La femme la plus riche du monde (elle possède 1/4 de L’Oréal) a souscrit des assurances-vie pour un milliard d’euros au profit du photographe jet-set François-Marie Banier. Sa fille a porté plainte.
Mais que se passe-t-il dans la vie de la femme la plus riche du monde, la Française Liliane Bettencourt ? Détenant quelque 27,5% du capital de L’Oréal, l’entreprise de produits de beauté fondée par son père, devenue la très prospère compagnie que la planète entière connaît, cette multi milliardaire dont le nom figure depuis des lustres au top des classements des riches – tel celui du magazine réputé Forbes –, est au cœur d’une enquête préliminaire ouverte par le parquet de Nanterre. A 86 ans, la dame, dont la fortune personnelle est évaluée à la somme faramineuse de 23 milliards de dollars, a été discrètement entendue par la brigade financière.
Ce sont ses liens avec un saltimbanque de l’image et de l’écrit, François-Marie Banier, qui valent à Liliane Bettencourt de se retrouver citée dans la procédure judiciaire initiée au début de l’année 2008 par une plainte déposée par sa propre fille, Françoise Bettencourt Meyers. De « multiples assurances vie » - selon un connaisseur du dossier - souscrites au fil des ans par la milliardaire au profit d’un unique bénéficiaire, François-Marie Banier, ont fini par fâcher sa fille unique. Les sommes en question sont gigantesques : près d’un milliard d’euros, droits d’enregistrement inclus, payés rubis sur l’ongle par la généreuse mentor. Du jamais vu.
La saga financière se double d’une « déchirure familiale », raconte un proche. Liliane Bettencourt et sa fille Françoise ne s’adressent plus la parole. Il y a de quoi. Et surtout de quoi refroidir l’ambiance à la table du conseil d’administration de L’Oréal dont la mère (qui détient principalement ses actions par l’intermédiaire de sa société Thétys), la fille et le gendre, Jean-Pierre Meyers, sont tous les trois membres parmi quelques personnalités du gratin, Lindsay Owen-Jones, Marc Ladreit de Lacharrière, Louis Schweitzer ou encore Charles-Henri Filippi.
Liliane Bettencourt et son mari André (décédé en 2007, ce dernier fut l’ami de Mitterrand et ministre de De Gaulle) ont toujours apprécié la compagnie amicale du photographe de la jet-set, romancier et même acteur à ses heures. Avec sa jeunesse et sa belle gueule de jeune premier, François-Marie Banier a été proche d’Aragon, qui l’a « lancé » dans la littérature et dans le monde, puis du couturier Pierre Cardin et de figures du Tout-Paris. Ses nombreuses expositions de photo dans le monde entier ont fait connaître cet ami d’Isabelle Adjani. Il a photographié la star à de nombreuses reprises, ainsi que les écrivains Nathalie Sarraute et Samuel Beckett, le pianiste Vladimir Horowitz, l’actrice Silvana Mangano, la décoratrice fantasque Madeleine Castaing, et d’autres…
Privilégié par la vie et ses amis, Banier aurait également reçu de Bettencourt quelques œuvres d’art, dont des Picasso - mais ces derniers ne seraient pas visés par la plainte. Son patrimoine, évalué dans le cadre de la procédure par les enquêteurs de la brigade financière, comporte ainsi de beaux biens immobiliers, tels ceux situés rue Servandoni, une charmante rue débouchant sur la place Saint-Sulpice à Paris. Le photographe détient également – ou a détenu dans le passé - au moins un compte bancaire au Liechtenstein, ce petit îlot de tranquillité fiscale niché au cœur de l’Europe où un scandale financier a révélé les noms de centaines d’« exilés fiscaux » de toutes nationalités ayant profité de la discrétion de la principauté.
Bakchich avait révélé l’identité de trois privilégiés, parmi les dizaines de Français soupçonnés d’y avoir planqué leur bas de laine sans en dire un mot au fisc. Le nom de François-Marie Banier figurait bien sur la liste transmise à la France par l’Allemagne, comme nous l’avions écrit le 15 mars 2008 dans un article titré « Touristes fiscaux au Liechtenstein ». Seul Douillet avait attaqué Bakchich, et notre site avait gagné devant le tribunal de Nanterre, le judoka n’interjetant pas appel du jugement.
Depuis des années, Liliane Bettencourt distribue généreusement ses millions, sponsorisant divers prix, fondations, chercheurs, scientifiques, artistes… Elle a doté la Fondation Bettencourt Schueller (du nom de son père Eugène, le fondateur de L’Oréal, proche du mouvement d’extrême droite des années 30, la Cagoule) d’un budget de 180 millions d’euros, ce qui fait d’elle « la première fondation philantropique de France », comme l’a raconté Le Figaro Magazine. Les assurances-vie dénoncées par Françoise Bettencourt Meyers ont été enregistrées dans les formes, devant notaire. Mais la plainte que cette dernière a déposée sous-entend que la milliardaire aurait pu être l’objet d’un abus de faiblesse. En clair : on aurait abusé de sa crédulité, de son grand âge ou d’une présumée incapacité pour lui faire signer les fameuses assurances-vie et lui soustraire ces énormes sommes d’argent.
Y a-t-il eu « abus de faiblesse » comme le suggère la plainte ? Faire la lumière sur ce point précis s’avèrera ardu pour les enquêteurs, comme pour tout dossier de cette nature. La milliardaire a refusé, comme elle en a le droit, de subir l’expertise médicale qui lui était proposée par le parquet pour cerner ses capacités physiques et mentales. Interrogée par les policiers, elle a assuré en substance et en toute lucidité disposer de son argent comme elle l’entend. Plusieurs membres de son personnel de maison ont été entendus par les policiers. Curieusement, certains ont été licenciés après leur interrogatoire. Probablement un pur hasard.
François-Marie Banier, convoqué également par la brigade financière, s’est tranquillement expliqué. En substance, dit-il aux flics, Liliane Bettencourt « me sponsorise ». Bakchich a laissé plusieurs messages à son avocat, François Tosi, à Bordeaux, ainsi qu’à son assistante, et lui a adressé une demande d’entretien par mail. En vain. Le photographe n’a pas donné suite.
Certains des proches de Banier ont eux aussi témoigné devant la police. Il reviendra au procureur de la République de Nanterre, Philippe Courroye, d’ouvrir une information judiciaire, confiée à un juge d’instruction, ou au contraire de classer l’affaire.
Mais Françoise Bettencourt Meyers, qui semble ne réclamer aucun centime dans cette procédure (et n’a pas répondu aux demandes d’entretien de Bakchich), pourrait demander la mise sous protection judiciaire de sa mère : soit une mesure de sauvegarde de justice (la mesure la plus légère), ou une mise sous curatelle, voire sous tutelle. De quoi causer un joli pataquès au sein des organes dirigeants du groupe L’Oréal - où la brève évocation de l’affaire par la Lettre de l’Expansion a été remarquée - tant un tel statut juridique infligé à sa principale actionnaire et administratrice, toujours assidue aux réunions du conseil d’administration, pourrait fragiliser l’empire du cosmétique, avec ses 63 000 employés dans le monde et ses 17 milliards de dollars de chiffre d’affaires.
Sortant du silence pour la première fois depuis des années à l’occasion d’une interview sur la recherche dans le Figaro Magazine, le 14 novembre dernier, Liliane Bettencourt a eu ses mots : « La fortune est une chance. Il faut s’en servir pour donner à d’autres le moyen d’entreprendre, aider ceux qui peuvent aller de l’avant et plus loin. (…) La générosité est un élan gratuit. Quand on a beaucoup reçu, il faut aimer donner. (…) Simplement, sans arrière-pensée, sans calcul, sans attendre un « retour sur investissement ». Et rendre ainsi, librement, à la société, une part de ce qu’on en a reçu… »
Un beau message qui tombe à pic à l’attention de la justice ?