Dans un courrier au personnel de l’agence, Emmanuel Hoog, PDG depuis seulement six mois, met sa démission dans la balance.
L’Agence France Presse serait-elle impossible à diriger ? Après six petits mois à la tête de l’AFP, Emmanuel Hoog vacille.
Dans un courrier interne adressé à ses personnels mercredi après-midi, que Bakchich publie en intégralité (voir plus bas), il se défend d’avoir des « projets cachés » pour l’Agence, « notamment celui de vider l’immeuble de la place de la Bourse pour déménager en catimini en banlieue. » Des « accusations » portées selon lui par « plusieurs syndicats » qu’il ne cite pas, tout en qualifiant ces propos de « mensonges » (…) « insultants ». Le PDG s’insurge qu’une « consultation (soit) en cours auprès des journalistes des desks texte à Paris sur une motion s’opposant au projet de déménagement rue Vivienne. »
Face à une telle situation, Emmanuel Hoog n’hésite pas à mettre sa démission dans la balance et explique dans sa lettre : « Sur la base du projet présenté par la direction, sur lequel le CE a déjà rendu un avis en juin dernier, le CHSCT doit être en mesure de rendre le sien dès vendredi. Il ne peut s’agir que du même projet sauf à commettre un dévoiement de procédure vis-à-vis du CE. Faute de quoi, je considérerais que ma parole n’est ni entendue, ni écoutée, ni respectée. Je serais le premier à en tirer toutes les conclusions sur mon maintien aux fonctions que j’ai l’honneur d’occuper aujourd’hui. »
« C’est totalement exagérée comme réaction, nous ne demandons que des infos claires sur le sujet, nous ne sommes pas contre le déménagement », commente un syndicaliste qui a souhaité garder l’anonymat.
Lancé alors que Pierre Louette était président de l’agence, le projet de déménagement soulève depuis longtemps déjà les inquiétudes syndicales notamment pour les coûts supplémentaires que celui-ci induirait. La location coûterait, selon le syndicat Sud, 1,6 million d’euros par an.
Selon le projet de la direction, l’agence devrait installer rue Vivienne dans le 2è arrondissement à Paris « un pôle d’édition regroupant les desks, le multimédia, la vidéo et la photo sur un étage, le sport et l’infographie sur un autre, avec la rédaction en chef au coeur du dispositif. »
Le ton de la lettre d’Emmanuel Hoog, plutôt remonté, révèle surtout qu’au-delà de la polémique autour du déménagement règne en ce moment une ambiance délétère au sein de l’agence. La semaine dernière, le syndicat SNJ CGT maison publiait un communiqué très violent dans lequel il dénonçait, exemple à l’appui, des cas de « censure », d’ « autocensure » et la « pression » de la rédaction en chef. Des problèmes relativisés par la direction de l’information.
« Le problème de Hoog, c’est qu’il a sous-estimé le choc qu’a été le départ de Louette », commente un journaliste de l’agence. Pour mémoire, en février dernier, Pierre Louette avait démissionné en cours de mandat à la surprise générale pour rejoindre France Télécom. Et le journaliste de rappeler perfidement que « Hoog a choisi l’AFP par défaut » faisant allusion à son souhait initial de diriger France Télévisions. Comme s’il n’avait jamais voulu intégrer la place de la Bourse.
A en croire la lettre d’Emmanuel Hoog, la décision que prendra le CHSCT ce vendredi à propos du déménagement sera décisive pour l’avenir du président. Contactée la direction de l’Agence n’a pas encore répondu à nos sollicitations. Dans un article du 3 septembre Le Monde assurait que Emmanuel Hoog avait « pacifié les relations sociales ». Force est de constater que ce n’est plus le cas.
Chère collaboratrice, cher collaborateur,
J’apprends qu’une consultation est en cours auprès des journalistes des desks texte à Paris sur une motion s’opposant au projet de déménagement rue Vivienne. J’apprends également que lors d’une réunion tenue mardi à l’initiative de plusieurs syndicats, la direction a été accusée d’avoir des " projets cachés ", notamment celui de vider l’immeuble de la place de la Bourse pour déménager en catimini en banlieue. Ces mensonges ne sont pas acceptables. Ils sont insultants. Je croyais avoir passé l’âge de revivre de manière aussi absurde et déloyale, la théorie du complot. Tout cela fait suite à une situation rocambolesque engagée depuis début septembre. Pour ne pas dire plus…
Je l’ai dit, je le répète et je le maintiens : le siège de l’agence restera place de la Bourse. Que vaut donc ma parole ? Pourquoi certains osent-ils proférer de telles inepties ? Dans quel but ?
Les interrogations sur les conditions de travail dans les nouveaux locaux sont bien sûr légitimes et le fait de travailler dans un nouveau lieu peut susciter interrogations et inquiétudes. Depuis plus d’un an, des dizaines d’heures de réunions, de consultations, de portes ouvertes, des dizaines de plans, des pages et des pages de documents ont apporté des réponses claires, sérieuses, construites et argumentées. Qu’elles donnent lieu à débats, rien de plus naturel. Après le débat, la décision. Après la décision, l’action : installer, rue Vivienne, un pôle d’édition regroupant les desks, le multimédia, la vidéo et la photo sur un étage, le sport et l’infographie sur un autre, avec la rédaction en chef au coeur du dispositif.
L’immeuble du siège sera rénové et modernisé. Ni abandonné, ni maltraité. Les conditions de travail de la rédaction à Paris auront ainsi été historiquement et profondément améliorées. Le maintien de l’emploi confirmé.
Le projet a sa cohérence. Elle a été discutée. Aujourd’hui, l’heure est à l’avis du CHSCT.
L’AFP reste et restera au coeur du IIe arrondissement. Tous les journaux parisiens ne peuvent en dire autant. Je rappelle que près de cent personnes sont déjà installées rue Vivienne. Deux cents autres environ doivent les rejoindre. Il est de mon devoir de conclure désormais rapidement cette implantation et d’avancer. D’avancer aussi sur les projets d’avenir, sur les milliers de projets qui attendent. La question n’est pas de savoir s’il faut déménager. Il s’agit d’un choix de la direction. La question n’est pas de pointer des gagnants et des perdants, une victoire ou une défaite. Il s’agit d’une évolution nécessaire réalisée avec le plus grand souci des conditions de travail de tous les personnels concernés. Personne ne peut le nier de bonne foi. Le même mouvement a d’ailleurs été largement réalisé dans de nombreux bureaux à l’étranger depuis des années.
Malheureusement, chaque jour qui passe apporte un nouveau fantasme, un nouveau plan caché, je le répète, une nouvelle théorie du complot. Je ne suis ni un comploteur, ni un menteur. Dans mes fonctions antérieures, toutes les heures de discussions syndicales et sociales que j’ai conduites n’ont jamais abouti à une telle dénégation de ma responsabilité et de mes engagements. Je le répète aussi, que vaut ma parole quand elle peut être si falsifiée ?
Enfin, comment puis-je diriger une entreprise si je ne puis m’appuyer sur des dispositifs collectifs fiables, respectueux de la parole de l’autre ? Chacun, à commencer par mes interlocuteurs syndicaux, attend, à juste titre que j’en sois le garant. Je ne joue pas. Je suis un homme de respect, de mes interlocuteurs, des procédures et de la parole donnée. Le mensonge, détestable, est une pratique que je ne tolère pas. Pas plus que je ne peux tolérer les propos désobligeants à mon égard et profondément nuisibles pour l’agence, colportés à l’intérieur et à l’extérieur : " On ne va pas le faire … tout de suite… On attend encore un peu… On en a vu d’autres… On est ici chez nous… Vous feriez mieux de prendre des gardes du corps… " Mais où sommes-nous ? Si cela fait rire certains, je dois le dire, je trouve cela aussi désolant qu’attristant et consternant.
Cette situation est d’autant plus insupportable que je me bats quotidiennement, en tout esprit d’indépendance, pour permettre à l’agence de se développer dans un contexte institutionnel difficile (où les conflits d’intérêt sont rois) et de gagner de nouvelles positions dans le monde numérique d’aujourd’hui et de demain. Je suis aussi un homme d’attachement et de fidélité. Mon parcours l’atteste. Les équipes que j’ai dirigées en témoignent, dans leurs diversités professionnelles, sociales et syndicales. Il y a, je le répète encore, tant de choses à faire ensemble. Mais la fuite en avant à laquelle nous assistons, marquée par l’irrésolution et l’irresponsabilité, conduit notre collectivité aujourd’hui à un dysfonctionnement social majeur qu’aucun déménagement de ce type ne peut justifier.
Je suis le premier responsable de l’agence. Je suis le garant de l’intérêt général qui ne se résume pas à la somme des intérêts particuliers de ses services, ni même de ses clients. Si je ne suis pas en mesure de faire prévaloir cet intérêt général, je ne remplis pas la mission qui m’a été confiée. Je ne me résoudrai jamais à l’inaction ni au statu-quo. Je suis là pour avancer. Avec vous. Chacun doit agir en responsabilité. Sur la base du projet présenté par la direction, sur lequel le CE a déjà rendu un avis en juin dernier, le CHSCT doit être en mesure de rendre le sien dès vendredi. Il ne peut s’agir que du même projet sauf à commettre un dévoiement de procédure vis-à-vis du CE. Faute de quoi, je considérerais que ma parole n’est ni entendue, ni écoutée, ni respectée. Je serais le premier à en tirer toutes les conclusions sur mon maintien aux fonctions que j’ai l’honneur d’occuper aujourd’hui.
Et c’est alors au 8ème Président en 25 ans que le CHSCT refuserait son avis…
Très cordialement.
Emmanuel Hoog