Nos amis de Causette sortent leur numéro d’été le 13 juillet. Et Bakchich se fait une joie de reprendre leur gueulante bimestrielle. Aussi appelée éditorial.
Abandonner mes enfants sur l’autoroute et cacher le corps de mon mari dans un fourré, c’est vrai, c’est pas ce que j’ai fait de mieux en ce début d’été. Me suis emportée. Juste après, j’ai incendié la voiture, non sans y avoir placé le cadavre d’une marginale esseulée qui, la malheureuse, me ressemblait. Me laissant pour morte, j’ai décollé avec un faux passeport vers un paradis offshore. Il fallait bien ça pour détourner l’assurance-vie conjugale au détriment de mes orphelins. Se préparer une retraite décente, c’est aujourd’hui un sacré défi !
Mais rassurez-vous, mon mari n’a pas trop-trop souffert, a priori. Quant à mes têtes blondes, elles trouveront probablement une famille d’accueil rieuse et honorable. La Dass, c’est comme une colonie, m’a-t-on dit. Les vacances avaient pourtant bien commencé mais, soudainement, sur la route, ça a mal tourné : un flash info sur la réforme des retraites à la radio, et j’ai disjoncté.
J’y apprenais que les femmes – dont les retraites sont déjà inférieures de 38 % à celles des hommes et, pour la moitié, sous la barre des 900 euros par mois – allaient encore se trouver discriminées par la réforme. On fait des enfants et ça, ça fait perdre du temps. Et le temps, c’est de l’argent : d’après les copines d’osezlefeminisme.com, « 64 % des enfants de moins de trois ans sont gardés par un parent qui cesse le travail, la mère dans plus de 98 % des cas. Et pendant ce temps-là, le compteur des trimestres de cotisation ne tourne plus. » Le raisonnement donné pour justifier la réforme : la crise, la finance, les traders, les fonds pourris, l’État endetté, les vieux qui se reproduisent de plus en plus vite. Tout ça, c’est très compliqué et, si on ne paye pas maintenant, on va finir par le payer. Ah bon. Que nous devions travailler jusqu’à 67 ans pour avoir une retraite pleine, vu le retard accumulé, c’est cette idée qui m’a précipitée dans le crime et l’arnaque à l’assurance-vie. Vous ne m’en voudrez pas trop. Mon nouvel environnement, maintenant que je suis en cavale, c’est un monde de vice, de peur, de trahison et de bandits, de mafias, d’espions, d’assassins et de trafiquants. Un monde noir, glauque, dangereux et effrayant. Ce monde qui émerge quand l’individualisme et la loi du plus fort prennent le pas. Quand la violence expulse la confiance. Allongée sous les vagues, quelques grains de sable joueurs me frottant le dos, glissant entre mes seins et me gommant la peau, je me régale. Je suis une femme fatale.