Les europarlementaires ont voté son enterrement. Mais Bakchich a retrouvé le rapport d’audit interne qui dézingue les députés européens… et leurs assistants parlementaires.
Le sujet, a priori, ne semblait pas susceptible de se transformer en tsunami politique. Au départ, il s’agissait simplement de vérifier les dépenses exposées par un échantillon de 160 députés européens au titre de la rémunération de leurs assistants parlementaires, au cours du 4ème trimestre 2004 et du premier semestre 2005. Le service d’audit interne du Parlement européen ne disposant pas des moyens suffisants, les travaux d’audit n’ont finalement débuté qu’en 2006.
Comme le savent tous les électeurs européens éclairés par la chose publique, le Parlement européen autorise les députés à recruter librement leurs assistants parlementaires selon trois modalités : classique contrat de travail, contrat avec un prestataire de service (du type agence d’intérim) et, enfin, un système un brin baroque, dans lequel le député contracte avec un tiers, appelé « agent payeur », qui se charge de régler les services d’assistance consommés par le député… une porte ouverte sur toutes les sortes d’abus.
Pour les rémunérer, chaque député avait droit, en 2006, à une allocation mensuelle de 15 496 euros. Un joli fromage qui représentait tout de même la coquette somme de 136 289 000 euros, soit près de 10,3 % du budget total du Parlement, sur lequel le Directeur général des Finances a autorité. Et pourtant…
Le 9 janvier 2008, au terme d’un véritable parcours du combattant, Robert Galvin, patron de l’audit du Parlement européen concluait en ces termes le rapport d’inspection auquel il allait donner son nom : « L’objectif ultime des plans d’actions proposés, est de fournir pour l’élection de juillet 2009, un cadre simplifié permettant à chaque parlementaire, le libre choix de ses assistants tout en allégeant son fardeau administratif et en garantissant une pleine transparence, une efficacité et une absolue conformité à toutes les contraintes légales et réglementaires ».
Une conclusion très « british », dans un style diplomatique tout en retenue qui cachait mal le caractère explosif des constatations qu’il venait d’effectuer. ( « as a result, the existing system can not provide reasonable assurance of compliance with the applicable rules and principles… » ). L’existence du rapport n’a été révélée qu’en février 2008 par Chris Davis, un député britannique qui a vendu la mèche.
Le contenu du « Rapport d’audit interne n° 06/02 du service d’audit interne du Parlement européen » est demeuré longtemps secret. Comme quoi, la solidarité européenne existe bien. Seuls, quelques groupes de parlementaires triés sur le volet ont été autorisés à le consulter individuellement dans une pièce dont l’accès était étroitement surveillé. En mars 2008, défiant la consigne de confidentialité dont les députés européens avaient eux-mêmes décidés au terme d’un vote, un député hollandais Paul Van Buitenen a mis un résumé du rapport sur son site Internet personnel.
Le député Davis, le premier à n’avoir pas su tenir sa langue, concluait ses réflexions sur le sujet en ces termes : « l’honnêteté ne paye pas dans ce système et les tentations sont grandes ; finalement personne ne sait vraiment qui a triché et qui s’en est abstenu ; c’est donc une honte que le parlement se soit prononcé pour que ce rapport reste secret » . Diantre ! Mais quelle insoutenable réalité décrivait donc le rapport Galvin et de quoi traite-t-il exactement ?
De la réalité des fonctions exercées par l’assistant mais aussi de son affiliation à un régime de sécurité sociale. Normalement, l’assistant relève de la législation sociale d’un seul pays, le plus souvent, celui où il réside et poursuit au moins une partie de son activité. Or, pour 26% des 43 contrats d’embauche audités par Robert Galvin, les certificats d’immatriculation des assistants à la sécurité sociale n’étaient toujours pas parvenus au Département financier plus de 2 ans et demi après la signature du contrat de travail !
Pour les contrats pourvus d’une affiliation, plus du tiers n’étaient pas conformes à la législation sociale. En outre, les contrats d’embauche qui comportaient une clause de remboursement des frais de subsistance et de déplacement des assistants (sur présentation de justificatifs selon l’article 14.5 (d) du règlement parlementaire), tous prévoyaient le remboursement – irrégulier – sur une base forfaitaire mensuelle sans obligation de produire de justificatifs. Dans un cas, ce remboursement équivalait à 3 fois le salaire principal de l’assistant.
Une autre particularité du système ayant attiré l’attention des « Galvin’s men » est l’indemnité de fin de contrat : les assistants peuvent, en effet, prétendre, pauvres contribuables européens que nous sommes, à une indemnité de 3 mois de salaire à la fin du mandat de leur député-employeur, sauf s’ils sont ré-embauchés par un autre député.
Une sorte de CDD avec bonus au lieu d’une prime de précarité. Cette indemnité est également versée aux prestataires de services d’assistance dans les mêmes conditions. 43 cas de versements injustifiés de ladite indemnité ont été audités. L’Oscar a été attribué par Galvin à un assistant qui travaillait à temps partiel pour neuf députés au moment des élections. Il a reçu l’indemnité correspondante et « régulière » de 5 députés non-réélus, mais, de manière plus comique, de 3 députés qui avaient été réélus et de 4 autres nouvellement élus. Un vrai jack-pot.
Sur les contrats de prestations de service, les hommes chargés de l’audit se sont sentis gagnés par un soupçon de découragement plus que de colère : les prestations en question sont en effet, le plus souvent, passibles de la TVA. Hélas, dans 122 des 155 paiements audités, les documents produits sur les justificatifs de paiements ne comportaient aucune information sur l’assujettissement ou l’exonération du bénéficiaire. Dans les cas de contrats de prestations de services conclus avec des assistants personnes physiques, 44 paiements sur 49 audités ne fournissaient aucune preuve de couverture sociale des co-contractants des parlementaires.
Dans les cas où les prestataires étaient des sociétés, sur 75 paiements audités, seules 11 factures étaient parvenues au Département financier dans les délais requis. Cependant, aucune d’entre-elles ne comportaient le minimum d’informations justifiant de leur validité juridique. Sur les contrats eux-mêmes, le constat est à peu près aussi tragique : dans 91% des cas, la prestation était mentionnée de manière imprécise voire même réduite à un seul mot (page 14).
Dans un cas, le nombre des assistants et leur fonction était inconnus. Dans deux autres cas, aucun assistant n’a jamais été fourni en contrepartie des règlements. Des paiements ont même été effectués à une société « en sommeil ». Dans deux cas encore, l’objet social de la société prestataire n’avait aucun rapport avec la fourniture d’assistance parlementaire. Dans sept cas, les hommes de Galvin ont relevé « un sérieux conflit d’intérêt entre le parlementaire et la société prestataire de service », sans parler du cas où elle lui appartenait et ceux (pour six d’entre eux) où les règlements ont été effectués à des partis politiques.
Quant aux paiements effectués à la troisième catégorie, celle des « agents payeurs », ils ont déclenché une volée de commentaires acides de la part des petites mains de Galvin. En effet, selon l’article 14.5 du règlement parlementaire, les députés peuvent demander à ce que les paiements soient faits à un « agent payeur » en charge de l’administration de leur assistance parlementaire.
Dans ce cas, c’est l’agent qui perçoit l’allocation et règle les salaires, cotisations sociales et notes de frais des assistants parlementaires employés par le député. En contrepartie, ils doivent lui fournir une situation financière justificative au moins une fois tous les 6 mois. Ce délai a été généreusement porté à un an à partir du 13 décembre 2004 au vu de la gabegie constatée.
L’audit a porté sur 56 paiements à des « agents payeurs ». Aucun des justificatifs n’étaient parvenus dans le délai de 6 mois. Après révision de la règle, 64% des règlements effectués n’avaient donné lieu à aucun justificatif dans le délai d’un an de telle sorte qu’il a été impossible aux auditeurs, de déterminer si les paiements effectués l’avaient été aux assistants concernés.
Dans plusieurs cas, il n’y avait aucune correspondance entre les paiements effectués aux agents pour le compte des assistants, et les salaires prévus dans leurs contrats d’embauche. Mieux, pour 28% des paiements effectués, les assistants n’étaient même pas identifiés dans les contrats conclus entre les députés et leurs « agents payeurs » !
La seule bonne note a été décernée par Galvin aux contrats d’agents conclus entre les députés et les « secrétariats sociaux agréés » prévus par la loi belge. Les 30% de députés allemands, qui avaient contracté avec les « agents payeurs » du Parlement fédéral allemand, présentaient des contrats audités satisfaisants. De plus, le service correspondant était offert gratuitement aux députés allemands et par voie de conséquence, au Parlement européen. Pas étonnant que le gouvernement allemand soit beaucoup plus réservé que le nôtre sur l’ampleur des dépenses publiques à engager pour vaincre la crise.
Compte tenu du caractère sensible du sujet traité, le service d’audit a procédé avec prudence. La première version du rapport a été communiquée au Directeur Général des Finances le 14 novembre 2006. Compte tenu des modifications réglementaires intervenues entre temps, une version actualisée des nouvelles constatations effectuées en janvier 2007 est transmise au patron des finances parlementaires le 16 février 2007.
Sans doute un brin « sonné » par les informations transmises, le Directeur Général des Finances ne fera connaître ses observations en réponse que le 15 mai 2007. Il en sera tenue compte dans la seconde version transmise au département financier le 31 mai 2007, lequel répondra de nouveau au service de l’audit le 31 juillet 2007.
Afin de réduire à néant un certain nombre d’objections du Département financier, les services du « sieur » Galvin vont ajouter quelques développements statistiques de nature à relever encore la sauce, et transmettre au Département financier la seconde version définitive de son rapport le 11 septembre 2007.
Le 19 novembre 2007, le Directeur Général des Finances faisait part de ses commentaires « officiels » sur cette seconde version en précisant qu’il n’était pas en mesure de mettre en œuvre un certain nombre des plans d’actions proposés qui, selon lui, dépendaient des autorités politiques.
Une troisième version expurgée est donc remise au Directeur général des Finances le 4 décembre 2007. Dans sa réponse – rapide - du 20 décembre 2007, le Directeur général apporte ses dernières observations en assurant Robert Galvin de sa totale détermination à coopérer avec le service de l’audit en vue de créer « les conditions permanentes de transparence, de légalité et de saine gestion financière de l’allocation pour assistance parlementaire, au mieux des intérêts mutuels de l’institution et de ses membres ». C’est vraiment le moins qu’il pouvait faire.
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