’est pas une manipulation grossière, je suis curé.
L’AFP indépendante ? Dans TF1, un pouvoir, Pierre Péan cite le pdg de l’agence dans une lettre à un chef du gouvernement des années trente : "c’est le secret de notre relation qui fait son efficacité".
Qu’à la base les journalistes soient indépendants, on peut le croire ; pas de chance, comme dans toute entreprise, organisation, syndicat, etc., c’est le sommet qui décide.
Je partage votre analyse : M. Lefebvre et ses amis auront estimé être mal payés.
M. Sarkozy a apparemment invité autour de lui tous les intermédiaires qui huilent les rouages des amis insulaires de son parrain. M. Verschave nous avait transmis d’excellentes analyses, il aurait dû travailler pour les services.
Daniel Schneidermann, a été le seul a reprendre l’information sur la journaliste de bakchich virée de l’Assemblée, après une question impertinente.
http://www.arretsurimages.net/vite.php ?id=600
ça reste à vérifier Pas de Bakchich à l’Assemblée ? Par la rédaction le 10/05/2008
Une journaliste de Bakchich, Virginie Roels, aurait été exclue d’une séance de questions à la ministre de l’économie Christine Lagarde, et son accréditation retirée, annonce le site.
Roels aurait été exclue sur demande de la présidente de l’Association des journalistes parlementaires, Sophie Huet, après avoir posé à Lagarde une « question gênante » sur les niches fiscales aux entreprises.
Si le fait est vrai, le silence des autres journalistes présents sur place est pour le moins étrange.
En tout état de cause, si vous voulez comprendre pourquoi Lagarde est mal à l’aise sur les niches fiscales, c’est ici.