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Etre juif après Gaza

Essai / dimanche 27 décembre 2009 par Jacques-Marie Bourget
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Un an après l’offensive israélienne sur Gaza, Esther Benbassa propose une question intrigante et des réponses discutables.

Cet opuscule d’Esther Benbassa porte un titre étrange : Etre juif après Gaza. Et pourquoi ne pas l’être ? Etre juif n’est rien d’autre que revendiquer l’appartenance à une grande religion. Ainsi on peut être juif et réprouver la politique de l’état d’Israël, on peut aussi avoir une famille élevée en continuité dans le judaïsme et revendiquer son athéisme, sa non implication avec les décisions du gouvernement de Tel Aviv.

C’est pourquoi la question posée par ce livre, qui se veut scientifique puisque publié sous la bannière du CNRS, est intrigante. Après Arthur Koestler, l’historien israélien Shlomo Sand l’a démontré, « le peuple juif n’existe pas ». Il a été « inventé », au XIXe siècle par les théoriciens du sionisme. A son origine, la religion juive a été comme les autres monothéismes, c’est-à-dire prosélyte. Les berbères du Maghreb sont devenus juifs quand des religieux venus de Palestine les ont convertis. Des peuples du Caucase, où de ce qui deviendra l’Ukraine, ont fait de même, comme d’autres au Moyen Orient, dans ce qui sera le Yémen, l’Irak, l’Iran…

Ce qui n’empêche pas, dans son petit livre, Esther Benbassa de perpétrer la légende d’une « diaspora » qui n’a jamais existé. Les ancêtres de Jean Daniel, le patron de l’Obs, sont des berbères et sont les mêmes que ceux de l’écrivain kabyle Kateb Yacine. Ce serait bien que madame Benbassa, du CNRS, tienne compte d’un certain nombre de vérités de l’histoire. Non, les juifs n’ont pas été expulsés d’Israël par Titus en 70. Cette croyance, comme d’autres, n’est qu’un mythe.

Pourquoi pas leur taper sur la gueule

Bien sûr, aux yeux du lecteur occidental pas très bien informé, le bouquin d’Esther se veut « généreux », je veux dire que la savante ne trouve pas très bien d’avoir tué 1500 Palestiniens, victimes d’un blocus, au prétexte qu’ils se sont un peu énervés en balançant des roquettes, militairement stériles, sur Israël.

Mais, au fil de son discours, surgissent les poncifs classiques : « le développement menaçant du fondamentalisme musulman », « le terrorisme nourri d’une haine irraisonnée de l’occident », « les diktats du Hamas », autrement dit, pourquoi pas leur taper sur la gueule. Le stéréotype de l’arabe lâche, celui qui a laissé en 56, ses godasses dans le désert, n’est pas absent : pendant la guerre de Gaza « les hommes du Hamas se sont cachés ou enfuis ». On trouve aussi la condescendance pour « les erreurs de jeunesse des Palestiniens », alors que ceux-ci se battent depuis cent cinquante ans pour leur indépendance, pour ne parler que de la lutte contre les Ottomans ou les Anglais !

Entrés dans l’histoire ?

On peut détester le Hamas, mais on n’a pas le droit, quand on est au CNRS, d’ignorer l’histoire du nationalisme palestinien : il n’est pas né avec la création d’Israël. « Les Palestiniens sont-ils en état de faire des projets d’avenir ou d’écrire leur propre histoire… », nous dit Esther Benbassa. D’abord « projet d’avenir » est un pléonasme, deuxièmement, ils disent chiche !

Parfois l’auteure dit une chose et son contraire. Un exemple : « Israël est comme toutes les autres nations… mais se doit d’être différent des autres nations, ne serait-ce que pour être à la hauteur de l’amour que les juifs lui portent ». Comprenne qui pourra. Et plus encore qui va saisir le sens qui sort de l’apposition de ces deux observations : la critique d’Israël « peut coûter sa réputation à celui qui s’y risque. L’accusation d’antisémitisme, voilà l’arme ultime contre qui ose douter, car l’antisémite est le pestiféré des temps modernes », mais plus loin, la plume tranquille de Madame Benbassa nous dit : « l’antisémitisme qui s’exprime aujourd’hui en Occident trouve un alibi dans le conflit israélo palestinien ». Faudrait savoir…

Vient, et c’est sa place à la fin du livre, le bouquet final : « La dernière cause qui mérite encore de mobiliser, pour certains, est la cause palestinienne. Cette appropriation militante ne sert évidemment pas toujours les palestiniens. Menée en chambre, au mieux dans la rue ou dans des actions de boycott d’Israël, elle est d’une efficacité toute relative. Reste que la tournure violente et haineuse qu’elle prend dans certains milieux est de nature à remettre en cause le principe d’une coexistence pacifique des juifs avec les autres composantes de la société, de nature à produire de l’antisémitisme ». Ainsi, selon le livre publié par le CNRS, ce n’est pas le comportement d’Israël qui est de nature à produire de l’antisémitisme, ce sont les allumés qui s’indignent des lois internationales bafouées, du droit pourfendu, de l’injustice historique faite aux palestiniens.

Un an après l’opération « Plomb fondu », encore un effort Esther pour mettre votre pendule à l’heure.

"Etre juif après Gaza" Esther Benbassa, CNRS éditions 2009, 74 pages, 4 euros.

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12 MESSAGES
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Forum

  • Etre juif tout court
    le mercredi 25 août 2010 à 21:39, Shochad a dit :
    L’indigence intellectuelle de cette critique par Jacques-Marie Bourget et le révisionisme historique qui y préside sont à l’image du livre de Esther Benassa. Le premier prends pour argent comptant le propos de Shlomo Sand, sans saisir la problématique identitaire de cet historien juif israélien qui est de son propre aveu à la recherche d’une définition athée du peuple Juif. Sand plaque des catégories universitaires modernes "religion, peuple et ethnie" sur une réalité qui n’entre pas dans les petites cases du modèle tripartite… Avec cette grille de lecture, il ne trouve pas de peuple juif athée. Ma foi, il fallait s’y attendre ; cela fait 3.300 ans que précisément le peuple Juif se définit comme théophore. Quelle découverte ! Et dire qu’on le paie pour faire ça… Dans la même veine, Esther Benassa ramène une question géo-politique à l’ordre de l’intime, de l’identité et de la responsabilité. En cela, elle effectue un geste éminemment juif mais malheureusement son ignorance crasse des motifs culturels de la civilisation juive vide ce geste de toute signification et de toute portée. Il est temps que tout ce monde là se mette à étudier sérieusement…
  • Respect pour Esther Benbassa !
    le jeudi 7 janvier 2010 à 21:17, Colas BREUGNON a dit :

    D’où vient cette multitude d’apocryphes qui s’en prennent si violemment à Madame Esther Benbassa ?

    Je demande à tous ces détracteurs, si l’un d’entre eux a déjà concrètement et publiquement fait autant qu’elle pour la liberté intellectuelle et pour la défense de la paix en "Eretz Palestine" ?

    Premier rappel de faits :

    Vincent GEISSER, chercheur de l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman, est placé à partir de 2004 sous "l’étroite surveillance" du Fonctionnaire Sécurité et Défense du CNRS. Et ce dans un silence assourdissant des "défenseurs des droits de l’homme" …

    Le 8 juin 2009, après convocation de Vincent GEISSER devant la Commission Administrative Paritaire du CNRS, Esther Benbassa et quelques autres non moins brillants, prennent l’initiative de la première pétition du "Collectif pour la sauvegarde de la liberté intellectuelle des chercheurs et enseignants-chercheurs de la fonction publique".

    Cette pétition a réuni plus de 5500 signatures ! Vous trouverez sur le site "http://www.liberteintellectuelle.net", tous les tenants et aboutissants de cette affaire, à la défense et illustration de laquelle Esther Benbassa a consacré une très grande énergie.

    Second rappel de faits :

    Le 30 août 2009, Esther Benbassa publie dans Rue 89 un article où elle défend à nouveau : "la liberté intellectuelle (qui) n’est pas bafouée seulement en France, mais aussi ailleurs.

    Notre collègue israélien Neve Gordon risque d’être licencié de l’Université Ben-Gourion du Néguev pour avoir publié un article dans le Los Angeles Times dénonçant la politique de son pays et pour avoir appelé au boycott d’Israël."

    Elle y dénonce également "l’arrestation de Ezra Nawi, coupable de s’être opposé à la destruction d’une maison palestinienne"

    Troisième rappel de faits :

    Lorsque l’armée israélienne se livre sur Gaza à ce qu’il est désormais convenu de qualifier de crime contre l’humanité, nous avons la tristesse de constater, qu’à part quelques intellectuels d’exception, une grande majorité d’Israéliens emboîtent le pas aux "va-t-en guerre".

    Dans ce contexte particulier, Esther Benbassa se mouille à nouveau avec son livre "Être juif après Gaza". Et elle fait même l’évènement à la télé … Moi je dis bravo !

    Mais elle garde en tête "la récente polémique entre l’écrivain A.B. Yehoshua et Gideon Levy, de Haaretz".

    Ce dernier est l’un des journalistes israéliens les plus critiques vis-à-vis de cette guerre de Gaza, prenant, dans les colonnes de son journal, des positions qui tranchent par leur radicalité dans un assez large consensus israélien autour des objectifs de l’opération "plomb durci".

    Il se voit systématiquement et violemment attaqué partout en Israël pour sa " diatribe contre les pilotes israéliens, ’devenus des voyous’ ". Chacun de ses articles suscite des dizaines de commentaires hostiles, parfois haineux, et même ses propres collègues d’Haaretz s’engueulent avec lui sur les plateaux de télévision.

    L’attaque de Yehoshua est révélatrice de l’état d’une partie de l’opinion israélienne, dans la mesure où l’écrivain a activement soutenu l’Initiative de Genève, lancée par les anciens négociateurs israélien et palestinien Yossi Beilin et Yasser Abed Rabbo, qui jetait les bases d’un véritable accord de paix entre les deux peuples.

    Si les voix habituelles se sont élevées contre la guerre, à commencer par celle de l’éternel Uri Avnery, ou celle du militant alternatif Michel Warschawski, ainsi que quelques objecteurs de conscience, il n’y a eu que quelques manifestations antiguerre qui sont loin d’avoir connu l’ampleur de celles contre les guerres du Liban …

    Il faudra donc beaucoup d’efforts au "camp de la paix" israélien pour recoller les morceaux après cette guerre, pour que A.B. Yehoshua se remette à apprécier les articles de Gideon Levy.

    Et cela Esther Benbassa en a pleinement conscience !

    Quatrième rappel de faits :

    Le 18 novembre dernier, à un courriel dans lequel j’avais écrit :

    "L’État d’Israël est un archaïsme fondé sur des mythes raciaux et religieux. … Au fond, ce "super camp de concentration" créé au lendemain du second conflit mondial, a achevé l’amputation de l’Europe d’une part essentielle de son patrimoine démographique et culturel : le "domaine yiddish",

    elle me répondait : "J’ai lu avec intérêt le texte, ce qui me gêne c’est le terme de grand camp de concentration utilisé pour Israël. Si nous ne sommes pas plus nuancés, nous allons perdre notre crédibilité et on finira par vous traiter d’antisémite. Enfin, je vous donne mon modeste point de vue. Cordialement.".

    J’ai compris à ce moment là que cette grande intellectuelle a un sens aïgu de ses responsabilités qui ne se limitent pas au plaisir basique d’un "coup de gueule", où l’émotionnel déborde la réflexion.

    Et j’ai alors repensé à l’échec lamentable de la gôche française des années 50 (Mendès-France, Guy Mollet et Mitterand en tête) qui a "abandonné" idéologiquement le peuple pieds noir aux manipulations idéologiques de l’OAS.

    J’ai repensé à l’isolement douloureux de ces "européens d’Algérie" engagés dans le lutte d’indépendance au côté de leurs frères d’armes Arabes et Bèrbères. Ces héros aux noms oubliés Fernand Yveton, Maurice Laban, l’aspirant Maillot, Maurice Audin , Elyette Loup, Henri Alleg et bien d’autres, passés à la gégène et/ou au peloton d’exécution.

    Résultat : une perte sèche pour le "petit peuple pieds noirs" rejeté à la mer. Mais aussi pour le peuple algérien tout entier, et en particulier ses héros de la résistance, qui, dès l’indépendance acquise, sont retombés sous le joug de ses accapareurs locaux, de leur flicaille et de leurs intégristes religieux.

    Je me souviens aussi qu’Abie Nathan avait été emprisonné dans son propre pays pour avoir violé les lois interdisant les contacts avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat avant les accords d’Oslo de 1993.

    Je sais que le Hamas doit autant son pouvoir sur Gaza à l’armée israélienne paralysant l’OLP, qu’aux manipulations du Mossad.

    Dernier rappel de faits :

    Le 6 janvier 2010, Esther Benbassa publie dans Rue 89 sous le titre "Juifs, musulmans : nous portons tous les cicatrices de Gaza" et le sous-titre "Le débat sur l’identité nationale, un danger pour tous les minoritaires, Juifs compris" :

    "Si, aujourd’hui, nombre de politiciens en France et en Europe désignent les musulmans comme boucs émissaires, n’oublions pas qu’hier ce sont les Juifs que l’on désignait comme tels. Le débat sur l’identité nationale n’est pas nouveau non plus. Les Juifs, qui en portent les stigmates, devraient s’en souvenir et se dire qu’ils risquent, eux aussi, de ne pas en sortir indemnes."

    A un journaliste qui lui demandait quelle épitaphe il souhaiterait voir inscrire sur sa tombe, Abie Nathan a répondu un jour : « j’ai essayé ». Tout le monde ne peut pas en dire autant.

    Merci ,Mme Benbassa, d’essayer de prendre une place de "sujet-dans-l’histoire". Merci pour le souffle d’intelligence que vous contribuez à faire passer sur "la toile" et le petit écran !

  • Etre juif après Gaza
    le jeudi 31 décembre 2009 à 10:41, alain a dit :
    je regrette de m’être fendu de 4 euros, mais je ne regrette pas d’avoir lu le "livre" d’Esther Benbassa. Un véritable chef d’oeuvre… d’hypocrisie et de prétention. Dire une chose et son contraire, conseils condescendants aux palestiniens, points de suspension grandioses, douleur intellectuelle qui nous émeut jusqu’aux larmes, rien ne nous est épargné ! "Israël avait droit à un état, mais pas n’importe lequel", nous dit encore E. BB. On aimerait avoir des précisions ! Allez, encore un peu de courage, l’intellectuelle engagée…
  • Etre juif après Gaza
    le jeudi 31 décembre 2009 à 02:44, zouz a dit :
    Moi, ce que je trouve insuportable, c’est toute cette tripotée "d’intellectuels" qui ne savent pas comment atténuer la responsabilité d’Israël et de l’idéologie sioniste dans le désastre du Moyen-Orient. Ils sont eux-même tellement imprégnés (surement depuis l’enfance) par ce fantasme de la terre promise qu’ils ne peuvent s’en défaire même pour défendre leurs idéaux !!! Alors, ils trouvent des substituts et des excuses aux agissements de l’Etat d’Israël. Ils utilisent sans arrêt l’arme de l’antisémitisme qui est censé nous faire taire et surtout, ils font tout pour assimiler arabe et terroriste, tout ceci par médias interposés !!! Bon, il faudrait qu’à un moment donné, ces gens puissent sortir de leur "aliénation" pour enfin voir la réalité. Mais en sont-ils capables ???
  • Etre juif après Gaza
    le mercredi 30 décembre 2009 à 03:41
    petite précision Kateb n’était pas kabyle mais chaoui.
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