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Petit truand deviendra grand

Ciné / mardi 25 août 2009 par Marc Godin
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L’ascension sociale d’une racaille, formée par la prison."Un prophète", le meilleur film de Jacques Audiard.

Prophète : « Personne qui prétend révéler des vérités cachées au nom d’un dieu dont elle se dit inspirée. »

Jacques Audiard est un magicien, capable de vous manipuler et de vous hypnotiser avec n’importe lequel de ses tours. Dans Sur mes lèvres, l’héroïne, interprétée par Emmanuelle Devos, était secrétaire ET sourde. Cherchez l’erreur… Dans Un prophète, il transforme le Viking Niels Arestrup en parrain 100% corse. Et pourquoi pas Jean Reno en génie ou Jean-Marie Bigard en curé (ah, on me dit que c’est déjà fait) ? Pourtant, malgré son talent et la force brute de ses scénarios, je n’ai jamais été totalement emballé par Audiard fils. Ses films sont scénarisés jusqu’à l’os, cadrés au millimètre, même dans les décadrages : Audiard fait dans le cinéma millimétré, sur-fabriqué, ultra-maîtrisé, mais l’on aperçoit les coutures, les racines, les buts (le bourgeois parisien qui veut devenir le Scorsese français, alors qu’il vaut tellement mieux). Depuis Sur mes lèvres, Audiard s’est lancé dans le polar à l’américaine (il appelle ça film de genre). C’est virtuose, haletant, mais le plus souvent distancié, dénué d’émotion. Quatre ans après l’exercice de style De battre mon cœur s’est arrêté, Jacques Audiard revient de Cannes avec dans son chapeau le Grand prix pour Un prophète et une critique absolument dithyrambique. Voyons voir…

Entre les Corses et les Barbus

Gros plan. La gueule tuméfiée, enfermée dans le cadre serré de la caméra, Malik El Djebena, 19 ans, d’origine maghrébine, va plonger. Il a planté un flic et doit purger six années de prison. Un mâton lui demande de se déshabiller, Jacques Audiard va le mettre à nu durant 2h35. Analphabète, sans famille, sans appui, la jeune racaille devient aussitôt la proie d’un gang de Corses. Pour ne pas être exécuté, il va devoir égorger un autre détenu. Humilié, rabaissé, il devient le larbin de César Luciani, le caïd de la prison. Café, ménages, corvées, Malik fait tout, mais il va survivre sous l’œil des matons corrompus, et surtout résister en silence, apprendre à lire et à écrire, s’initier à la langue Corse, tisser ses propres réseaux avec le gang des Arabes, monter des coups dans et hors de la prison. Grâce à l’administration pénitentiaire, le petit truand deviendra grand.

Audiard regarde des hommes tomber

Complexe, subtil, mais en même temps viscéral, électrique et anxiogène, Un prophète est de loin le meilleur film de Jacques Audiard. Son scénario est une bombe à fragmentation. S’il se défend d’avoir écrit « un film de dénonciation », il dépeint la prison comme l’école du crime, « une métaphore de la société » où des hommes, analphabètes, sauvages, racistes, organisent leur survie sur la base de comportements violents et d’instincts communautaristes. Comme dans Le Trou ou les meilleurs thrillers américains (Don Siegel, Raoul Walsh, Stuart Rosenberg…), Un prophète nous plonge tête la première dans l’enfer carcéral avec la méticulosité d’un entomologiste.

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© DR

On y apprend comment dissimuler une lame de rasoir dans sa bouche, faire entrer de la dope dans la prison, survivre aux différents gangs (« Tu parles avec les Barbus, tu parles avec les Corses. Tu fais le grand écart, toi, c’est pas bon pour les couilles ça, tu sais »). Très malin, Audiard accumule les clichés, pour mieux les retourner  : les Corses qui parlent, avé l’assent, de code d’honneur, sont des racistes psychopathes ; la pègre maghrébine, qui se prévaut de sa foi dans l’islam, n’est guère mieux. Ici, il n’y a qu’un dieu : le pognon. Et des fauves en cage prêts à tout pour mettre la main dessus.

Dans cet ailleurs qui ressemble furieusement à la société française, Audiard revient sur ses thèmes de prédilection, ses obsessions. Il explore une nouvelle fois les failles, les lignes de fuite d’un univers très masculin, des personnages boiteux qui tentent de réécrire leur vie, des hommes qui tombent… et se relèvent. Comme d’habitude, Audiard ne peut s’empêcher de tourner autour de la figure paternelle. D’ailleurs, tout son cinéma semble hanté par l’ombre écrasante de Michel Audiard, et ici encore, l’histoire entre Malik et César, des rapports de soumission d’une violence absolument inouïe (le coup de la petite cuiller pour arracher un œil), forme le cœur du film. Le père indigne finira par tomber, le fils spirituel, couronné, sera enfin debout : c’est un peu l’histoire de Jacques Audiard et de son père, surtout après le sacre de Cannes, non ?

Tahar Rahim, lumière d’un film très noir

Doté d’un scénario en béton armé, Jacques Audiard se permet toutes les audaces stylistiques. Des gros plans caméra à l’épaule qui enferment les personnages et murent le spectateur au plus profond du huis clos, l’œil de la caméra qui se referme sur un détail de l’image (le mot « Canard » dans un livre de lecture) et laisse tout le reste dans le noir comme dans un film muet de Murnau, des mots qui s’inscrivent sur l’écran (Economie, Les yeux et les oreilles, Jordi le gitan, Ryad…) comme le chapitrage d’un roman à tiroirs, la plongée dans l’irrationnel avec le personnage du fantôme de l’Arabe tué par Malik qui revient lui faire causette… On est une nouvelle fois dans la fabrication, mais ça marche, même si Audiard ne peut s’empêcher d’en faire trop.

Vers la fin, il répète trois fois une scène de permission à l’extérieur et se régale avec une séquence d’action brillante, un flinguage dans un 4X4, avec Malik qui se transforme en Bruce Willis, le sourire aux lèvres. Peu probable, mais très fort. Audiard parvient néanmoins à faire passer tout le reste, vu la force de l’histoire, le talent du directeur de la photo, du chef déco, de l’ingénieur son et de son sublime casting. Car en plus d’être un grand scénariste, un bon réalisateur, Jacques Audiard est un excellent directeur d’acteurs. Seul acteur connu de la distribution, Niels Arestrup, comédien à la filmo plutôt embarrassante (Francis Girod, Gilles Béhat, Hervé Palud, Sophie Marceau : ouille…) est dément en vieux caïd corse en fin de course. Les nouveaux venus - Hichem Yacoubi (le fantôme), Reda Kateb (le gitan), Adel Bencherif (Ryad) et bien sûr Tahar Rahim (Malik) qui porte le film sur ses épaules – vont, je l’espère, changer la face un peu trop blanche de ce cinéma français sclérosé et consanguin qui n’en finit plus de nous imposer les mêmes têtes. « Tahar Rahim est de tous les plans ». Et il est époustouflant. Il est la lumière de ce film très noir, l’émotion qui manquait tant au cinéma de Jacques Audiard. Ce que l’on voit pendant 2h 35, c’est la trajectoire de Malik, mais aussi, et c’est très beau, très rare et très émouvant, la naissance d’un acteur. Un grand.

Audiard, prophète du cinéma français ?

Pour revenir au titre, Jacques Audiard a déclaré que celui-ci ne lui plaisait guère. Il aurait voulu trouver l’équivalent de « Gotta serve somebody », la chanson de Bob Dylan (« Well, it may be the devil or it may be the Lord
But you’re gonna have to serve somebody »). En désespoir de cause, il a transformé son titre Le Prophète en Un prophète. J’imagine mal un perfectionniste comme Audiard, qui ne lâche rien sur le plateau, insatisfait de son titre. Et si le prophète, c’était lui, et que son dieu, c’était le cinéma ?

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4 MESSAGES

Forum

  • consensus dur
    le jeudi 10 septembre 2009 à 19:38, monique bernardini a dit :
    ras le bol des éloges sur "un prophète" mal construit,mal filmé,trop long seuls le scénario et le comédien s’en sortent des gros plans mal choisis du sang qui gicle comme dans une sérieB le même jour j’ai vu heureusement du vrai cinéma d’auteur:inglorious bastards et ordinary people ,de vrais auteurs qui savent comment et pourquoi poser les problèmes encore un mot sur audiard:je ne comprends pas l’arabe et je ne peux pas juger la langue arabe dans le film mais je peux affirmer ,étant corse que le corse parlé dans le film est totalement risible et que je n’ai jamais entendu des corses parler ainsi
  • Petit truand deviendra grand
    le jeudi 27 août 2009 à 15:52, benoit a dit :
    Film magnifique, sobre, efficace, maîtrisé : un des meilleurs films de l’année 2009 pour moi.
  • Petit truand deviendra grand
    le mercredi 26 août 2009 à 14:28, Phil2922 a dit :
    Marc Godin, l’eau à la bouche vous m’avez donné pour aller voir Un Prophète… !
    • Petit truand deviendra grand
      le mercredi 26 août 2009 à 15:14, Marc Godin a dit :
      Très content vous allez être quand vous aurez vu ce Prophète !
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