L’élection européenne n’intéresse quasi personne. Pas même les partis politiques français . De quoi se questionner sur le fonctionnement et l’utilité du Parlement européen .
Le 7 juin prochain, jour du scrutin européen, le Parlement de Strasbourg fêtera ses 30 ans d’élection au suffrage universel direct. L’ambiance n’est pourtant pas à la fête. Avec un taux de participation de 35% à 39% selon le dernier sondage IPSOS, nos fringants élus européens ne risquent pas de sabrer le champagne. En 1984 encore, six personnes sur dix votaient lors du scrutin.
Bakchich, en enquêteur chevronné et obstiné, tente d’explorer une des pistes qui pourraient expliquer cette désaffection. Trente ans de votes de compromis entre la gauche et la droite pourraient expliquer le désamour grandissant envers l’institution strasbourgeoise. Et la perte de sens de la démocratie européenne ?
Le site d’information votewatch.eu a recensé les principaux votes des élus européens durant la législature 2004-2009. Les analyses de ces chiffres donnent des indications significatives sur la nature de la décision parlementaire. Ainsi 69,70% des textes sont votés conjointement par les deux principaux partis européens, les conservateurs (PPE : 277 députés) et les sociaux-démocrates (PSE : 218). Le consensus va plus loin encore puisque plus de quatre textes sur dix sont votés également par l’extrême gauche européenne (GUE : 41 députés). Les plus gros budgets, le développement régional et l’agriculture, sont votés à des majorités de voix de 82% et 80%. Même sur les « questions sociales et l’emploi », le consensus existe pour plus de 50% de textes.
Les grosses masses du budget européen 2007-2013 expliquent ce consensus. 40% des budgets sont consacrés à la Politique Agricole Commune (PAC) et 46% aux dépenses d’harmonisations entre Etats. Soit 86% du budget au total. Comment voter contre ? L’expertise technique l’emporte sur le débat partisan.
Les élus français sont portés, plus que d’autres, aux votes transpartisans. En 2007 comme en 2006, la France s’est classée comme le premier pays bénéficiaire du budget européen avec 13,90 milliards d’euros de subventions. Les parlementaires français de droite comme de gauche votent ainsi ensemble les subventions accordées à la France pour les éleveurs bovins et céréaliers, les aides régionales qui financent le réseau autoroutier, ferré, et des programmes d’aide aux entreprises.
Il n’est pas anodin qu’un français, Joseph Daul, ait été Président de la commission de l’agriculture et du développement rural entre 2002 et 2007. Cet élu UMP, illustre inconnu de la scène politique française, pourtant actuel président du PPE depuis 2007, est l’exemple type de la place des intérêts français au Parlement européen. A tel point que « Edith Cresson, ancien Premier ministre socialiste de 1991 à 1992, demandait à Chirac comment voter quand elle était députée » confiait à Bakchich un ancien fonctionnaire européen.
Guillaume Sacriste, professeur en politique européenne à Paris I, explique cette obsession du consensus : « le parlement a intérêt à voter sur le mode de la grande coalition pour la défense de l’institution. » Et d’ajouter que « le clivage PPE/PSE n’est pas pertinent puisqu’il n’évoque que des questions marginales par rapport au cœur des politiques nationales comme la fiscalité, l’éducation, la protection sociale et l’emploi. »
Des trois institutions (avec la Commission et le Conseil des Ministres), le Parlement européen reste le parent pauvre de l’Union ; il lui faut donc être uni. Il lui est impossible d’initier la loi ni de fixer son ordre du jour strictement réservé à la Commission Européenne. Donc d’imprimer un tempo politique qui lui serait propre. Comme le remarque le professeur de Paris I, « l’acte de base européen c’est le règlement. Pourquoi n’est il pas appelé Loi ? Car ce n’est que l’adaptation administrative des traités communautaires qui lui est la loi européenne. Le Parlement n’est en réalité qu’un organe consultatif. »
En clair, nos chers députés ne s’engagent à discuter des règlements et directives qu’aux travers d’amendements, mais sans jamais pouvoir imposer ses choix. Puisqu’il revient au Conseil des Ministres des 27 d’avoir, en ultime négociation, le dernier mot.
Ce fonctionnement oblige les élus à jouer collectif dès la première lecture des textes pour ne pas apparaître divisé face aux représentants gouvernementaux. C’est là le prix à payer pour peser sur les orientations des commissaires et chefs d’Etats dans cette manière fermée de faire l’Europe par le haut.
L’affrontement a pourtant pris, sur quelques batailles parlementaires historiques, une tournure épique qui sert d’oriflamme aux tenants de l’institution. Les plus emblématiques se comptent sur les doigts de la main : la « la Brevetabilité des inventions biotechnologiques », le premier projet de directive de la Commission rejeté en 1995. « Bolkestein » en 2005 avant le référendum européen. Plus récemment la « Directive sur les services portuaires » rejeté deux fois et celle qui fixe l’aménagement du temps de travail « des activités mobiles de transport routier » le 5 Mai dernier.
Au final, ces directives, malgré leurs réelles incidences sur les secteurs concernés, peinent à faire sens sur l’apport d’Europe au quotidien. Jean Quatremer (Libération), un des rares journalistes spécialiste des questions européennes, de dire que seul « 20% des textes qui nous concernent sont d’origine européenne. » Ce qui tord le cou à l’idée communément admise que la législation française ne serait que le calque des décisions européennes.
Les partis français hésitent à mobiliser sur le strict avenir de la démocratie européenne qui est une coquille vide électorale. Le traité de Maastricht, de 1993, énonçait pourtant dans son article 191 que « les partis politiques contribuent à la formation d’une conscience européenne et à l’expression de la volonté politique des citoyens de l’Union ».
Qu’en est-il ? Le PSE, d’obédience progressiste, par le « Manifesto », n’a signé qu’une pétition de principe de 27 mouvances sociales-démocrates. Se trouvent en réalité d’un côté les partisans d’une alliance « rouge-verte », français-belges-italiens avec, si possible, l’appui des fédéralistes centristes, de l’autre, ceux qui envisagent la co-gestion traditionnelle avec le PPE, comme les anglais-allemands-espagnols habitués à des coalitions plus larges dans leurs Etats.
Quant aux conservateurs, ils sont traversés par des courants différents allant des fédéralistes traditionnels, France-Allemagne-Benelux-Espagne, aux eurosceptiques dont le camp s’est accru avec l’entrée des 10 pays d’Europe centrale en 2004.
A défaut de conscience donc, les partis européens répondent par la consigne. « Les Etats-Unis d’Europe », chers à Hugo, semblent être un doux mirage dont chacun s’accommode. Mesdames et messieurs, aux urnes !
À lire ou à relire sur Bakchich.info :
La semaine européenne de Bakchich
Et aussi
C’est reparti pour un tour ! La Ronde des obstinés lance un appel aux candidats aux européennes.
Depuis plus de quatre mois, l’université française connaît un mouvement d’une force et d’une durée sans précédent. Non seulement le gouvernement refuse de nous entendre, mais il s’est efforcé, durant ces dernières semaines, de dépolitiser le débat, de le réduire à la question des validations d’examens, alors qu’il ignore avec constance la totalité de nos revendications, multipliant pressions, menaces, et parfois même actions répressives.
La Ronde infinie des obstinés lance donc un appel aux candidats aux élections européennes.
Rejoignez nous nombreux du 2 au 6 juin, de 12h à minuit devant le Panthéon ! Nous sommes obstinés et notre vigilance, infinie. Inscriptions sur : http://www.doodle.com/kcsdy84bb2tup5as rondeinfinie@gmail.com http://rondeinfinie.canalblog.com/
Lettre aux candidats :
100 heures pour faire de l’enseignement et de la recherche un débat de campagne. « Il est plus que temps… » À Mesdames et Messieurs les candidats aux élections européennes du 7 juin 2009, Pendant près de quatre mois, l’université française a vécu un mouvement de grève, de manifestations, d’occupations, de rondes infinies des obstinés. Nous, qui faisons, pensons, et rêvons l’université, nous, enseignants, chercheurs, personnels et étudiants, affirmons que les réformes actuelles qui atteignent l’université sont permises par la soumission du politique au champ économique. Pendant près de quatre mois, nous avons fait face à une entreprise gouvernementale de propagande et de dénigrement délibéré de l’université, des hommes et des femmes qui la font vivre, une entreprise de destruction de son image et de sa fonction dans la société. Pourtant, pendant près de quatre mois, le mouvement de rejet des conséquences de la loi « Libertés et responsabilités des universités » (LRU) s’est renforcé parce que nous en mesurons tous aujourd’hui les vices profonds et le danger mortel qu’elle fait peser sur l’université : présidence toute-puissante, gestion managériale, marginalisation des critères scientifiques dans les prises de décisions, précarisation généralisée des personnels, explosion à terme des droits d’inscription. Cette loi produira en France ce qu’elle a produit partout où les mêmes principes sont déjà à l’oeuvre : gestion arbitraire des carrières et des équipes de recherche, dépendance aux bailleurs de fonds privés, cloisonnement des savoirs, destruction de pans entiers de l’enseignement, injustice sociale croissante. Est-ce donc ainsi que l’Europe conçoit l’université et la recherche ? En effet, à la fois bureaucratique dans son principe, autoritaire dans sa mise en oeuvre, et liberticide pour le monde universitaire dans ses effets, cette loi LRU n’est que la caricature française d’un processus qui confronte le système universitaire européen à une transformation et un reformatage, le volet académique de la soumission de l’ensemble de la société à la « main invisible du marché ». Les promoteurs de cette société et leurs artificiers nationaux ont associé à cette opération de destruction le nom de deux des plus anciennes universités européennes, celles de la Sorbonne (déclaration du 25 mai 1998) et de Bologne (déclaration du 19 juin 1999). Or, ce qu’il est désormais convenu d’appeler le « processus de Bologne » et qui est au coeur de la politique universitaire européenne n’a jamais été discuté publiquement. Son inscription dans la Stratégie de Lisbonne (2000) a été suivie d’une série de conférences ministérielles et de sommets qui ont renforcé la soumission des acteurs de l’université à des objectifs utilitaristes à court terme. Ces orientations détruisent l’université comme lieu de formation de citoyens éclairés et pensants, elles entendent forclore les valeurs d’élaboration et de transmission des savoirs sur lesquelles doivent reposer les universités européennes. En faisant mine de valoriser les missions de l’université, elles les nient. En imposant à l’université et à la recherche des règles managériales et des critères de gestion qui ne peuvent lui être appliquées, elles détruisent l’université comme lieu d’élaboration et de transmission d’un savoir libre et non contraint. Enfin, en s’appuyant sur la théorie du « capital humain », ces orientations conduisent désormais à faire payer aux étudiants le prix du désengagement public. Il est donc temps d’affirmer que le processus de Bologne et la stratégie de Lisbonne ont pour fonction d’introduire dans les universités une concurrence généralisée placée sous les auspices de la rentabilité économique. Il est temps d’affirmer que la notion d’ « employabilité » n’est qu’un outil de destruction des savoirs humanistes qui sont au coeur de notre civilisation. Il est temps d’affirmer que la notion d’ « économie de la connaissance » dissimule la transformation de la connaissance en bien économique. Il est temps d’affirmer que le slogan d’ « adaptation de l’université à la société » ne dit pas que cette société est réduite à sa seule finalité économique. Aujourd’hui, nous affirmons que l’adaptation de l’université européenne ne passe pas nécessairement par sa réduction utilitariste à l’employabilité de ses diplômés. Nous refusons la soumission de l’université à une logique marchande qui réduit le rationnel à ce qui est utile et calcule l’utilité à l’aune du profit. L’université n’est pas le lieu du pur utilitarisme calculé en termes exclusivement économiques. L’acquisition et l’invention des savoirs est un droit pour tous et ne peut être limité. Le savoir, la création et la recherche ne sont pas des marchandises, mais le bien de tous : ils ne sont pas à vendre. Dans la dernière semaine de cette campagne, nous, citoyens obstinés qui ne demandons qu’à être éclairés sur vos ambitions pour l’université et la recherche, vous soumettons les interrogations suivantes : 1/ L’université a-t-elle vocation à être « gouvernée » comme une entreprise ? Le mariage systématique entre recherche et rentabilité est-il possible et même souhaitable ? 2/ Les personnels sont-ils les variables d’ajustement du nouveau modèle de « bonne gouvernance » ? Devront-ils désormais exercer leur métier sous la menace des retraits de financement pour hétérodoxie ou au premier coup de blizzard boursier ? 3/ La multiplication des structures bureaucratiques et administratives d’évaluation est-elle la « Nouvelle frontière » de la « qualité » universitaire ? L’émulation académique est-elle d’ailleurs réductible à la « concurrence non faussée » ? 4/ L’université doit-elle former des citoyens libres et pensants ou des salariés prêts à l’emploi ? Les étudiants devront-ils pallier le déficit d’investissement public dont nos universités ont souffert depuis près de trois décennies et qu’ils paient d’ores et déjà lourdement ?
En d’autres termes, à l’instar de l’association « Sauvons l’Université » (SLU) dont nous partageons les valeurs et les analyses, nous vous demandons aujourd’hui à vous, candidats à la députation européenne, une formulation claire de votre vision de l’université de demain. Nous vous demandons également de vous saisir du sujet fondamental qu’est la formation des générations futures de citoyens éclairés et libres. Il est encore temps de faire de la question de l’université et de la recherche, de la formation et de l’éducation un thème majeur de la campagne européenne et d’assumer devant le pays ou de rejeter avec force la soumission complète de l’université, de la recherche et du système d’éducation à la logique marchande et aux intérêts purement économiques. Nous vous demandons d’affirmer avec la plus grande fermeté que l’éducation, l’université et la recherche sont un service public et non pas des « services », qu’elles ne peuvent en aucun cas être régies par les règles du marché, et d’en tirer toutes les conséquences. Nous ferons connaître les réponses que vous voudrez bien apporter à nos questions. Nous sommes obstinés et notre vigilance, infinie.
Veuillez croire, Mesdames et Messieurs les candidats, en l’expression de nos sentiments les plus cordiaux. Paris, le 29 mai 2009. La Ronde infinie des obstinés
"Il n’y a pas de clivage PPE [droite]/ PSE [socialistes]"
En effet, le 26 mars 2009, le PSE a massivement voté, avec la droite, en faveur d’une nouvelle résolution atlantiste avec 154 voix pour, 2 contre, et une abstention.
Le Grand Marché Transatlantique a ainsi été massivement approuvé par les députés européens PS et Verts, dont Benoît Hamon, Harlem Désir et les députés du sud-ouest Françoise Castex, Gilles Savary et Béatrice Patrie. De même que le Vert Gérard Onesta. Quant à Kader Arif, il était absent lors du vote. La seule députée socialiste française à ne pas voter pour a choisi de s’abstenir. Il s’agit de Marie-Noëlle Lienemann, député sortante non reconduite par son parti.
Dans cette résolution, le Parlement européen ne se contente pas de réaffirmer la nécessité du Grand marché transatlantique. Il insère le GMT dans un nouvel ordre du monde, convergent avec la vision qu’en a le gouvernement américain.
L’importance des échanges européens avec les États-Unis suffit-elle à justifier un partenariat aussi privilégié que la création d’une zone de libre-échange et d’un marché commun ?
Selon les propres données de la Direction générale du Commerce de la Commission européenne, depuis 2003 la Chine est le 2e partenaire commercial de l’Europe, la Russie est notre 3e partenaire commercial depuis 2005. La croissance du commerce avec ces deux pays légitimerait-elle que nous nous engagions dans un processus similaire à celui engagé avec les Etats-Unis avec eux ?
Ces chiffres montrent que la finalité du GMT est en réalité de donner corps à la solidarité civilisationnelle entre l’Europe et les Etats-Unis dont Huntington estime qu’elle est indispensable pour rétablir la prééminence menacée de l’Empire américain.
Outre ce changement de nature du projet européen, le Grand marché transatlantique représenterait une libéralisation sans précédent de nos échanges commerciaux.
La suppression des « nombreuses barrières non tarifaires [trouvant] leur source dans des actes des organes législatifs visant à servir des finalités sociales, sanitaires, culturelles ou environnementales » qu’évoque le Parlement européen dans sa résolution du 8 mai 2008, pourrait par exemple justifier le droit pour des entreprises privées américaines, très présentes dans le domaine de la santé ou de l’éducation, de concurrencer les systèmes publics en Europe. Elle conduirait également à un alignement de nos modèles agricoles et interdirait par exemple également les restrictions d’importation de boeuf aux hormones.
http://lasuzepartidegauche.unblog.fr/files/2009/05/brochgmt.pdf