Crucifié à Cannes, Lars Von Trier revient avec une œuvre d’une beauté insoutenable, un grand film. Explications.
Variety : « Un bon gros prout arty. »
Les Inrocks : « Quelle est la raison d’être de telles images ? Où est le point de vue de Von Trier dans ce film, salmigondis contradictoire entre puritanisme et pornographie, entre scénario religieux intégriste et esthétique publicitaire sulpicienne ? Est-il un phobique de la femme ou du sexe ? Et si tel n’est pas le cas, pourquoi alors faire un tel film ? »
Libé : « Le fond d’Antichrist est soit trop obscur, soit insupportable. Bien moins finaud que les grands maîtres dont il invoque les mânes (Tarkovski, Dreyer, Bergman, rien que ça), Von Trier peint un atroce tableau de la psyché féminine moderne. »
Hollywood Elsewhere : « L’effondrement complet d’un artiste majeur. »
Le Monde : « Un film répugnant, souvent à dessein. »
Le JDD : « La dernière heure du film va se révéler aussi fumeuse, dépressive, incohérente, misogyne, violente, horrifique et ridicule, que le cerveau du réalisateur, en piètre état depuis qu’il est lui-même en thérapie. »
L’Express : « Antichrist est tout simplement un film incompréhensible que sa forme ne sauve même pas du panier. »
« Scandale » de Cannes, Antichrist a déchaîné les passions. Les critiques ont sorti les flingues, décrit les séquences les plus hardcore (merci pour les futurs spectateurs), dégueulé copieusement sur Lars Von Trier, sous-entendant même qu’un tel film ne devrait pas exister. Comment expliquer une telle crucifixion ? Tentative de réponse en quatre points.
La violence d’Antichrist serait gratuite (je n’ai jamais compris cet argument, il y aurait donc une violence payante ?), insupportable. Pourtant, on a quand même tout vu ou presque, dans les séries TV (Oz, Dexter, 24 heures…) ou au cinéma (Saw, Hostel, Martyrs, Bienvenue chez les Ch’tis). Est-ce le fait que Von Trier montre des mutilations sexuelles ? Pourtant, la castration de L’Empire des sens et la mutilation des organes génitaux d’Isabelle Huppert dans La Pianiste n’avaient pas engendré une telle haine ou un tel dégoût. Et si, plus que le gore et le sang, c’était la guerre des sexes représentée à l’écran par Von Trier qui était insupportable ? Et si Von Trier avait simplement vu juste, se contentant de gratter les croûtes purulentes qui gangrènent tous les couples ?
Antichrist serait obscur, voire incompréhensible. Donc inacceptable. Gavé de produits comme Terminator, Mesrine, Babylon A. D., Parlez-moi de la pluie, Safari ou Australia, le critique n’a plus vraiment l’occasion de solliciter ses neurones. Or, voici un film pas aimable qui refuse de vous donner toutes les clés, avec d’incroyables zones d’ombres, où il est question de désir, de culpabilité, de la nature, de folie, de rationalité et peut-être même de Dieu. Comme les films de Bergman, Fellini, ou plus récemment Carlos Reygadas, Michael Haneke ou Nuri Bilge Ceylan, Antichrist pose question. C’est un film qui, comme Shining, peut s’interpréter à l’infini. Et si c’était simplement la dépression de Von Trier projetée sur grand écran ? Bizarrement, aucun critique n’a remis en doute la santé mentale du personnage masculin qui se met à entendre parler les renards (« Le chaos règne »), avant d’essayer de zigouiller sa femme. On n’a pas fini d’épuiser toutes les richesses d’Antichrist…
Le grand procès en sorcellerie, c’est que Lars Von Trier serait un insupportable misogyne. J’ai l’impression que l’on confond le réalisateur et son « héros », incarné par le formidable Willem Dafoe. Et par un raisonnement pour le moins tordu, Von Trier serait donc un salaud qui n’aime rien tant que torturer les femmes à l’écran. C’est le coup classique, le procès stalinien des critiques. C’est évident, Dafoe bousille sa femme, DONC Von Trier est un misogyne, il y a même des traces de son ignominie dans ses précédents films. Pourquoi ne pas aller plus loin ? Quentin Tarantino est un psychopathe, obsédé par la violence (toutes les preuves dans l’intégralité de sa filmo, de Reservoir Dogs à Unglourious Basterds) ; Michael Haneke est un pervers récidiviste (remember Funny Games et Funny Games U. S.) ; Gaspar Noé est un obsédé notoire et sûrement un drogué (Irréversible et Soudain le vide), sans parler des réalisateurs de films gore ou de porno… On pourrait décliner ad nauseam ce genre de théories fumeuses, mais je vous laisse lire les confrères (Le Monde, entre autres).
Je suis persuadé quant à moi que l’on a fait payer à Lars Von Trier son talent et sa liberté. Voici un homme blessé, dépressif, tout en haut de l’Olympe du septième art. C’est un génie, un surdoué, un punk et un clown (le Dogme, ça vous rappelle quelque chose ?). Quelqu’un qui vient à Cannes (en camping car) présenter « ce petit film que j’aime bien » et qui refuse de s’excuser ou de se justifier. Cet artiste plein de morgue (« Je suis le plus grand réalisateur »), quelques plumitifs en mal de bronzette ont voulu se le payer, en hurlant avec les loups pendant la projo, en conférence de presse, puis dans leurs articles. Pourtant, si les extraits de critiques du début ne vous ont pas donné envie de vous ruer dans les salles, je peux vous assurer qu’Antichrist va vous brûler la rétine. Von Trier a laissé aux chiottes cette connerie de Dogme et prouve qu’il est bien un des grands formalistes. Ce qu’il nous offre ? Du jamais vu (la plus belle définition du cinéma ?). Bien après la projection, impossible d’oublier Charlotte Gainsbourg marchant au ralenti dans les bois, telle Alice au pays des horreurs, ces plans sur les arbres secoués par les éléments, ce trou-terrier-origine du monde, la séquence où Gainsbourg et Dafoe font l’amour au-dessous de l’arbre, avec les bras et les corps des damnés de la terre qui sortent de terre, cette fin qui évoque le cinéma muet, notamment Murnau…
Encore plus fort, LVT fait de la mort d’un bébé un grand moment de cinéma. Ce devrait être dégueulasse, obscène, c’est juste sublime, poignant, inoubliable. Cela s’appelle un tour de force. Avec Antichrist, Lars nous prouve également qu’il est un des meilleurs directeurs d’acteurs. Après Emily Watson, Björk ou Nicole Kidman, il offre à Charlotte Gainsbourg le plus beau rôle de sa carrière, le plus extrême, le plus profond. Après d’innombrables niaiseries comme Ma femme est une actrice ou Prête-moi ta main, on a hâte de découvrir les nouveaux films de cette comédienne extraordinaire.
Avec Antichrist, Lars Von Trier l’alchimiste a transformé ses angoisses en film et nous confronte à nos peurs : la peur du corps, la peur du sexe, la peur de l’autre, l’épouvante que peut générer la nature… Comme Picasso, Von Trier ne cherche pas, il trouve. Le désir, l’amour, la mort, la psychanalyse, le deuil, la religion : il a tout vomi sur une toile et cette toile, c’est Antichrist. Von Trier vous propose un voyage où très peu de cinéastes sont allés, laissez-vous embarquer au pays du chaos. Antichrist est un diamant qui brille de mille feux. Un diamant noir.
À lire ou à relire sur Bakchich.info :
Soulagée moi aussi de rencontrer une critique que je puisse enfin partager. Antichrist est d’une liberté et d’un talent incroyables. C’est un film terrifiant certes, qu’il vaut mieux aller voir hors périodes de trop grande fragilité psychologique, car la puissance des images - au-delà de leur violence - est redoutable. Un cinéma qui se moque bien des interprétations intellectuelles, mais qui a pourtant tout à voir avec la vie de l’esprit, lumières et ténèbres qui animent notre vie en profondeur, et font notre humanité belle et terrible inséparablement. De l’art, quoi.
Antichrist me parle incroyablement de la responsabilité du lien que nous entretenons avec notre imaginaire, avec le lieu où nous nous construisons profondément en temps que sujet. On peut passer sa vie à l’ignorer et se contenter du prêt-à-penser fourni par l’époque et l’environnement, on peut se faire violence en franchissant inconsidérément les limites, on peut aussi tenter de l’approcher tout à la fois avec rigueur et tendresse pour soi-même : et entrer dans le vivant. LVT parle du vivant, sans avoir peur de se risquer à livrer les images qui l’habitent, tendues, comme la vie elle-même, entre cohérence et chaos. L’ oeuvre m’accompagne en profondeur depuis que je l’ai vue, et n’a pas fini d’agir.
C’est incroyable.
Antichrist se fait une nouvelle fois massacrer lors du Masque et la plume par "les professionnels de la profession" ("c’est nul, on a rien compris, c’est complaisant, trop violent, ridicule", entre deux vannes pas drôles du "critique" du Figaro). Et sur le net, la bataille fait rage. Il y a les pros et les antis et c’est absolument passionnant, notamment sur le blog de Kaganski et ici même, où j’ai lu les analyses les plus pénétrantes (et je pèse mes mots) du film de LVT.
Merci à vous tous.
Ah ! le Masque…
j’avoue qu’être aussi complaisant avec le nanard de Marina de Van et flinguer à vue Antichrist (un réflexe de chasseur ?) a quelque chose de troublant. Même les louanges qui accompagnent les beaux gosses (un bon petit film, dans la veine de Schulmann, pas beaucoup plus écrit) me paraissent exagérées.
par ailleurs, le, hem…, "critique" du Figaro m’a terrifié il y a quelques mois en sortant un vigoureux "y’en a marre des documentaires au cinéma" (à propos de Depardon je crois). Saillie qui fait écho à son bonheur, dimanche dernier, de découvrir enfin "du cinéma japonais qui ne soit pas de l’art et essai"( ????). Classe, distinction ou pertinence, ce garçon n’a rien pour lui.
niaiserie pour niaiserie, personne ne peut le cantonner au Fou du Roi ?
S.
1er temps (dans la critique) : "le critique n’a plus vraiment l’occasion de solliciter ses neurones" 2nd temps (en réponse à un commentaire) : "il n’y a a rien à comprendre, tout à ressentir"
J’ai la chance extrême d’être chasseur et dans une famille de médecins, ce qui m’a permis de passer outre les provocations pour bobos végétariens de Lars Von Trier et me concentrer mieux sur le seul aspect réjouissant de ce film, sa bêtise, dont l’aptitude à émoustiller les zygomatiques devrait le propulser pas loin du top ten de Nanarland, à côté de chefs d’oeuvres comme Turkish Star Wars, White Fire et Blood Freak.
Remercions Lars de repousser les limites du convenable, j’entends par là de la stupidité, dans un art consommé pour enlever tout semblant de cohérence à une oeuvre dont seule l’attente de la prochaine énormité empêche de quitter le siège fort peu confortable de la salle de cinéma.
Ce film me fait penser à une réplique de Basic Instinct, du collègue de Michael Douglas : "mais pourquoi faut-il que, chez toi, le cul domine autant la tête ?". Il faut admettre que le réalisateur suédois n’a même pas su mobiliser les capacités hautement sensitives de ses parties, livrant son fatras filmé avec les pieds (dont l’intelligence est proverbiale) à la vindicte de la critique qui ne s’y est (presque) pas laissée tromper.
A ceux qui ne l’ont pas vu, sachez que de la chute du mannequin en mousse à l’épilogue comme une mauvaise fable de la fontaine (il manque le fromage dans le bec du corbeau, mais le film est déjà suffisamment malodorant), c’est de la folie furieuse à peine camouflée par les tremblements hystériques du cameraman sans doute handicapé par le poids des innombrables filtres qui saturent l’écran.
Ce pourquoi, j’en concluerais pour ma part que si l’on veut bien admettre qu’il existe deux sortes de bons films, ceux qui rendent le spectateur plus intelligent et ceux qui lui font croire de l’être plus que le réalisateur, Antichrist est indéniablement un chef d’oeuvre.
J’en tirerai, outre la franche rigolade un peu tempérée par les 6 euros de la séance, 3 révélations mystiques majeures :
on peut être l’égérie d’une oeuvre mysogine et recevoir la palme.
les chênes danois croulent sous les glands.
c’est vachement dur de trucider un corbeau en hibernation (sic !) dans un terrier.
Je vais paraitre prétentieux juste le temps de ce post (ha…quelle prétention de croire que je ne suis prétentieux QUE le temps de ce post…ouf, du coup, là, je le suis un peu moins) Voilà, ce type de film (rare malheureusement) c’est un peu ça. Il faut méditer sur ce que l’on voit (pas forcement sur ce que l’on regarde), ce que l’on entend (pas forcement sur ce que l’on écoute), et sur soit même. Et puis recommencer.
Magnifiquement filmé (un sens aiguë de la photographie). Ce contraste incroyable entre la mort de l’enfant et la jouissance de sa mère (la copulation qui représente la vie) vie -> mort -> vie. La lente descente vers la folie (elle), face à la vaine et présomptueuse tentative de sauvetage (lui) sont filmées avec un rare talent. Les 3 mendiants (biche, renard et corbeau) en oppositions aux 3 rois mages, ou aux boeuf, ane et colombe.
Misogyne ? Bof, pas plus que Walt Disney avec Blanche-neige qui se tape le nettoyage, le linge, la vaisselle et la bouffe des 7 nains…
Quand aux paraboles, (les glands et maître corbeau) il faut savoir les apercevoir et les comprendre (ce n’est pas toujours évident, j’en convient).
Comment voulez-vous tuer un symbole ? Pas évident, même pour un chasseur. Le corbac (que l’on peut considérer être comme l’anti d’un des trois fondements de la triade paulienne) revêt ici un sens hautement métaphorique (le fait qu’il soit déterrer sanguinolant -il n’est pas en hibernation, il est à moitié bouffé - par l’homme en quête d’une rédemption).
Il est regretable que de tel films ne soient pas compris à leur juste valeur.
Cela me fait penser aux critiques du fantastique "tenue de soirée" à l’époque de sa sortie. Ou encore ce que pensaient certains de Serge Gainsbourg. "Blade runner" n’a lui non plus, su être compri à sa juste valeur : une oeuvre de science-fiction métaphysique d’une prodigieuse puissance (le symbole de l’oeil (la fenêtre de l’âme) omniprésent, que l’on retrouve à plusieurs passage dans Antichrist).
Bref, c’est le genre d’oeuvre qui ne se livre pas facielement pour mon plus grand bonheur et qui se mérite pour le plus grand malheur de ceux qui n’en font pas l’effort.
Alors, qui de lui eou d’elle symbolise le bien et le mal, hum ? Pas si simple…