Course-poursuite entre un proxénète et un serial killer virtuose du marteau. Un premier film haletant et cruel.
Chronique ciné du mardi
Depuis une petite dizaine d’années, quelques-unes des plus belles claques ciné nous proviennent de Corée, pays du matin pas si calme. Parmi les cogneurs en chef, Kim Ki-duk (Bad Guy, Locataires…), Bong Joon-ho (Memories of Murder), Kim Jee-woon (A bittersweet Life) et bien sûr l’idole des branchouilles, le très roublard Park Chan-wook (Old Boy).
Ces réalisateurs énervés produisent un cinéma singulier, souvent transgressif, et n’aiment rien tant que dynamiter le film de genre, tordre le cou à la grammaire cinématographique (je pense à Kim Ki-duk ou Park Chan-wook) et faire saigner l’écran avec des œuvres viscérales, d’une violence rare (voir n’importe quelle scène de Old Boy ou de Sympathy for Mr. Vengeance). Si The Chaser de Na Hong-jin, nouveau venu de 34 ans, ne va pas bouleverser la face du 7ème art à la manière d’une œuvre de Kim Ki-duk ou d’Im Kwon-taek, c’est en tout cas un vrai coup boule et la révélation d’un talent étincelant.
Ancien flic viré pour corruption, Joong-ho s’est reconverti dans un métier d’avenir. Suivant le précepte « Travailler plus pour gagner plus », notre homme est devenu… maquereau. Armé d’un portable, il aboie des ordres à un assistant demeuré qu’il surnomme gentiment « Tête de nœud », manage à coups de pompe une équipe de call-girls, prend les rencards, dispatche les filles, distribue les mandales aux mauvais payeurs… La routine, quoi. Quand des filles de son réseau disparaissent, Joong-ho mène l’enquête, histoire de ne pas laisser bousiller son outil de travail. Mais lorsqu’il comprend que toutes les victimes avaient rendez-vous avec le même client, Joong-ho se met en tête de retrouver Mi-jin, partie faire une passe avec le tueur présumé, un serial killer souriant, poli, mais absolument terrifiant…
The Chaser est un roller-coaster. Deux heures de frappes répétées dans le plexus, de rebondissements, de montées d’adrénaline, de fausses pistes, de coups de théâtre tordus, dans une ambiance pluvieuse et glauquissime à la Se7en. On en sort comme si on était passé dans le tambour de la machine à laver, mode cycle long. En fait, le film est une longue course-poursuite, un truc speed, pensé et construit pour mettre les personnages et les spectateurs hors d’haleine. Très malin, Na Hong-jin révèle vite l’identité du serial killer, qui se fait arrêter par les flics, et se concentre sur l’énergie, la puissance de deux forces antagonistes en mouvement : le mac et le tueur qui tente de lui échapper pour finir une victime avec son marteau. Même s’il marque une pause dans un commissariat ou avec des scènes bizarrement burlesques, Na Hong-jin fonce pied au plancher vers une fin énorme. Excellent metteur en scène, il se révèle un scénariste sous influence (il a dû revoir Se7en en boucle, mais aussi Memories of Murder, New York, 2 heures du matin ou la série « 24 heures chrono »), mais il est capable d’écrire des séquences tétanisantes. Au début, son anti-héros jette une de ses filles dans la gueule du loup et la call-girl doit le prévenir avec son téléphone une fois dans l’antre du monstre. Mais bientôt, celle-ci se retrouve piégée dans la salle de bain : son portable ne passe pas ! C’est simple, efficace, effroyable. Na Hong-jin ponctue son film d’idées tordues, mais se plante néanmoins avec deux coups de théâtre ratés (que je vous révélerai pas) qui gâchent un peu le plaisir. Mais qui ne parviennent heureusement pas à ternir ce film noir et lumineux, un des thrillers les plus efficaces vus depuis des lustres.
Cinéphile distingué, William Friedkin me confiait un jour (j’en connais du monde, n’est-ce pas ?) que la course-poursuite est la quintessence de l’art cinématographique. Pas de blah-blah, pas de psychologie, juste des images et du son, des lignes qui fuient sur grand écran. Sur rythme épileptique, Na Hong-jin en fignole une des plus belles. Et des plus sombres. Dans chaque plan, dans chaque cadrage, l’on sent une énorme envie de cinéma, comme quand Bong Joon-ho transfigure le film noir (Memories of Murder) ou Park Chan-wook repousse les limites du ciné et du bon goût avec Old Boy. Malgré son sujet glauque et le calvaire du personnage féminin principal (attention, certaines scènes sont vraiment TRES cruelles), The Chaser est donc un objet ultra-jouissif. Avant le remake américain, écrit par William Monahan (Les Infiltrés) et interprété par Leonardo DiCaprio, faites-vous plaisir : offrez-vous l’original.
Lire ou relire sur Bakchich.info :
« The Chaser », de Na Hong-jin avec Avec Kim Yoon-suk, Ha Jung-woo, Seo Young-hee
Sortie en salles le 18 mars.
Voui.
The Chaser met d’entrée une belle claque. Puis une deuxième. Puis une troisième. Et encore une. Et encore, et encore ! Du concentré d’énergie, le Red Bull du cinéma.
À côté d’un cinéma hollywoodien arthritique et boursoufflé (dieu que The Watchmen est long, long, long - et moche !), d’un cinéma européen qui, malgré le talent, n’en finit pas de courir après son histoire (dieu que Desplechin est chiant - passionnant mais chiant !), y’a pas, les asiatiques sont en train de prendre 20 ans d’avance ! Films de genre, films intimistes, films de recherche : tout ce qui se crée d’un peu original ou de foudroyant est là. Les coréens (aaaaah ! The Host, le troisième volet de Tokyo), mais pas que ! Si vous doutez, foncez voir Tokyo sonata, le dernier film de l’improbable Kyoshi Kurosawa : exceptionnel !
bises
S.