Une loi non écrite prescrit au journaliste de ne jamais poser de questions à un homme privé de liberté. Une loi dérogée par Christine Ockrent, jadis, en Iran, et aujourd’hui par Renaud Bernard, journaliste à France 2.
Filmer un homme privé de liberté, est une chose interdite. Tant pis, « France 2 » donne quand même gloire et travail à un reporter qui fait des interviews dans une prison. Les plus vieux ou les mieux informés vont me dire qu’il y a belle lurette que Christine Ockrent l’a fait ! C’est vrai, et c’est en 1979 que la femme de Kouchner a réalisé ce type d’entretien carcéral, « très controversé ». C’était dans l’Iran des fous de dieu débutants, alors que Renaud Bernard a accompli son scoop écroué en Irak.
Attention flash back, je risque de rabâcher… Nous sommes donc en 1979 et le merveilleux shah d’Iran, un descendant de Cyrus par l’escalier de service, grand démocrate et ami de l’occident – il ne fusillait guère qu’une poignée d’opposants chaque mois – est remplacé par un autre ange, l’Ayatollah Khomeiny. Nous passions de l’empire au divin.
Dans les prisons du Guide suprême tout nouveau tour beau, Amir Abbas Hoveyda se morfond un brin. Ancien Premier ministre du shah, il n’a pu se sauver à temps du paradis qu’il ne gouverne plus. En un coup de fourgon cellulaire, Hoveyda est passé du caviar aux lentilles. Dans le grand bastringue de Téhéran passe alors une petite blonde teigneuse avec une caméra : Christine Ockrent. Les barbus lui ouvrent la porte de la prison d’Erevan, la terrible maison d’arrêt de la capitale. Le scoop est là au bout d’un couloir, enfermé dans l’infirmerie de la taule où on a aménagé une cellule. C’est un petit bonhomme à tête ronde qui s’appelle Hoveyda.
Moteur ! La caméra de Christine tourne et les questions pleuvent, cruelles mais justes. Du genre ça ne vous fait pas un peu mal au bide de ne pas avoir été un démocrate modèle ? Puis d’autres interrogations sur la qualité de la soupe. Hoveyda fait le rassuré. A la recherche du temps perdu, il parle de Proust et ne se plaint pas de ses gentils gardiens, de ces merveilleux « juges »….
Quatre semaines plus tard, paf ! Les amis de l’ayatollah Sadeq Khalkhali massent l’homme du shah d’une balle dans la nuque. Et qui, maintenant, a l’air idiot et même un peu dégueulasse ? Christine Ockrent et sa « Troisième Chaîne » qui l’emploie. En effet, il existe alors une loi non écrite qui prescrit au journaliste de ne jamais poser de questions à un homme privé de liberté. Une règle renforcée après que des chasseurs de scoops aient cuisiné des prisonniers bouclés au Viet Nam. Les images de Hoveyda, chahuté sur un ton que personne n’applique à Sarkozy, sont dures à avaler. Résultat premier, les journalistes gueulent contre Ockrent. Résultat second, dans toutes les écoles de journalisme on enseigne aux étudiants à ne jamais poser de questions à un homme qui n’est pas libre…
Il faut croire que Renaud Bernard, un Michaël Kael de France 2, n’a jamais été à l’école. Ou qu’il était malade le jour du cours… Le 18 mars, au cœur d’un journal de 20 heures enveloppé par Pujadas, cet Ockrent mâle nous a entraînés dans la taule de Falloujah. Le sujet était construit sur le mode : « dormez en paix, tout va bien, les méchants sont en prison ! ». Ce Bernard, et son cadreur, nous ont montrés, je cite, « des membres d’al-Qaida ». Des pauvres types filmés comme des bêtes de ménagerie. Puis dans un autre coin de la prison, où ils poussent tels les champignons de couche, on a pu examiner de près une autre variété de « terroristes », dixit Bernard. Miracle des droits de l’homme, on a pu apprendre que la soupe n’était pas bonne et constater que le mètre carré était parcimonieux.
Question : d’où Renaud Bernard sait-il que ces prisonniers sont des « membres d’al-Qaida » et les autres des « terroristes » ? Certes tous ces garçons sont arabes, c’est donc sans limite qu’on peut les frapper avec des mots et des images. Alors que Bernard et son pote sont comme vous, nus et ignorant la vérité sur ce magma humain. Même si « la violence en Irak a baissé de 90% » comme le proclame le reportage, personne ne nous a encore informés que ce pays soit devenu la Scandinavie, conduit par un pouvoir vétilleux sur le respect de la liberté, et peuplé de juges intègres. Renaud Bernard estime sûrement que le procès fait à Saddam est une telle caution de justice que la foi des flics et magistrats de Mésopotamie suffit à vous estampiller « al-Qaida » ou « al-autre chose » ? Pour France 2 et Pujadas, les types filmés dans leurs cellules sont donc les poules d’un élevage en batterie. Donc inutile de « flouter » leurs visages, comme on le fait pour les prisonniers détenus en Europe. Manquerait plus que le « terroriste » ait un « droit à l’image » ! Bien content qu’il doit être le taulard mahométan de passer à la télé.
Un jour ancien, au cours d’une bataille, j’ai entendu un photographe demander à un artilleur de rebalancer un obus sur la gueule du type d’en face. Histoire de faire une plus jolie photo : « One more please ». Sachez donc que la presse, c’est comme la Samaritaine, on y trouve tout…
Imaginez que l’énervé que l’on voit s’agiter devant la caméra des confrères de Pujadas et d’Arlette Chabot, soit pendu demain… Au prétexte qu’il a déclaré à l’antenne : « Moi j’ai balancé une bombe contre un général américain ». Car, parfois, les mots sont mortels.
Personnellement je vous avoue, le juge Brugière ayant quitté sa noble charge, que je suis incapable de vous dire si Renaud Bernard est membre de « Youkaïdi » ou de « Youkaïda » ? Ce que je sais c’est qu’il est mûr pour postuler à « France 24 », cette CNN française fondée par Chirac : c’est la boîte que dirige (à prix d’or) Christine Ockrent.
Lire ou relire sur Bakchich.info :
Je ne chercher pas à défendre Christine Okrent, mais ce n’est pas un peu lui chercher des poux dans la tête ?
Quant à cette "loi non écrite", allons donc, il n’existe aucune interview de prisonnier réalisée ces dernières années par un journaliste ?
On n’a jamais interrogé JM Rouillant en prison ? On n’a jamais interrogé Allègre en prison ?
Il y a tellement de contre exemples, ou plutôt d’exemples qui montrent que Okrent n’a pas fait pire ou mieux que les autres, que cet article se voit totalement vidé de sa substance.
Ne mélangeons pas tout. Christine Ockrent est très critiquable pour son avidité, j’en conviens. Mais pas pour avoir violé la prétendue loi dont il est question dans cet article.
Car enfin, qu’est-ce qu’une « loi non écrite » ? Qui l’a instaurée ? Et pourquoi devrait-on s’y plier ?
En fait, on a là l’équivalent d’un dogme religieux, et rien d’autre. Et c’est tout aussi inepte que « Tu ne mangeras pas de viande le vendredi », ou « Tu te torcheras de la main gauche », ou « Tu ne feras pas cuire le veau dans le lait de sa mère » (pour traiter sur le même plan les trois religions monothéistes).
L’interview, c’est comme les relations sexuelles : entre adultes consentants, tout est permis. Si le prisonnier a émis le vœu d’être interviewé, s’il trouve un journaliste pour recueillir ses propos, et si le directeur de la prison est d’accord (oui, je sais, voilà une relation sexuelle à trois, comme dans Les dieux eux-mêmes d’Asimov), qui donc aura le droit moral de s’y opposer ? Et au nom de quoi ?
Dans un pays démocratique, genre Irak, un directeur de prison, un chef flic et chef bourreau contraint un prisonnier à "recevoir" un journaliste et à lui réciter un couplet du genre "tout va bien mais je suis un gros salaud"… Le sémillant journaliste débarque avec sa caméra et enregistre le libre propos de "l’adulte consentant". Manque de pot, quinze jours plus tard, le même adulte est coupé en deux sur la base des "aveux" faits devant le "journaliste"… Ce n’est pas une fiction,mais la sanglante réalité d’un "reportage" confié à des chasseurs de scoops. Cessez d’imaginer Bernard Tapie, en prison à la Santé, et racontant sa vie à Fogel…
JM Bourget
JM Bourget
Interviewer un prisonnier, je ne vois pas où est le mal. Du moment que l’intervieweur ET le prisonnier sont d’accord, qui a le droit de s’en mêler ?
Si une loi l’interdit (à vérifier, ça ressemble à un de ces bobards qui traînent partout), c’est une loi idiote.
Voici le texte qui règle le comportement des journalistes "sincères et honnêtes". Je souligne en gras les points de référence qui, par conséquence, interdisent de filmer et de questionner un prisonnier…La seule dérogation possible pour poser des questions à ce type de personnes, est que l’entretien se fasse dans sa langue, en présence d’un avocat clairement désigné par le prisonnier, en absence de tout gardien et d’appareils d’enregistrement placés par l’administration…
JM Bourget
Charte des devoirs professionnels des journalistes français (1918)
Un journaliste, digne de ce nom :
prend la responsabilité de tous ses écrits, même anonymes ;
tient la calomnie, les accusations sans preuves, l’altération des documents, la déformation des faits, le mensonge pour les plus graves fautes professionnelles ;
ne reconnaît que la juridiction de ses pairs, souveraine en matière d’honneur professionnel ;
- n’accepte que des missions compatibles avec la dignité professionnelle ;
s’interdit d’invoquer un titre ou une qualité imaginaires, d’user de moyens déloyaux pour obtenir une information ou surprendre la bonne foi de quiconque ;
ne touche pas d’argent dans un service public ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d’être exploitées ;
ne signe pas de son nom des articles de réclame commerciale ou financière ;
ne commet aucun plagiat, cite les confrères dont il reproduit un texte quelconque ;
ne sollicite pas la place d’un confrère, ni ne provoque son renvoi en offrant de travailler à des conditions inférieures ;
garde le secret professionnel ;
n’use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée ;
revendique la liberté de publier honnêtement ses information ;
- tient le scrupule et le souci de la justice pour des règles premières ;
- ne confond pas son rôle avec celui du policier.
Paris, Juillet 1918 - révisée en 1939.