Il y a une dizaine d’années, l’intellectuel Américain d’origine palestinienne, aujourd’hui disparu, publiait un article intitulé « La Troisième Voie ». Il y prônait un projet de confédération judéo-arabe.
Trois années après l’assassinat d’Yitzhak Rabin par un extrémiste juif, Edward Saïd, tirant les leçons de la primature calamiteuse de Benyamin Netanyahou sur le plan de la paix au Proche-Orient, affirmait que les accords d’Oslo s’étaient révélés « foncièrement inopérants et impraticables ».
Depuis, les faits n’ont cessé de lui donner raison. Les Premiers ministres israéliens qui lui ont succédé, Ehoud Barak, Ariel Sharon et Ehoud Olmert, ont multiplié obstacles et humiliations à l’égard aussi bien de l’Autorité que des populations palestiniennes. Robert Malley, un des conseillers de Bill Clinton, a fort bien expliqué (dans un long article publié dans la New York Review of books en 2003 : « Camp David and After : An exchange (a Reply to Ehud Barak ») comment Barak a volontairement saboté la paix en 2000 à Camp David devant un Clinton passif sinon complice.
Puis, succédant à Barak, Ariel Sharon, avant de sombrer dans un coma profond, a porté le coup de grâce à Yasser Arafat, précipitant du même coup l’ascension du Hamas. Avec Olmert, on pouvait s’attendre à quelques progrès. Il n’en fut rien. Voulant sans doute se montrer à la hauteur de son prédécesseur, le nouveau chef du gouvernement israélien s’est d’abord lancé durant l’été 2006 dans la triste aventure libanaise enfonçant un peu plus le pays du Cèdre dans la misère tout en subissant de lourdes pertes face à un Hezbollah sorti renforcé de l’épreuve.
Avec le malheureux Mahmoud Abbas, successeur de Yasser Arafat à la tête de l’Autorité palestinienne, bien disposé à tous égards envers Washington et Tel-Aviv, Olmert aurait pu faire quelques gestes afin de réduire la tension dans toute la région. Il ne bougea pas le petit doigt. Bien au contraire, après la victoire du Hamas aux élections de 2006, victoire prévisible compte tenu de l’impuissance de Mahmoud Abbas, la répression israélienne a repris de plus belle confortant le pouvoir sans partage de la formation islamiste à Gaza.
Ainsi, selon l’expression d’Edward Saïd, le terme de « paix » est plus que jamais « un mot désormais discrédité, voire frauduleux (…) Comment peut-on décemment continuer à parler de « paix » alors qu’Israël ne cesse, à force de pouvoir et d’arrogance, de démolir, d’interdire, de confisquer les terres, de procéder à des arrestations et de pratiquer la torture ? »
Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy vient crier sur tous les toits que le Hamas « porte une responsabilité lourde dans la souffrance des Palestiniens de Gaza ». Comment peut-on affirmer une telle contre-vérité sinon en ignorant totalement l’histoire récente tragique de ce petit territoire surpeuplé ! Le président français a-t-il mesuré ce que représente depuis près de deux années le blocus inhumain imposé à un million et demi de Gazaouis par un Israël qui n’a pas accepté le résultat des élections ? A-t-il oublié les nombreux assassinats ciblés de dirigeants du Hamas ? Ce même Hamas et ces mêmes islamistes que les dirigeants israéliens ont longtemps discrètement poussé pour affaiblir Arafat… Pouvait-on imaginer que ce parti allait accepter sans réagir les agissements brutaux de Tsahal ? Comment oublier que, depuis de très nombreuses années, la politique israélienne, dans les territoires occupés comme à Gaza, a paralysé l’activité économique et commerciale, empêché tout développement et transformé les Gazaouis en une population d’assistés dépendant entièrement de l’aide internationale ?
Lucide, Edward Saïd écrivait déjà en 1998 que « pour défaire l’injustice », il fallait « créer davantage de justice et non pas de nouvelles formes de surenchère du type : « Ils ont un Etat juif, nous voulons un Etat islamique " ». « Nous ne pouvons gagner cette bataille, ajoutait-il, en souhaitant que les juifs s’en aillent ou en prônant l’islamisation : nous avons besoin de ceux qui, de l’autre côté de la frontière, sont partisans de notre lutte. Nous nous devons de franchir cette ligne de séparation que les accords d’Oslo ont, entre autres, consacrée et qui maintient une situation d’apartheid entre juifs et Arabes en Palestine. La franchir et non pas la renforcer ».
En dépit de leur énorme puissance militaire, les Israéliens n’ont toujours pas réussi à obtenir la sécurité qu’ils souhaitent. Et les carnages auxquels nous assistons depuis une dizaine de jours n’y changeront rien. Là aussi, leurs dirigeants seraient bien inspirés d’écouter certains de leurs historiens. Israël, notait récemment Tom Segev, « « frappe les Palestiniens pour « leur donner une leçon. C’est un leitmotiv qui a accompagné l’entreprise sioniste depuis ses débuts : nous sommes les représentants du progrès et des lumières, d’une rationalité distinguée et de la morale, tandis que les Arabes sont une foule primitive et violente, des enfants ignorants qu’il faut éduquer, auxquels il faut enseigner la sagesse par la méthode, bien sûr, de la carotte et du bâton » ».
De même que la politique américaine au Moyen-Orient et dans le monde musulman a entraîné au cours des dernières décennies un essor considérable des mouvements islamistes, de même le comportement des dirigeants israéliens depuis la disparition d’Yitzhak Rabin a conforté les courants islamistes à commencer par le Hamas. La Palestine historique est ainsi encombrée d’extrémistes, juifs et musulmans — sans oublier les chrétiens évangélistes américains, meilleurs soutiens des colons juifs fanatiques — qui laissent présager un sombre avenir pour toute la région.
C’est ici que « la troisième voie » préconisée par Edward Saïd prend toute son actualité. Se démarquant aussi bien de la faillite d’Oslo que des politiques absurdes et inhumaines de boycottage, elle nécessite, disait Saïd, « tout d’abord, d’être conçue en termes de citoyenneté et non de nationalisme, dans la mesure où la notion de séparation (Oslo) et d’un nationalisme théocratique triomphaliste, qu’il soit juif ou musulman, ne répond ni ne traite des réalités qui nous attendent. Ce concept de citoyenneté implique que tout individu bénéficie d’un même droit, fondé non sur la race ou la religion, mais sur une égalité de justice garantie par la Constitution, concept inconciliable avec la notion largement dépassée d’une Palestine "purifiée" de ses "ennemis " ».
L’impasse dans laquelle se trouve toute la région a conduit à de déplorables dérives allant aussi bien du racisme anti-arabe de nombreux Israéliens à l’antisémitisme de beaucoup d’Arabes, y compris parmi les intellectuels. « Une chose, soulignait déjà il y a dix ans Saïd, doit être claire : nous ne combattons pas les injustices du sionisme pour les remplacer par un nationalisme odieux (religieux ou civil) qui décréterait les Arabes de Palestine plus égaux que d’autres ».
Selon le professeur disparu, le combat qui doit être mené est « un combat pour la démocratie et l’égalité des droits, pour un Etat ou une République laïque », dont tous les membres seraient citoyens égaux, « et non pas un faux combat inspiré d’un passé mythologique et lointain, qu’il soit chrétien, juif ou musulman ». « Le génie de la civilisation arabe, concluait-il, trouve son apogée dans l’Andalousie pluriculturelle, plurireligieuse et pluriethnique. Voilà un idéal à suivre en lieu et place d’un processus d’Oslo moribond et d’une attitude malsaine de rejet négationniste ».
Aujourd’hui, le projet de confédération judéo-arabe auquel songeait Edward Saïd peut paraître utopique. Mais, dans la mesure où l’ensemble de la communauté internationale rejette la voie du tout répressif, voie sans issue adoptée par les dirigeants israéliens, dans la mesure également où la création d’un petit Etat-bantoustan palestinien à la botte d’Israël apparaît de moins en moins crédible ou réaliste, il serait irresponsable de ne pas envisager de nouvelles formules permettant de sortir, par étapes, de l’impasse actuelle.
Quelle que soit sa puissance militaire, Israël ne pourra pas indéfiniment lutter contre la montée en puissance des régimes arabo-musulmans ou la démographie palestinienne. Plus que jamais, selon le mot du général israélien pacifiste Matatyahou Peled, les seules frontières de sécurité d’Israël ne pourront être que des frontières de paix.
A lire ou à relire sur Bakchich.info :
Bien sûr que cette troisième voie serait l’idéal pour tout humaniste. Mais les barbus excités ou les allumés à papillote qui brandissent leurs livres "Saint" et leurs fusils seront toujours prêt à s’entretuer ! Quand on vit avec l’idée qu’un Terre nous a été donné par "Dieu", qu’est-ce que la rationalité d’Edward Saïd peut y faire ?
On sait que cette guerre ne finira jamais. Ca n’a rien à voir avec les guerres Franco-allemandes. Ce n’est pas une guerre uniquement territoriale, économique ou politique. On se bat à coups de versets du Coran ou de la Bible ! Aller expliquer aux 500 000 colons de Cisjordanie ou aux dignitaires du Hamas qu’ils vont coexister dans un seul Etat garantissant l’égalité de tous ! Non, cette région est vouée à la violence et à la mort, parce que c’est "Dieu" qui tire les ficelles !
C’est certainement la meilleure des idées possibles.
Il y manque juste un très léger détail qui est le consentement des peuples…
Je dois dire que j’ai un peu de mal à imaginer israéliens et palestiniens s’enthousiasmant à l’idée de créer ensemble et en même temps une sorte de super Liban !!!
A part cette broutille tout ceci est parfait.
Edward Said défend un idéal existant chez nombreux sionistes de gauche, voir même chez les mouvements progressistes et révolutionnaires en Israel. Ainsi que par les plus progressistes en Israel.
Et pourquoi pas, défendre un état ne se basant pas sur la religion ou l’origine, mais sur la citoyenneté et les droits de l’homme ?
Maintenant, le problème est que les nationalismes et les conflits des dernières années ont contribués à l’établissement de deux patriotismes distincts, et de nombreuses différences entre Palestiniens et Israéliens.
Peut-être le premier pas serait de construire un état Palestinien viable et démocratique - sans corruption et opression interne et externe à cet état. Ensuite, par des partenariats et des coopérations contribuer à renforcer l’amitié entre tous les états et peuples vivants dans ce coin du monde.
On peut être un brin utopique - mais qui aurait pensé il y a 80 ans, qu’un jour francais et allemands vivraient en paix en Europe ?