La critique « intelligente » avait conspué le trouble Soleil de Satan (de Maurice Pialat, 1987) – et elle massacre depuis trente ans l’admirable réalisateur d’Un homme et une femme (Claude Lelouch, 1966). Elle va sans doute adorer ce film de cantine – n’y voyez point de mépris : mais enfin, il faut savoir où commence et où s’arrête, comme disait Bresson le « cinématographe ».
Je rappelle sa définition : le cinéma, c’est ce qui fait ce que seul le cinéma peut faire. C’est-à-dire, ni un documentaire, ni un téléfilm, ni un roman, ni une exposition de photos, ni une représentation théâtrale. C’est là que le cinéma trouve sa spécificité, sa puissance, son plaisir et sa dignité. On ne peut imaginer ni Pialat filmant en numérique la vie d’un séminaire, ni Lelouch embauchant des enfants de maternelle pour étudier leur réussite scolaire et leurs états d’âmes. Certes, on a récompensé une fiction – mais faut-il que la notion même de fiction se soit exténuée dans l’indigestion de fictionnettes que la télé nous livre chaque soir, en nous traînant dans des commissariats névrosés, des hôpitaux travaillés par le sexe, des prétoires sentimentaux, pour que la vertu de celle-ci soit d’être « documentaire » ? Un bout de sociologie ? Une rallonge à La marche du siècle ? Un bout de « cinéréalité », décliné selon la méthode des chaînes les plus obsédées par les jeux de rôles dans notre société ?
Non, pardonnez ma déception. Je n’ai pas vu le film – mais je n’avais pas vu les précédents Dardenne (Ndrl : deux palmes d’or) non plus et, quand ils sont sortis, je me suis tiré avant la fin. Quand Ken Loach filme la crise, il est cinéaste ; d’autres filment leur compassion sociale, et là, à entendre les interviews, je ressens les effluves abominables de la curiosité pour nos chers fauves, ces « jeunes » de toutes les couleurs si nuls et si géniaux à la fois, « bien qu’un peu agités », comme le dit l’un de leurs cornacs. Dans Tarzan, on montrait des « sauvages » ; là, plongée chez les sauvageons (sous les auspices de Françoise Dolto !) ; hier, on récompensa Le Monde du silence ; là, on annonce « sous la tchatche, un coeur gros comme ça ». L’aventure ? Mon cher, ce n’est pas le réjouissant Indy, c’est le cours de français en troisième B. Curieuse démarche, qu’on sent rebattue (Entre les murs rappelle les Hauts murs, Le Mur, bref, les zonzons fascinent, et l’école, c’est, disent certains, le zonzon de la République), « intéressante » peut-être – mais digne des plus hautes récompenses du cinématographe ? A priori, ce mot me paraît bien éloigné de ce qui m’amène au cinéma. Vous diriez, d’Autant en emporte le vent ou d’Un Singe en hiver, que c’est « intéressant » ?
D’un autre côté, je préfère encore ça qu’une récompense au mythique Garrel (Philippe), génie depuis 1968 mais formidablement ennuyeux et définitivement sans public, dont les derniers produits semblent avoir pour seul avantage de faire tourner son fiston, avec l’élégance vintage du noir et blanc et de la longueur extravagante d’une pellicule qu’il se refuse à découper. Parfois, je me demande pour quelle raison le cinéma a honte de ses meilleurs films, et sélectionne obligatoirement au moins une merdouille pour le Festival (en 2007, Les Chansons d’amour de Christophe Honoré, avec – déjà ! encore ! – Louis Garrel : qui l’a vu ?). Alors que chaque année, de vrais cinéastes s’efforcent de faire de vrais films avec de vrais acteurs et un vrai scénario – sur une « bonne histoire », comme disent les Américains. Pensez à tous les films que vous avez aimés – et qu’on a boudés.
Finalement, l’idéal, ce serait de récompenser chaque année le dernier Frères Coen : on serait sûr de passer un bon moment de cinéma en allant le voir… Un bon film, cela se sent de loin, comme un bon coq au vin : là, on se contentera peut-être d’un cocorico. Rendez-vous en octobre, et si j’étais de mauvaise foi, je vais le voir deux fois.
Mettons une dernière fois les choses au point : JE NE SUIS PAS JOURNALISTE (ni en titre, ni en carte), JE SUIS CHRONIQUEUR : JE PROPOSE MES TEXTES A B., MAIS CE NE SONT NI DES REPORTAGES, NI (en l’occurrence) DES CRITIQUES DE CINEMA. Cette rubrique, intitulée "Coup de boule", n’est pas la page "cinéma" , mais traite de faits de société et d’actualité. OK ? Mes derniers papiers parlaient de boucheries chevalines, de bouteilles en plastiques, de fautes d’orthographe etc.
Y A-T-IL UN SEUL MOT, dans ce texte, qui dise que Les Hauts murs est un mauvai ou un bon film ? Marre de me faire faire la leçon par des "puristes" à la noix, moi, je suis comme le public, je n’ai pas vu le film, j’ai seulement entendu de grands cocoricos, du bruit, j’ai vu des plumes voler et c’est de cela que je parle.
Quand je vois un drôle qui "révèle" que Zéro de conduite et La Cage aux oiseaux, c’est pas le même genre - tout en ayant pour sujet : des endfants dans une école (d’où : film cantine, avec, en toutes lettres : "n’y voyez aucun mépris"), je lui demande s’il est OK pour parler de road movie seulement pour Thelma et Louise (réalisé, je le rappelle, par le futur auteur de Gladiator, Ridley Scott, donc un cinéaste que les snobs classent parmi les remplisseurs-de-salles-abruties américains …), mais pas pour le reste des films où l’on roule sur des routes pendant 90 minutes ? Et l’autre, qui me refile une leçon de Bresson ? C’est qui, le cuistre ?
Non, décidément, mauvais procès. Il faut lire ce que j’ai écrit, et c’est tout. A mon avis, cette volée de mauvaise foi ne trouve là qu’un prétexte : l’aigreur, la cuistrerie, l’insolence ne sont pas de mon côté. La pression pour exiger de l’"intellectuellement correct" est encore pire que celle du politiquement correct : nous ne sommes pas dans les Cahiers du cinéma, ni dans un bulletin paroissial, ni au stage "connaissance du cinéma" du club du troisième âge de Villeneuve-les-Pinsons.
Et j’ai parfaitement le droit de préférer No country for old men ou The Barber à Rosetta et aux Amants réguliers. Je crois même que cette préférence est d’une grande banalité. C’est dire si je suis cuistre !
Salut Séverin,
je repassais de temps en temps en quête d’une réponse… que voilà enfin !
Le plus drôle, c’est qu’à la base on a le même énervement : rien de plus con dans les réactions à cette Palme que les cocoricos enamourés des médias franchouillards - à égalité avec les finkielkauteries d’usage. Là où on n’est plus d’accord, c’est que pour faire de l’esprit tu t’installes confortablement dans cette deuxième catégorie, à mes yeux pas plus reluisante.
je passe rapidement sur le film de cantine, relis-toi : n’y voyez point de mépris : mais enfin (…) le reste de notre échange est dans les commentaires précédents. Dis-moi, cher, c’est bien toi qui a fait le mariole avec Bresson et son "tographe", sans trop savoir où tu mettais les pieds, ou je me gourre ?
Quand à Ridley Scott, l’honnêteté me pousse à préciser qu’il n’a pas réalisé que des chefs d’œuvres (Aaah ! 1492…) Mais pour te répondre, oui, je suis navré, il y a plus de cohérence à définir un road movie (déplacement, errance, construction par étapes en chemin de croix, la route comme "seul" lieu d’action, dilatation du temps et de l’espace… ce n’est ni forcément made in USA, ni nécessairement motorisé) qu’un film "de cantine" ( ?).
ceci précisé, si par malheur, si tu ne vois pas dans ton… "billet d’humeur" à quels endroits tu laisses entendre que tu subodores qu’Entre les murs devrait être un mauvais film… voir un film malhonnête… voir ne devrait pas être considéré comme un film !
allons, reprenons : "film de cantine (…) il faut savoir où commence et où s’arrête, comme disait Bresson le « cinématographe » [j’adore le "tographe"]
je te fais grâce des autres gentillesses intermédiaires nées de ta plume…
je ressens les effluves abominables de la curiosité (…) Curieuse démarche, qu’on sent rebattue (…)
« intéressante » peut-être – mais digne des plus hautes récompenses du cinématographe ? (… tographe !)
le cinéma a honte de ses meilleurs films, et sélectionne obligatoirement au moins une merdouille pour le Festival [au fait, je connais des lycéens en LP à Calais qui ont adoré les Chansons d’amour, la "merdouille"] Alors que (…) de vrais cinéastes s’efforcent de faire de vrais films avec de vrais acteurs et un vrai scénario par opposition, donc, au film que tu n’as pas vu. Non ?
Et pour finir : Un bon film, cela se sent de loin… Ah bon ? C’est quoi ta recette ? Parce qu’en 10 ans de boulot, je t’avoue, j’ai toujours du mal à "sentir de loin"…
cordialement
Spino penaud…
Un mec qui porte aux nues Lelouch, mais qui ne va pas voir les films des frères Dardenne, et qui traite de "film de cantine" un film dont il ne sait que ce qu’on en a dit.
Je sens que je vais désormais faire l’économie de lire Bakchich, ce qui me donnera le droit de clamer partout que c’est du journalisme de maçon.
Vous avez été rachetés par Bouygues ?