La condamnation d’Aung San Suu Kyi, le 11 août, à une nouvelle période d’incarcération domiciliaire, met Total et le gouvernement français dans l’embarras.
On ne peut désormais plus le dissimuler : Total est bien le principal soutien financier de la junte birmane depuis une décennie. Ce rôle de bouclier joué par le pétrolier français devient caricatural, au point que les partenaires européens de la France, dont l’actuelle présidence suédoise, s’impatientent.
Comment réclamer à la communauté internationale des sanctions efficaces quand on refuse, comme Paris le 11 août, de même mentionner les revenus – 3 millions d’euros par jour – que tirent les généraux de l’exploitation par Total du champ gazier géant de Yadana. Le ridicule de la position diplomatique française est d’ailleurs régulièrement souligné, en privé, par tout responsable asiatique abordant l’épineuse question birmane. « Vous attendez de nous que l’on serre les cordons de la bourse à ce régime, alors que c’est vous, Français, qui êtes, via Total, la perfusion financière de cette junte que vous prétendez combattre… »
Il existe pourtant, dans l’arsenal onusien, un dispositif : le compte séquestre, qui permettrait de sanctionner le régime, tout en améliorant le sort de la population birmane. Les revenus du gaz, au lieu d’aller directement dans la poche des généraux et d’alimenter, outre leur cagnotte personnelle, leur armée pléthorique ainsi que leurs projets de nucléaire militaire en symbiose avec la Corée du Nord, seraient gérés sous contrôle international au profit de la société civile, qui participerait, aux côtés des militaires, à l’affectation des fonds. Dans cette configuration, Total poursuivrait l’exploitation de son champ off shore, son client thaïlandais continuerait sa production d’électricité.
Dans sa lettre ouverte au patron de Total parue dans Le Monde le 27 mai dernier, Jane Birkin avait enjoint Christophe de Margerie de ne pas s’opposer à ce qu’une résolution allant dans cette direction soit mise sur la table du Conseil de sécurité par la diplomatie française.
Lors d’une entrevue avec de Margerie, courant juillet, Jane a reçu la réponse et l’a faite connaître à Bakchich : un non catégorique. Total fera tout pour que l’éventualité de la mise sous séquestre des revenus gaziers de la junte ne soit pas évoquée ni débattue. De Margerie ne veut surtout pas entendre parler de ce dispositif, qui pourrait pourtant facilement être bloqué par un veto chinois ou russe.
Ce blocage apparemment irrationnel de Total sur le compte séquestre pose question. Les contrats qui lient le pétrolier français à la junte depuis les années 90 n’ont évidemment jamais été publiés. Il se pourrait que pour verrouiller leur accord avec les généraux, les Français leur aient fait miroiter l’immense avantage de traiter avec une compagnie qui peut tout obtenir de son gouvernement, membre permanent du Conseil de sécurité, et appartenant de surcroît au camp des démocraties occidentales. Un deal que ni les Russes, ni les Chinois, ni les Japonais, ni les Sud-coréens ne sauraient offrir.
Sans clause inavouable avec les généraux, comment expliquer l’acharnement démesuré que met la direction de Total à défendre sa présence en Birmanie, moins de 1 % de ses investissements, et moins de 1 % de ses profits ?
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