Dans les lycées des banlieues populaires, il n’y a pas d’étanchéité entre l’intérieur et l’extérieur. Les événements du quartier résonnent dans l’école et réciproquement.
Une histoire de cœur, une histoire de sœur, une querelle entre « bandes » et l’on sort les lames, on s’envoie à l’hôpital où au cimetière pour un rien. Ça se passe comme ça, en banlieue. Dans la cour des lycées, on se perce avec naturel, à coups de couteaux de boucher.
On rejoue "West side story" sur fond de rap ou de rock, et les braves gens des quartiers tranquilles se scandalisent devant leur télé. Ils ne s’étonnent pas vraiment, les braves gens, que des adolescents se retrouvent aux urgences ou en taule pour un motif « futile », une « stupide histoire de ». La litanie des faits divers en témoigne : ça se passe comme ça, en banlieue. Quelques mots d’indignation et, bien vite, ils retournent à l’essentiel : l’appétit des ministres intègres, la voracité des traders et des banques, le foot. The show must go on.
Sous le préau du lycée, minable arène où l’existence de trois gamins a basculé, la vie reprend son cours. Les examens poursuivent l’impassible déroulement de leurs épreuves. On tente de se réconforter. On salue le professionnalisme des infirmières scolaires, qui ont sauvé la vie du jeune blessé ; le courage des surveillants, qui se sont interposés au risque de recevoir un sale coup. Des huiles académiques passent, font part de leur soutien, puis s’en vont. Reste la tristesse. Le sentiment d’impuissance devant le drame qu’on n’a pas pu, pas su éviter, malgré tout le travail accompli. Le visage des adolescents, qu’on ne reverra plus, se dessine en surimpression sur les pots de départ en retraite, sur les mauvais murs du vieux bahut, sur les gens heureux, ailleurs, assis à la terrasse des cafés. Et l’on contient mal sa colère.
Dégoût de voir les travaux indispensables, promis depuis des années, indéfiniment reportés. Dégoût des suppressions de postes et du développement de la précarité, là où le besoin d’un personnel bien formé, stable, connaissant le terrain et les familles, est vital. Dégoût de la mesquinerie des subventions octroyées aux associations locales. Vidé de ses flics, le commissariat se montre incapable de donner suite aux plaintes déposées par la population. Le chômage, la misère, rongent de l’intérieur les cités, même repeintes. L’abandon des femmes et des hommes relégués au delà du périphérique engendre la peur de ceux qui vivent là et glissent un canif dans leur poche, croyant ainsi se protéger.
Dans les banlieues populaires, il n’y a pas d’étanchéité entre l’intérieur et l’extérieur. La sanctuarisation des établissements scolaires tant invoquée par les élus n’est qu’illusoire. Dans cet univers poreux, les événements du quartier résonnent dans l’école et réciproquement.
Ce ne sont pas quelques petits aménagements de circonstance qui nous feront oublier que, si ça se passera encore longtemps comme ça, en banlieue, c’est parce que les puissants le veulent bien.