Canal+ et ses satellites faisaient l’objet d’une valorisation très optimiste lors de la fusion Vivendi Universal. Heureusement, Daniel Bouton n’était pas loin.
(Extrait de SOCIÉTÉ GÉNÉRALE, SECRETS BANCAIRES de Jérôme Jessel et Patrick Mendelewitsch. Flammarion, 300 p., 21 €)
Le PDG de la Société Générale Daniel Bouton présidait le comité des comptes de Canal+ jusqu’à la fusion qui donne naissance à Vivendi Universal. Or la chaîne câblée et ses satellites faisaient l’objet d’une valorisation très optimiste. Un enjeu de plusieurs milliards d’euros. Peu surprenant donc que, sitôt l’union célébrée (fin 2000 ndlr), la Société Générale se soit employée à trouver des solutions aux conséquences financières fâcheuses d’un tel excès d’optimisme.
En particulier pour les contrats « ruineux » [1] négociés par Canal +, lui conférant le droit exclusif de retransmission télévisuelle de diverses compétitions sportives.
Ces licences ont été concédées à Canal moyennant le paiement de redevances comprenant, le plus souvent, une part fixe et un pourcentage fonction des recettes encaissées. Les « experts » de Canal ont malheureusement négocié les contrats sur la base de recettes prévisionnelles à ce point fantaisistes que des pertes monstrueuses vont en résulter. Les redevances dues aux concédants excèdent largement les recettes réelles provenant de leur exploitation. De plus, ces contrats sont portés à l’actif du bilan de VU pour une valeur égale aux montants actualisés des redevances à payer. Bref, même s’ils sont partiellement amortis, on s’attend encore à ce qu’ils dégagent 400 millions de dollars de pertes.
Il faut donc les sortir du bilan au plus vite en leur trouvant un acquéreur compréhensif.
Par bonheur, la Société Générale est bien disposée.
Elle est prête à les racheter et les « porter » jusqu’à leurs échéances, permettant ainsi à sa cliente d’escamoter la perte de quelques centaines de millions de dollars attendue jusqu’à leur terme.
Le montage ? La « coproduction VU-SG » d’un numéro exceptionnel de prestidigitation : au moyen d’une structure juridique constituée à cet effet, la Société Générale rachète à Vivendi les contrats pour 1 franc symbolique, et les lui « reloue » pour leur durée résiduelle. Pendant ce temps-là, c’est la banque qui règle les redevances dues aux concédants grâce… à une avance de 400 millions de dollars versée par VU au moment de la mise en pension des contrats toxiques.
En d’autres termes, le coût est identique, mais l’habillage plus flatteur pour Vivendi qui n’aura de la sorte pas à fournir à ses actionnaires des explications gênantes sur la folie des grandeurs passées de Canal. En rémunération du service rendu, la banque percevra 1,5 million d’euros d’honoraires. Le prix très raisonnable d’une tranquillité toute relative pour Jean-Marie Messier. Pour peu que la « subvention » soit prélevée sur la ligne de crédit mise à disposition de Vivendi par la Société Générale, le compteur des intérêts se mettra lui aussi à tourner à un rythme soutenu pour le plus grand plaisir de Daniel Bouton.
Un parfait exemple d’une coopération amicale et fructueuse. Qui plus est, permettant aux deux partenaires d’éviter d’évoquer le souvenir forcément désagréable des dessous peu ragoûtants de la mariée le jour des noces… Et la défaillance de ceux qui avaient pour mission de veiller à l’état de son trousseau.
Cette complicité intellectuelle entre deux personnalités d’exception se nourrit aussi d’une surenchère dans leurs intentions de s’impressionner mutuellement. La fructueuse coopération entre « Jovial » et « Morose » s’explique d’abord par leur fascination réciproque. L’une ne va pas sans l’autre.
D’ailleurs cette confrontation créative entre deux ego surdimensionnés prend fin de manière banale : lorsque Jean-Marie Messier, redoutant le refus de son compère, renonce à le solliciter de nouveau pour éviter sa descente fatale en eaux profondes.
La preuve en est sobrement apportée par Dominique Gibert, directeur financier adjoint de Vivendi Universal, lors de son audition par la COB : « Jean-Marie, qui a compris à ce moment-là que la situation risquait d’être compromise, avait pris rendez-vous avec Daniel Bouton le vendredi 28 juin 2002 afin de chercher un financement. Mais lorsque nous sommes passés le chercher avec Guillaume Hannezo, il nous a indiqué qu’il ne souhaitait pas nous accompagner et que nous y allions seuls et est finalement resté au siège. Sa démission a suivi de peu… » Passe encore de perdre la guerre, mais la face, jamais ! Surtout en présence de deux de ses plus proches lieutenants… À défaut de ses concours bancaires, Bouton lui gardera toute son estime [2].
A lire sur Bakchich.info :
[1] Mémo du 30 juin 2001 de Jean Stern à messieurs Bouton, Citerne et Debonneuil concernant le rachat par la SocGen de contrats Canal +.
[2] Il laisse entendre en décembre 2003, devant l’Association des journalistes économiques et financiers, que l’éviction de Jean-Marie Messier a été orchestrée.