Qui donc, à part une vieille rombière qui a assis sa profession dans un fauteuil de satin, peut se payer une heure trente de soin par jour ?
Merci, merci Grazia d’avoir écrit un article sur la difficulté d’être une « wonder-woman ». Quelle belle prise de conscience ! Il fallait que ce magazine existe pour qu’on lève le voile sur ce problème de fond : non, en vrai, une femme n’a pas le temps de faire 5 footings par semaine + une manucure et des soins du visage, avec l’épilation bien sûr, sans oublier le coiffeur pour brushing et mise en pli… Tout en travaillant et s’occupant des enfants. Ah, j’oubliais : la « wonder-woman » serait aussi une formidable femme et maitresse à la fois. Mais ouf, nous voilà rassurées : difficile de cumuler tous ces atouts à la fois. C’est ainsi qu’on apprend que Johanna, 31 ans, n’est pas « une machine sexuelle », et qu’elle favorise souvent un sommeil réparateur à une partie de jambes en l’air. Voilà, ça, c’est dit.
Quant à l’attrait d’une femme capable de mettre une crème hydratante réparatrice anti-cernes et vieillesse, tout en prenant un petit déjeuner détox à base de fruits pour ne pas grossir, suivi du sport régénérant tout en faisant réviser leurs leçons aux enfants du premier mariage de son mari ? Est-ce toujours possible ?
Compter déjà les heures à prendre soin de soi, hop moins une heure trente par jour (en étant gentille), sans tenir compte de l’aspect financier (qui ? qui, à part une rédactrice de luxe d’un magazine féminin qui vit encore dans les salaires d’une époque révolue où le journalisme précaire n’existait pas ? Qui donc, à part une vieille rombière qui a assis sa profession dans un fauteuil de satin, peut se payer une heure trente de soin par jour ?). Et tout le monde acquiesce à cette dictature affligeante de la culture physique. Personne pour s’en offusquer. On vous regarde même de travers quand vous avouez ne pas avoir le temps, ou pire, de ne pas mettre cela au coeur de vos préoccupations quotidiennes. Ou alors on nous a caché que la femme moderne ne gagnait en fait son pain que pour être au top de l’attractivité. Si elle s’est émancipée financièrement, c’est pour ne plus avoir de compte à rendre à son mec sur l’argent du couple qu’elle dilapide en crèmes, soins, fringues et autres sottises pour plaire à « Môôsieur » (lui, ça l’horripile quand il y pense !).
C’est ça l’égalité des sexes ? Gagner de l’argent pour surtout, SURTOUT rester une femme attractive ?! Prendre soin de soi pour rester séduisante ? Jouer le jeu des magazines qui retravaillent leurs images au photoshop pour qu’on ait toujours envie de vous faire travailler (et pardon d’avance de la vulgarité : ou pour vous sauter ?) ? Mais que c’est laid, que c’est vilain de développer en douce cette culture de la compétition sous le prétexte fallacieux de « se » faire du bien ?
Pire, tout ce que cela développe, c’est une culture démesurée du moi et de l’individualisme. Tout autre femme devient une rivale parce qu’elle est plus jeune, parce qu’elle FAIT plus jeune, plus mince, plus friquée, plus branchée… Pire, si elle cuisine et s’occupe bien des enfants, on (nous autres idiotes !) la regarde de travers à la recherche de ce qui pourrait un peu la faire flancher ; la faille. Mais non elle n’est pas si belle que ça, et c’est d’ailleurs probablement une chieuse. Ou encore : « ce n’est pas possible, il y a forcément quelque chose qui cloche… ». Mais qui parle de l’intellect ? de son intérêt en tant que personne ? de ce qu’elle nous apporte -ou pas ? De ce qu’elle a lu ? De ce qu’elle nous a appris ? En outre, qui aurait le temps de lire quoi que ce soit avec un emploi du temps pareil ? Où ? Au salon de coiffure ? Chez la manucure ?
Passons le fait que le sentiment amoureux puisse éventuellement éviter tous ces écueils et clichés malheureux. Tout le temps passé à prendre soin de soi est également un temps qu’on ne passe pas à s’intéresser à l’autre. Comment donc tisser le lien amoureux ? En se regardant vieillir dans le miroir ?
À croire que Grazia et autres magazines féminins n’aient jamais entendu parler de Narcisse ? (ceci dit, s’ils passent le temps donné à prendre soin d’eux, ils n’auront en effet jamais rien lu sur Narcisse.). Et ces journaux se vendent. Plutôt bien. Plutôt même très bien.
Je déplore que certaines femmes aient pris le relais d’hommes ploucs, beaufs et vulgaires pour commenter le cul des autres. Que personne ne s’élève pour dénoncer l’abrutissement vers lequel cet idéal de wonder-woman nous conduit. Et quand je dis nous, je ne parle pas seulement au nom des femmes mais de la société. Car c’est elle la première qui en sera victime. Société d’imbéciles obsédés par leur propre image. L’autre ne compte plus. Pire, c’est un ennemi que je préférerais, soit anéantir soit totalement ignorer. Le paradoxe nous touche en outre déjà : ça donne un pays qui voudrait de la solidarité tout en espérant être mieux loti que son voisin. Qui se donne la main quand il a peur, et part l’essuyer quand il se sent rassuré.
Beurk.
Et au final, le sentiment d’insécurité continue son chemin autodestructeur.
Nous allons mal, non ?
ceci dit, s’ils passent le temps donné à prendre soin d’eux, ils n’auront en effet jamais rien lu sur Narcisse.
Rassurez-vous, ces VRP ne trouvent pas le temps d’essayer tous les produits qu’ils vantent dans leur magazine. Ils ne les connaissent pas plus que l’employé du marketing qui leur a demandé de faire une page sur son produit. Il en est de même par exemple pour le vendeur de tapis
Ils ne font que cracher ce que leur patrons leur disent de cracher sur le papier, à savoir une RECLAME. Le problème, c’est qu’on ne s’étonne même plus de retrouver la même entité comme propriétaire et client.
Je suis néanmoins d’accord avec votre vision de cette propagande du bien-être qui commence à dater… et mériterez un bon lifting ?