A Corbeil-Essonnes, l’affaire des achats de voix va de rebondissements en rebondissements. A la veille du jugement qui pourrait sauver Serge Dassault, l’atmosphère est tendue.
Dassault, c’est fini ? A Corbeil, la question taraude, inquiète, ronge, depuis plusieurs mois. Le 8 juin dernier, le Conseil d’Etat, instance administrative suprême, rendait son jugement sur une affaire lourde, portée devant les tribunaux par Bruno Piriou, chef de file de l’opposition : l’achat de voix, par Serge Dassault, pendant la campagne des municipales de 2008, afin de gagner les élections. En mai 2008, Serge Dassault emportait la mairie, à 170 voix près. Le 8 juin dernier, le Conseil d’Etat annulait les municipales et faisait du milliardaire-avionneur-sénateur-patron de presse et maire de Corbeil-Essonnes, un homme inéligible pour un an.
La condamnation fut rude, insupportable même, pour le « vieux » Serge, peu habitué à perdre. Attaché à sa commune comme un enfant à sa mère depuis son premier mandat en 1995, Dassault en a d’abord voulu aux magistrats du Conseil d’Etat, qu’il a nonchalamment traité de « socialistes ». Puis il a déposé un recours en appel devant le Conseil d’Etat. Une rareté, qui a été acceptée par les magistrats. En conséquence, le jugement sur l’appel tombe demain, vendredi 4 septembre, en pleine campagne municipale et à 6 jours de la clôture du dépôt des candidatures !
La décision de justice pourrait ne rien changer, comme le pense Maître Lyon-Caen, l’avocat de Bruno Piriou. Ou – ce que souhaite le parti de Dassault – tout chambouler : l’annulation des élections, l’inéligibilité de l’ancien maire, la campagne électorale en cours pour les nouvelles élections, prévues le 27 septembre puis le 4 octobre, et l’enthousiasme de l’opposition.
En attendant, la campagne bat son plein. Du marché des Tarterêts aux rues bordées d’immeubles du quartier « européen » de la Nacelle, les candidats brandissent leurs tracts et invitent les habitants à discuter de leurs projets. Comme toujours, on trouve des « pour », des « contre », des « peut-être » et des « la politique ne m’intéresse pas, de toute façon, ils sont tous pourris ». Mais ici, on trouve aussi des personnes qui préfèrent « attendre le 4 septembre » pour se prononcer sur leur choix : on ne sait jamais, le « vieux » pourrait remonter sur scène…
Pour l’heure, Serge Dassault n’est pas en haut de l’affiche. Inéligible, il soutient son candidat, Jean-Pierre Bechter (UMP), qui est également l’un de ses conseillers politiques, membre du Conseil de surveillance de l’Olympique de Marseille (OM), administrateur des pôles presse du groupe Dassault et directeur de publication du Républicain de l’Essonne, un journal régional appartenant à… Serge Dassault. A propos du candidat UMP, un couple croisé aux Tarterêts confie : « l’ennui, c’est qu’aux bureaux de vote, les gens vont chercher le bulletin du candidat “Dassault”, sans jamais le trouver. Ils n’ont pas intégré que Dassault, maintenant, c’est Bechter. Ils ne voteront pas Bechter, ils ne le connaissent pas. » Autre soucis pour l’avionneur, au moins trois candidats aujourd’hui déclarés au siège de maire étaient, jusqu’au 8 juin, ses adjoints. Nathalie Boulay-Laurent, première adjointe, Jean-Michel Fritz (2ème) et Jean-Luc Raymond (4ème), et encore Mourad Khier Saadi (8ème), qui pourrait être rejoint par une autre ex adjointe, Farida Maiza (7ème). Le jeu des ambitions sans doute.
Un jeu que connaît aussi, dans une moindre mesure, la gauche ; qui présente, pour le premier tour, trois candidats : Michel Nouaille (PC) (Bruno Piriou ayant été jugé inéligible pour un an en raison d’irrégularités dans ses comptes de campagne), Jacques Picard (Verts) [1], et Carlos da Silva (PS).
Loin d’apaiser les tensions, ces divisions font monter la pression. Tandis que Jacques Picard, également opposant de longue date à Serge Dassault, vient de demander « l’envoi d’observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour veiller au bon déroulement du prochain scrutin », Bruno Piriou répond « qu’il ne faut pas exagérer, Corbeil-Essonnes, ce n’est tout de même pas l’Afghanistan ! ».
Si Serge Dassault ne gagne pas face à la justice, il aura au moins réussi à semer le trouble, à quelques jours des nouvelles élections. Et aujourd’hui, il s’affiche tout sourire, promettant aux Corbeil-Essonnois, « une surprise, vendredi ».
Lire ou relire sur Bakchich.info :
Un sénateur UMP de l’Essonne, qui vend des avions et de la presse, et dont le nom est Serge Dassault. Un homme connu, par conséquent, jusques au royaume de Belgique, pour sa vive brillance (qui fait comme un fanal dans la nuit des idées).
Vient (…)
[1] Au deuxième tour, Michel Nouaille et Jacques Picard ont prévu de s’unir pour une liste commune.