La vie de chien d’un enragé, en prison depuis plus de trente ans. Un choc absolu par le réalisateur surdoué de Pusher.
Dans une cave, un homme et un chien. Deux animaux enragés. L’homme, torse nu, cent kilos de haine, arbore une boule à zéro rutilante et une superbe moustache, entre le Hell’s Angel et le costaud de Batignolles. En face, le molosse tenu en laisse, sûrement un Rottweiler, aboie frénétiquement, se cabre en avant pour partir au combat. L’homme n’est pas en reste, il hurle un frénétique « COME ON », serre les poings, fonce en grognant. L’ami des bêtes lâche son clebs rendu furieux : les deux fauves se ruent l’un vers l’autre. Fondu au noir…
Si Médor n’a pas dû faire long feu, l’homme s’appelle quant à lui Michael Peterson, mais il a pris pour nom de guerre, ou nom de scène, Charles Bronson, en hommage au héros sévèrement burné d’Un justicier dans la ville. Jeté derrière les barreaux en 1974 pour le vol à main armée d’un bureau de poste qui lui a rapporté moins de 30 livres sterling, Bronson croupit toujours dans une prison de Sa Majesté. Obsédé par la célébrité, Bronson a toute sa vie voulu être différent, décrocher un titre de gloire. A force de bourre-pifs sur ses voisins de cellule et de démontages de matons, Bronson a obtenu celui du « Prisonnier le plus dangereux du Royaume-Uni ». En contrepartie, il a sacrifié sa liberté (il n’est resté qu’une centaine de jours à l’extérieur depuis 74) : il a donc passé trente-cinq ans en prison, dont trente confiné en cellule individuelle et a été condamné en 2000 à la prison à perpétuité à cause d’une prise d’otage sur un de ses profs. Il est aujourd’hui incarcéré au quartier de haute sécurité de Wakefield. Il a 56 ans.
Voici donc le destin terrifiant et pathétique de Charles Bronson, sociopathe, star des détenus britanniques, pauvre type incapable de supporter l’autorité ou de « fonctionner » hors d’une prison. Derrière la caméra, Nicolas Winding Refn, 39 ans, metteur en scène danois de Pusher, trilogie sur des prolos du crime, trois films violents, quasi-documentaires, qui donnent aux polars opératiques et complaisants de Scorsese un sacré coup de vieux. Comme son héros, NWR cogne fort, sans répit, frappe au plexus, bastonne son malheureux spectateur qui ressort proche du K.O.
Refusant l’hagiographie ou le portrait à charge, NWR nous embarque vers des chemins peu fréquentés, dans l’esprit tordu de son narrateur et son film s’apparente à un trip labyrinthique, limite expérimental. Il n’en fallait pas moins pour tenter de cerner ce personnage multiple, à la fois monstre et victime, acteur et bouffon, « héros » un poil plus complexe que l’ectoplasme Dillinger de Public Ennemies. Pour ce faire, NWR utilise la rhétorique et la grammaire kubrickienne et son film-matrice est Orange mécanique, ni plus, ni moins.
Comme Stanley Kubrick, NWR parle de la nature humaine, du libre-arbitre, du conditionnement. Pour la forme, il reprend certains motifs ou certaines séquences du Kubrick, notamment la violence stylisée, théâtralisée, la composition symétrique des cadres ou l’utilisation de la musique de Verdi, Puccini, Wagner ou New Order entre contrepoint de l’action, comme la IXème de Beethoven dans le chef-d’œuvre de Kubrick. Pour faire le malin et aller vite, on pourrait dire que Bronson est le meilleur film de Stanley Kubrick depuis sa mort.
Film sous (grosse) influence, Bronson explore également d’autres territoires. Notamment ceux du corps et de l’humanité. Dans Orange mécanique, Alex le héros n’était qu’une marionnette, un symbole, à qui Kubrick le démiurge faisait commettre viols et crimes avant le passage par la case prison et le traitement Ludovico. Bronson est quant à lui un être de chair de sang. Prolo bas du front, il va lutter toute sa vie pour devenir un homme. En cognant, en éprouvant son corps, en massacrant les autres. Sa vie n’est qu’un long chemin de croix, sanglant et dérisoire, vers la célébrité, pas si éloignée de celle d’un boxeur qui doit exécuter tous ses concurrents pour gagner une ceinture, un titre de champion du monde, le respect.
L’autre axe passionnant de Bronson, c’est la description des corps. Comme dans Scorpio Rising de Kenneth Anger, NWR érotise au maximum le corps de son héros, montagne de muscles, entre camionneur moustachu du troisième type et icône gay. Souvent nu, éjaculant le sang par tous ses orifices, Bronson est un bloc de viande, un pénis sur pattes. Comme Cronenberg, NWR semble fasciné par ce corps ouvert et filme ses plaies, ses stigmates : ses phalanges explosées, ses arcades béantes, son crâne défoncé… L’humanité, c’est cela, un corps qui saigne, de la barbaque !
Si j’ai beaucoup parlé du talent éclatant de Nicolas Winding Refn qui vient de boucler Valhalla Rising – le guerrier mystérieux, une histoire de vikings avec son acteur fétiche, Mads Mikkelsen (le méchant qui pleure des larmes de sang dans Casino royale), il me faut également évoquer l’acteur Tom Hardy. Beau gosse un peu terne vu dans RockNRolla de Guy Ritchie, Hardy compose un personnage d’une puissance extraordinaire, entre clown et psychopathe. Une performance insensée, anthologique, du niveau de celle de Jack Nicholson dans Vol au-dessus d’un nid de coucou, de Robert De Niro dans Raging Bull ou d’Eric Bana dans Chopper.
Pour finir, un petit mot sur le vrai Michael Peterson, alias Charles Bronson. Depuis sept ans, il n’a plus de comportement violent. Après avoir explosé ses semblables pendant trois décennies, il a troqué l’hémoglobine contre la gouache et semble avoir enfin trouvé sa voie : l’art. Trente ans pour comprendre qu’il était un artiste dans l’âme… Il a écrit plusieurs best-sellers, dont un guide des prisons britanniques, un recueil de poèmes et un manuel d’entraînement physique en espace réduit (Bronson fait quotidiennement 2500 pompes par jour !), peint, dessine, et ses œuvres sont maintenant exposées dans le monde entier.
Si vous en avez envie, vous pouvez les découvrir, ou les acheter, sur bronsonloonylogy.com.
Et si jamais vous vouliez lui écrire après avoir vu ce grand film implacable, malade et sidérant, voici l’adresse du bonhomme :
BT1314
Bronson
CSC Unit (The Cage) 5 Love Lane
HMP Wakefield
Wakefield West Yorkshire WF29AG
Angleterre
A lire ou relire sur Bakchich.info
"Bronson" de Nicolas Winding Refn, avec Tom Hardy, Amanda Burton, Matt King, Terry Stone, Hugh Ross, Matt Legg
En salles le 15 juillet
Naughty,
Si vous avez aimé ce grand film du danois Nicolas Winding Refn, vous allez adorer son nouveau chef-d’œuvre, Le Guerrier silencieux, qui sort en mars. Un truc monstrueux, hypnotique, quelque chose comme "Aguirre" au pays des Vikings. Enorme !
Pour ma part je me suis pris une grosse claque.
Un grand film très bien réalisé, une photographie impeccable, un acteur vraiment surprenant. J’ai été hypnotisé pendant tout le film.
Merci d’arreter de comparer ce film à Orange mécanique ou autre. Ce film s’appele Bronson et n’est pas un remake.
Je n’avais pas vu aussi puissant depuis "Hunger". J’en redemande (surtout en cette période ou il n’y a que des films insipides "pour la famille" ).