En plein marasme politique européen, Philippe Riès signe chez Grasset « L’Europe malade de la démocratie », un essai déconcertant sur les effets pervers du système démocratique pour le fonctionnement de l’UE. Intéressant mais peut-être un peu sérieux pour la plage…
Le constat est simple : à force de trop sonder les peuples du vieux continent - le plus souvent par manque de courage politique – et faute d’institutions suffisamment fortes, les intérêts nationaux ou particuliers ont pris le dessus sur l’intérêt commun, à savoir la poursuite du projet des pères fondateurs. En d’autres termes, l’auteur pointe du doigt un glissement insidieux vers un modèle de gestion intergouvernemental, à milles lieues de l’idéal unioniste des Monnet, Schuman et autres. Dénonçant une dérive populiste des responsables européens, il constate une quasi absence de politique forte depuis la fin de la Commission Delors en 1994, et prône le retour à une forme d’élitisme assumé de la part des élus.
Pas anti-européen pour autant, Riès rappelle que la démocratie reste à ce jour le moins mauvais des régimes, du moment que ses responsables n’agissent pas strictement en fonction d’échéances électorales quelconques.
Chapitre après chapitre, toutes les absurdités politiques de l’UE y passent, de l’échec de la directive Bolkestein sur la libre circulation des services, aux petits arrangements entre amis au sein des institutions, en passant par un euro bouc-émissaire du malaise européen. Au cœur du livre, Riès lève le voile sur un scandale économique et social, qui touche à l’Europe et au reste du monde : la PAC, prétendue clé de voûte d’une politique européenne unifiée, victime de son caractère intouchable. Chiffres à l’appui, l’auteur y démontre point par point qu’elle s’est transformée en un immense gaspillage, qui fait l’affaire de quelques uns, et paraît ne servir qu’à protéger des privilégiés.
Au lendemain du nouveau cran d’arrêt infligé par l’Irlande à la laborieuse réforme de la Constitution, cet essai tombe à pic dans le débat sur le décalage entre opinion publique et choix des élus. L’auteur livre un éclairage intéressant sur les échecs à répétition des institutions européennes et le malaise qu’ils engendrent.
Un regret, seuls les initiés à l’histoire de la construction européenne seront capables d’apprécier le bombardement d’anecdotes et de chiffres. Moins évident à aborder pour les néophytes.
Lire ou relire sur Bakchich :
Les points que vous relevez semblent frappés au coin du bon sens. Pourtant je ne doute pas que, parmi le peu de lecteurs qui s’intéressent à l’Europe, un certain nombre ou plutôt une majorité s’offusqueront du soutien à la directive Bolkestein ou de la réprobation de la PAC. Car la politique européenne, si elle se résume à un concentré de démagogie, doit cette situation à une double ignorance : a) l’ignorance en matière économique (je ne parle pas ici de connaissance académique mais plutôt de "bon sens économique", quelque chose de plus instinctif), plus ou moins marquée selon les Etats-membres, mais peut-être caractéristique des social-démocraties à l’ancienne dans lesquelles les ressources individuelles sont par construction déconnectées des réalités du marché et b) l’ignorance en matière d’institutions et de politiques européennes. Je me demande si tous les citoyens de l’UE sont à même enseigne à cet égard. En tout cas je doute que beaucoup de Français soient capables de nommer les trois organes du législateur européen, ce qui est un peu choquant au regard des principes démocratiques les plus élémentaires.
Il est donc légitime de se demander comment on en est arrivé là, et pas seulement à qui profite le crime. Il est évident que les politiciens nationaux trouvent en l’Europe un bouc-émissaire bien commode. Mais comment les systèmes éducatifs, les milieux économiques, les media, voire même les chercheurs ! parviennent-ils à passer à travers ces questions ? Le citoyen serait-il fatigué de la démocratie, conçue autrement qu’un jeu télévisé ? Au passage notons que l’un des éléments les plus fédérateurs de l’identité "occidentale" s’appelle Endemol, ce qui n’est peut-être pas anecdotique pour illustrer comment la décentralisation des pouvoirs aboutit à de nouvelles tyrannies. Les peuples bien nourris semblent toujours préférer le confort de la soumission à une autorité perçue comme pas trop malveillante - perception d’autant plus vraisemblable que cette autorité coexiste avec une multitude d’autres micro-pouvoirs du même type - aux dilemmes d’une autonomie qui impliquerait d’assumer toutes les conséquences de tous les choix. C’est la même logique que celle qui pousse le consommateur à se barder de toutes les assurances possibles et imaginables, sauf peut-être qu’il est un peu indécent de négocier sa liberté comme une garantie bris de glace.
En fait en découvrant le titre de votre article dans mon fil RSS, je me suis dit "tiens, Bakchich parle de l’Europe, c’est merveilleux". Puis, retour à la réalité, il ne s’agissait que d’un compte-rendu (c’est déjà ça). En fait c’est bien simple, à part Jean Quatremer, l’Europe n’intéresse personne dans la presse française. Les rédactions envoient des journalistes à Bruxelles du bout des doigts. Il faut croire qu’il y a tellement de choses à raconter sur Nicolas et Carla, ces grands démocrates, que la directive retour ou les enjeux des élections européennes pourront bien attendre. Pendant qu’on se pâme devant la puissance chinoise et le concours international de chauvinisme organisé dans ce pays, une guerre se déroule à nos portes. Déjà 1400 morts, peut-être une nouvelle Bosnie ou une nouvelle Tchétchénie en préparation. Tout le monde s’en fout. Voilà à quoi aboutit l’indifférence à l’Europe. Le type chargé par le Conseil de s’occuper des relations extérieures et de la PESD, Javier Solana, est un incapable qui a déjà prouvé sa mollesse pendant les dix dernières années et qui la prouve encore. C’est sans doute ce qui en fait l’homme de la situation, pour des gouvernements nationaux qui méprisent la solidarité européenne et pour des peuples qui ne veulent pas entendre parler de leurs voisins plus pauvres.
Alors voilà, bravo Bakchich de parler de ce bouquin. Encore un petit effort et vous ferez presque du journalisme à propos de l’Europe. Jetez vous dans le bain, vous serez presque en monopole !
Heu… l’Europe malade de la démocratie ? Les Etats européens populistes ? Gouvernement de l’UE pour être populaire ?
Ce ne serait pas plutôt le contraire ? Certes, le fonctionnement actuel de l’Union est très éloigné des objectifs de la construction de la Communauté, mais je ne crois que ce qui est sous-entendu par les quelques lignes de cette recension le soit également ; certes les Etats européens font appliquer les dispositions les plus destructrices élaborées en leur sein par l’UE pour pouvoir dire que ça ne vient pas d’eux…
Mais de là à pratiquer un "élitisme assumé" (décomplexé ?)… L’auteur fait un plaidoyer pour que la gouvernance européenne benchmarke la chinoise ? C’est un peu prolonger la voie suivie actuellement, non ?