Dans la jungle thaïlandaise, un homme accompagné de fantômes s’engage dans son dernier voyage. Du cinéma hypnotique, immersif, magique. Une des plus belles Palmes d’or.
Tout d’abord, le scandale. Palmé à Cannes, "Oncle Boonmee" a déchaîné les passions et suscité l’ire de certains critiques. Pourquoi pas, on n’est pas obligé d’aimer la poésie filmique d’Apichatpong Weerasethakul.
Non, ce qui est choquant, ce sont les réactions outragées des pisse-copies qui ont crié au scandale, comme en 1999, pour "Rosetta" des frères Dardenne, quand des cadors comme Lavoignat de Studio s’étaient émus qu’un film sur le prolétariat puisse remporter la récompense suprême. Quelle horreur, à Cannes, vous vous rendez compte ! Pour "Oncle Boonmee", des critiques du Figaro, GQ, Télérama, La Croix, L’Express ou France-Inter ont parlé de « Palme de l’ennui », de « psychanalyse de bambou », de film « abscons », « bizarre », « rasoir », « hermétique », s’étouffant de rage qu’une œuvre « incompréhensible » décroche la Palme, en lui prédisant un échec commercial.
Alors c’est ça la critique française, de petits comptables besogneux, limite racistes, incapables de voir, de ressentir, de vibrer, qui prennent le public pour une masse d’imbéciles et décident à sa place s’il peut voir ou non une œuvre… Un film qui se jugerait à l’aune de son succès, aux millions de dollars qu’il rapporte ? Voilà une conception du cinéma qui ferait bien marrer Buñuel, Fellini, Kiarostami, Antonioni ou Van Sant (que des palmés), mais qui ne peut faire pleurer de désespoir tout cinéphile qui se respecte.
Bon, parlons de choses plus intéressantes, parlons du film.
Souffrant d’une insuffisance rénale, "Oncle Boonmee" attend la mort, doucement, sereinement, dans sa case perdue au cœur de la jungle thaïlandaise. Bientôt, des fantômes de son passé surgissent, sa défunte femme, ectoplasme blafard, et son fils, sorte de lycanthrope velu, aux yeux rouges phosphorescents. Des fantômes calmes et bienveillants qui vont l’accompagner dans son dernier voyage, magique, hypnotique, surnaturel, dans la jungle, puis dans une grotte où tout a commencé…
Magicien du cinéma thaï, Apichatpong Weerasethakul nous avait déjà ébloui avec "Blissfully Yours" ou l’extatique "Tropical Malady". Avec "Oncle Boonmee", Apichatpong, Joe pour les intimes, nous offre son film le plus étrange, le plus radical, le plus beau aussi. Ni « incompréhensible », ni « hermétique », "Oncle Boonmee" est une invitation au rêve, un film halluciné et hallucinant, un trip.
D’ailleurs, aussi étrange que cela puisse paraître, "Oncle Boonmee" présente pas mal de points communs avec d’autres grands films immersifs sortis récemment : "Avatar", "Le Guerrier silencieux", "Enter the Void" ou "Inception". Des films sous influence kubrickienne qui envisagent le cinéma comme une expérience polysensualiste, parfois non-verbale, et qui s’apparentent à un rêve ou une vision sous l’emprise d’une drogue. Du cinéma total, absolu, ultime…
Dans "Oncle Boonmee", il n’y a rien à comprendre mais tout à voir, tout ressentir. Des singes géants aux yeux rougeoyants arpentent la jungle, un poisson-chat phallique qui butine une princesse, un buffle qui s’échappe au crépuscule, des fantômes du passé qui vous prennent par la main, les premières lueurs de l’aube, les rayons du soleil qui tardent à travers un arbre, un souffle dans les nuages…
Voici donc une des plus belles propositions de cinéma de ces dernières années. Apichatpong Weerasethakul – qui a déclaré en recevant sa récompense « J’aimerais embrasser Tim Burton dont j’adore la coiffure » - ne fait pas de films. Il fait du cinéma. Pas sûr que les critiques qui ont dégueulé sur "Oncle Boonmee" comprennent la différence.
Cher JPM,
Quand on ricane à longueur de colonnes sur le nom de metteur en scène, Apichatpong Weerasethakul, plus exotique j’en conviens que Xavier Beauvois, il y a peut-être un problème, surtout quand on ne parle pas du film… On est pas loin des Auvergnats…
Et que dîtes-vous d’arguments aussi brillants que « psychanalyse de bambou » ?
Absurde, vraiment ?