Les Guadeloupéens se demandaient pourquoi Yves Jégo était rentré précipitamment à Paris. François Fillon a la réponse. C’est lui qui a rappelé à l’ordre le secrétaire d’État, jugé trop généreux.
Alors qu’il s’apprêtait à finaliser un accord pour mettre fin à la paralysie générale en Guadeloupe, Yves Jégo a été sommé par Paris de rentrer illico presto en métropole. Hier, le Premier ministre, François Fillon, l’a reçu à Matignon. Officiellement, pour finaliser l’accord négocié sur place par le secrétaire d’État pour sortir de la crise. Officieusement, pour un gros rappel à l’ordre de ce ministre jugé bien trop généreux. Un beau rétropédalage, avant une nouvelle réunion ce mardi…
Sur place depuis le 1er février, Jégo avait en effet annoncé qu’il n’avait pas « de calendrier de retour », et que « grâce aux moyens modernes de technologie », il pouvait « gérer l’Outre-Mer comme [il] le ferai[t] de la rue Oudinot », adresse du secrétariat d’État. Alors plus d’Internet ni de téléphone ? « Yves Jégo lâchait trop », explique laconiquement l’entourage du Premier ministre. Aux termes d’un accord intervenu en Guadeloupe entre le patronat et le comité LKP - « Collectif contre l’exploitation outrancière » (LKP) à l’origine de la grève générale lancée le 20 janvier - des allègements de charges sociales sont prévus pour les entreprises fragilisées. Des allègements qui doivent se répercuter sur les salaires. Depuis le début du conflit, le comité des grévistes réclame une hausse de 200 euros pour les bas revenus… le tout pour un coût de 108 millions. Aussitôt, le patronat fait savoir que l’addition est salée et en appelle au financement de l’État. Donc à un feu vert de Matignon.
Gloups, en ces temps de crise générale, 200 euros à verser à 85 000 salariés… le cabinet du Premier ministre fait rapidement les comptes avant de manquer de s’étrangler. Et se demande si Yves Jégo n’a pas abusé de l’excellent Ti Punch local. Surtout que dans le même temps, la grève générale a gagné la Martinique. Dans ce contexte, l’Élysée et Matignon craignent une « contamination » : en clair, que les Martiniquais réclament les mêmes 200 euros que les Guadeloupéens viennent de négocier. Depuis le 5 février, la mobilisation s’est en effet intensifiée en Martinique, avec des fermetures forcées par les manifestants de la totalité des grandes surfaces. Et dans ce tohu-bohu, avec les piquets de grève, un certain nombre de clients sont sortis sans payer. De quoi déplaire fortement au patronat martiniquais qui a toutes ses entrées au plus haut sommet de l’État.
Plus qu’en Guadeloupe, le pouvoir économique y est concentré entre très peu de chefs de famille, qui ont toujours su se faire entendre. Pas question dès lors de toucher au quasi-monopole qu’ils exercent sur l’activité la plus rentable de l’île : la grande distribution ! Ces patrons veillent au grain et s’arrangent entre eux pour éviter toute concurrence réelle, malgré la multiplicité des enseignes. Pour eux, l’idée de faire baisser de 30% les prix d’une centaine de produits de base et d’augmenter les bas salaires, négociée en Guadeloupe, n’est donc en aucune manière recevable par « Les derniers maitres de la Martinique », comme les qualifiaient un reportage diffusé sur Canal+, le 30 janvier dernier, qui a suscité bien des remous sur place avant même sa diffusion.
Comme si les collectifs contre l’exploitation (la pwofytasyon en créole) ne suffisaient pas, voilà qu’un rappel télévisé du douloureux passé et des criantes inégalités que connait toujours la Martinique, est venu chatouilller des sensibilités à fleur de peau. Canal+, en diffusant son documentaire « Les derniers maitres de la Martinique », un reportage sans complaisance sur les « Békés », les descendants en ligne directe des maitres esclavagistes de l’île qui continuent à se tailler la part du lion dans toutes les activités économiques, a remué le couteau dans la plaie.
Bien que Canal+ compte peu d’abonnés aux Antilles, l’impact de ce reportage, facilement accessible sur Internet, a été tel que France O Martinique ne pouvait l’ignorer. Dans son journal télévisé du 7 février, quelques extraits, dont une interview du patriarche de la famille Huygues-Despointes qui proclamait son attachement à la « pureté de la race » (blanche), ont suscité de nombreuses réactions. Des Martiniquais blancs et noirs ont manifesté leur indignation à l’encontre des propos racistes tenus par M. Huyghes-Despointes.
Le brutal rappel à Paris d’Yves Jégo a été perçu sur place comme une confirmation de l’influence prépondérante des réseaux békés dans la politique française.
Descendants en ligne directe des maitres esclavagistes de l’île, les « Békés » semblent avoir fait remonter leur hostilité à tout accord, au plus haut du pouvoir à Paris, comme le laisse entendre le communiqué de Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP : « il ne peut pas y avoir deux lois de la République », en métropole et Outre-mer. Il faut « trouver des solutions qui viennent en aide évidemment à nos compatriotes » de Guadeloupe et de Martinique, « mais qui en même temps ne peuvent être éloignées de la situation de nos compatriotes en métropole ». La crise a bon dos.
Mais à quoi joue la métropole ? Dans une situation qui dégénère tous les jours un peu plus sur place - plus d’essence, plus de denrées, des écoles fermées et 10 000 manifestants par jour dans la rue, l’équivalent de 5 millions de personnes en métropole - les couacs s’enchaînent au sommet de l’État. La communication est de plus en plus brouillonne, le discours incertain… voire inexistant. Dans son allocution télévisée, jeudi 6 février, Nicolas Sarkozy ne dit mot de l’Outre-Mer. « Ses fiches étaient pourtant prêtes », se défend son entourage. Sauf que d’habitude, le président n’a pas la langue dans sa poche et arrive à caser ce dont il veut parler… Deux poids, deux mesures ?
À lire ou relire sur Bakchich.info :
Bonjour.
Vous seriez gentils d’éviter les clichés sur les békés. Comment pouvez-vous écrire que les békés contrôlent l’économie des îles ? Non seulement c’est faux, mais en plus c’est insultant et méprisant pour les antillais noirs. Vous sous-entendez qu’ils sont incapables de réussir, condamnés à rester exploités par d’affreux esclavagistes blancs. Ce doit être confortable de pouvoir s’indigner à bon compte. C’est pratique ces boucs émissaires, on peut sortir n’importe quelle ânerie, personne ne viendra vous contredire car ce serait mal vu. On peut se donner bonne conscience pour pas cher.
Je rêve de voir enfin un journaliste faire son boulot en analysant toutes les données d’un problème, aller voir du côté de ceux qui ne veulent pas de cette grève, blancs comme noirs. Ceux qui ne sont pas payés, ne peuvent pas s’acheter à manger ou des médicaments. Pourquoi certains grévistes obligent-ils les magasins à fermer ? Pourquoi en parle t’on si peu dans les médias métropolitains ? Pourquoi se contenter de relayer la parole de celui qui parle le plus fort ?
S’acharner autant sur les békés (en accumulant les erreurs et les mensonges), c’est passer à côté des vrais problèmes de développement de ces îles : agriculture inadaptée aux besoins locaux, industrialisation insuffisante, gabegie, dépendance envers la métropole… C’est insulter l’ensemble des antillais, quelle que soit la couleur de leur peau, et éviter d’avoir à résoudre de vraies difficultés.
Bonsoir,
Comme vous dites, ceux qui ne sont plus payés, qui ne peuvent plus acheter à manger ou des médicaments ; ah !pauvres gens ! Encore une prise d’otage par ces satanés grévistes ! Et vous vous en inquiétez ? Mais de qui donc ? Des affamés ? Lesquels ? Laissez-moi deviner !… la bourgeoisie capitaliste !!!Mais franchement faudrait vivre sur une comète pour ne pas comprendre l’énorme fossé des inégalités dont souffrent la majorités des antillais qui n’avaient presque déjà plus rien avant, qui vivent dans l’obligation, pour beaucoup, de trafics en tous genres à risques et qui aujourd’hui ont dit "STOP !Organisons nous !Résistons !".En ce moment, le courage et la lutte, les guident vers la justice sociale en se réappropriant le débat politique pour défendre leurs dignités, leurs droits d’exister, dans cette prétendue démocratie qui cache derrière son voile une dictature égoiste de prétendues lois du marché par, d’abord, l’expropriation des moyens de productions massifs de la région par une minorité,et oui ! Les fameux "Bekés" que ça ne vous en déplaise, bref de ce qui se fait partout dans le globe terrestre, ensuite, par la participation active des médias catalyseurs/stérilisateurs de toute opposition politique populaire sérieuse et du gouvernement via son bras armé pacificateur par la brutalité. Par conséquent, quelle marge de manoeuvre profondément politique reste t-il aux antillais ? Rien, si ce n’est la grève générale, effectivement, pauvre békés ! que les temps sont durs !!!!et en plus on les pointe du doigt !!!Affreux, affreux clichés !!!
Saint-Nazaire, une manif s’est très mal terminée, avec un blessé sérieux et surtout plusieurs condamnations à des mois de prison ferme en comparution expresse, dont certaines avec mandat de dépôt immédiat.
La police et la préfecture auraient refusé de s’expliquer à la presse locale sur l’enchaînement des faits. .
Il se dit également que les dirigeants syndicaux, et notamment le syndicat dont plusieurs lanceurs de projectiles arboraient pourtant l’autocollant, ont brillé par leur absence, en n’envoyant aucune défense juridique ou même militante au tribunal, lorsque ces manifestants anonymes ont été très lourdement condamnés, peut-être d’ailleurs par erreur, ce qui, bien entendu, fait reculer gravement la jurisprudence des libertés en France.
Bonjour. Enfin un article pas "langue de bois" !
Je suis métropolitaine et vis en Guadeloupe et je confirme :
Oui, le gouvernement cherche à laisser pourrir une situation par peur de contagion. Je savais 15j avant qu’il y aurait grève générale à partir du 20 janvier (et le gouvernement ne le savait pas ??? Mais que font les RG !) Quinze jours de Grève générale et pas un mot dans les médias nationaux ! Pas un déplacement. Pas un mot lors du sarkoshow ? Puis 15j encore pour donner l’illusion d’une négociation… On ne parle de la Guadeloupe que depuis que la Martinique est entrée dans la danse…(Surement à cause du lobbying des békés) Que n’aurait on dit s’il s’était agi d’un département français comme la Gironde qui était en Grève générale !…Vous imaginez ? TOUT fermé pendant 15 j (3 sem maintenant) ??? Les guadeloupéens ont le sentiment d’être des sous français (et je les comprends) !
oui la vie ici est extrêmement chère. A tel point que, quand je rentre en métropole j’ai l’impression que le moindre magasin est un "hard discount" !
non, ce n’est pas un conflit "racial" (quoiqu’en disent certains que ça arrangent bien…). C’est un conflit tout ce qu’il y a de plus social. A la différence près que l’économie de l’île est concentrée (de façon directe en Martinique et moins directe en Guadeloupe) entre les mains d’une oligarchie, les békés, anciens colons qui contrôlent toutes les importations et se goinfrent sur le dos des consommateurs ! La misère ici est immense. Je suis prof et quand je vois certains dossiers d’élèves, je suis atterrée ! Un vieillard vit en bas de ma rue dans une case en tôle, dont le sol est en terre battue… au XXIe siècle en France ! C’est un scandale !!!L’habitat précaire (bidonvilles ?) est ici monnaie courante… Il faudrait que les métropolitains qui viennent ici aient la curiosité de voir autre chose que la plage de Ste Anne !
oui en tant que fonctionnaire je touche effectivement 40% supplémentaires qui indemnisent mon éloignement. Et la bonification pour la retraite est de… 6 mois tous les trois ans. Mais les difficultés de travail sont ici plus importantes. Alors que tous mes collègues de métropole ont par exemple le chauffage dans leur salle en hiver,moi je travaille avec 28 gamins à 38°c et un taux d’humidité fleurant parfois les 80% dans une petite salle sans clim ni même un ventilateur, ni même un rideau pour s’abriter du soleil …et truffée de moustiques !!! Certes, j’ai choisi de venir ici(j’ai eu ma mutation avec…52 points tellement il y avait de volontaires : il en faut par ex plus de 1000 pour travailler dans le sud de la France !) et mon travail est très enrichissant humainement parlant, mais il est difficile de faire croire en l’école à des enfants sans avenir pour qui l’ascenseur social a cessé de fonctionner depuis longtemps.(S’il a un jour fonctionné) Mon mari se bat pour que, dans son LP, on fonctionne avec des machines qui ne datent pas d’un autre âge… (sans quoi, les diplômes décernés aux élèves sont obsolètes). Vous trouvez ça normal ?
non, je n’ai pas de logement de fonction, ni de voiture de fonction et autre avantage en Guadeloupe !!! Il est bien loin le temps où les fonctionnaires avaient ce genre d’avantages… Il faudrait peut être se renseigner avant d’écrire n’importe quoi !!!
oui, le gouvernement a "oublié" ses dom. A bien des égards, on a ce sentiment… Un exemple ? Cela fait trois ans que mon propriétaire oublie de déclarer ses revenus fonciers, trois ans qu’on le signale (car on paie la Taxe d’habitation pour 6 appartements), trois ans qu’il ne se passe rien… Vous trouvez ça normal vous ? Et notre (très riche) proprio (métro) fait encore construire deux maisons (il faut faire vite avant la fin de la défiscalisation) !!! Vous trouvez ça normal, vous ?
Un autre exemple ? Ici, pas de cantine dans les collèges : les enfants (mineurs) sont livrés à eux même dans la rue et se nourrissent d’un sandwich. C’est les dealers qui sont contents !!! Vous trouvez ça normal ?
Encore un autre ? Le club Med (société cotée en bourse si je ne m’abuse) a été financée pour une grande partie par… le conseil régional !!! Pendant ce temps, je manque de tables dans ma salle de classe et aucune salle n’est aux normes de sécurité en vigueur (quant aux normes parasismiques et anticycloniques, on n’en parle même pas ! Vous trouvez ça normal ?
Et encore…je ne dis pas tout… Une population dans certains quartiers ravagée par le chômage, la misère, la drogue, le sida… Des cas de violence familiale souvent mortels tous les jours dans le journal… à l’échelle d’un département !
Et vous vous étonnez ? Moi les grévistes, je les comprends…
Si les métropolitains avaient un dixième du courage des guadeloupéens… notre omniprésident ne pourrait plus se vanter que "quand la France est en grève on ne s’en aperçoit plus".
Dernier mot, à titre d’info : la révolution de 1968 avait commencé ici, en Guadeloupe en… 1967 par une grève violemment réprimée dans le sang (plusieurs dizaines de morts). Il faudra le rappeler à Sarko.