Benicio Del Toro se tripote la barbe, fume le cigare et devise sur la révolution dans la jungle cubaine. Une interminable hagiographie.
Steven Soderbergh est un metteur en scène passionnant. Comme les artisans de l’âge d’or hollywoodien, l’homme tourne un film par an, alterne petits films indés et grosses prods avec stars, s’essaie à tous les genres. Producteur doté d’un bon flair, excellent directeur d’acteurs, chef opérateur inspiré, c’est également un grand formaliste, spécialiste des constructions alambiquées et un fan des remakes. A son palmarès, une Palme d’or à 26 ans pour Sexe, mensonges et vidéo, des perles du polar comme L’Anglais ou Hors d’atteinte, un des meilleurs Julia Roberts (Erin Brockovich), un film quasi expérimental épatant (Bubble), le remake passionnant d’un classique de la SF (Solaris), une pluie d’Oscars pour le très efficace Traffic. Malin et opportuniste, Sodo (pour les intimes) a également torché des choses nettement plus improbables comme la trilogie costard, frime & coolitude (Ocean’s Eleven) et foiré dans les grandes largeurs Kafka, The Good German ou A fleur de peau.
Après vingt ans de carrière, Steven Soderbergh récupère un projet de Terrence Malik et du comédien Benicio Del Toro sur le Che. Sodo s’est toujours intéressé aux outsiders, à l’individu en marge qui lutte seul contre tous. Ici, il s’attaque à l’icône révolutionnaire ultime, le barbu sur le tee-shirt des rebelles du monde entier, Ernesto Che Guevara.
Voici donc Benicio Del Toro, né pour le rôle, dans le treillis et les rangers du Che. Et puis, plus grand-chose. Benicio arpente la jungle, écoute pousser sa barbe, fume des cigares bling bling, harangue les paysans, regarde Fidel Castro d’un air pénétré, soufre d’un asthme ravageur, annone des sentences définitives comme « Un véritable révolutionnaire est guidé par l’amour ». Comme il ne se passe rien à l’écran et que la chose dure quand même plus de deux heures, Soderbergh brise la chronologie de son récit avec des images en noir et blanc de l’intervention du Che contre l’impérialisme yankee au siège de l’ONU à New York en 1964, et un entretien avec une journaliste américaine. Des flash-forward très chics, sûrement censés nous révéler la mythologie du personnage, mais qui ne sont que des artifices creux et vains. C’est l’ennui total, et trente minutes avant la fin, Soderbergh se réveille et tente de réanimer le spectateur au bord de l’accident vasculaire cérébral avec une grosse scène de baston à Santa Clara : un train déraille, des soldats se tirent dessus, des tas de figurants paumés courent dans tous les sens en regardant la caméra. Soderbergh a beau s’appeler Steven, il est encore loin de Spielberg.
Si le film, tourné dans des conditions difficiles (budget pas assez conséquent, deux mois de montage because festival de Cannes), est assez misérable, superficiel et indigne du talent de Soderbergh, on est encore plus étonné par la teneur de son discours. Poète, intellectuel, cœur pur, Guevara est un saint qui prêche la bonne parole comme Jésus. Rien, en tout cas dans cette première partie, sur l’aspect fanatique du Che qui avait émis l’intention de lancer des missiles nucléaires sur les Etats-Unis ou qui assurait à propos des exécutions des ennemis du peuple : « Nous avons fusillé, nous fusillons et nous continuerons à fusiller tant que cela sera nécessaire. Notre lutte est une lutte à mort. » A propos de cette incroyable amnésie, Soderbergh a déclaré : « A La Havane, le Che devient un bureaucrate qui signe des arrêts de mort. Ce personnage-là ne m’intéresse pas ! » Obnubilé par le guérillero poète, Soderbergh fait dans l’hagiographie, l’image d’Epinal, le scolaire, et ce n’est d’ailleurs par pour rien que son film a remporté le Prix de l’Education nationale à Cannes.
De « l’être humain le plus complet de son époque », ainsi que l’affirmait Jean-Paul Sartre, il ne reste que le costume, l’accessoire : la barbichette, le cigare, le béret, bref, le tee-shirt. Guevara reste une énigme, un être désincarné, sans racine, sans enfance, sans famille. Et sans psychologie. L’énigme sera peut-être levée dans le second volet de la saga - Guerilla - qui raconte l’errance et la mort du Che en Bolivie. Car voici la mauvaise nouvelle : comme pour Mesrine, une deuxième partie de deux heures arrive fin janvier. Au secours !
Che (L’Argentin) de Steven Soderbergh, avec Benicio Del Toro, Demian Bichir, Franka Potente, Edgar Ramirez, Santiago Cabrera Sortie en salles le 7 janvier.
Che qui avait émis l’intention de lancer des missiles nucléaires sur les Etats-Unis
Tiens, Cuba disposais de l’arme atomique, à l’insu de son plein grès ?
Je suis d’accord que le film est assez long pour le peu qu’il montre. De même, le Che lui-même semble absent du film puisque Soderbergh ne pénètre jamais le personnage, qui reste en surface. Du coup, il n’est ni sympathique, ni antipathique, juste neutre.
Par contre, je signale que la fameuse phrase sur les exécutions et sur la lutte à mort que vous citez est prononcée dans le film par le Che à la tribune de l’ONU. Je suis pour les critiques constructives mais évitez de faire porter votre critique justement sur un des rares points qui est abordé dans le film. J’espère sincèrement que le deuxième film s’intéressera davantage au personnage de Guevara, qui fait cruellement défaut dans ce premier volet.
hello Mr Godin !
Pas (du tout) d’accord avec vous. Ce Che n’est certes pas un chef d’œuvre (je sens que vous allez adorer la 2ème partie…) mais il est parfaitement cohérent dans la filmographie du réalisateur. À la fois grand formaliste et ingénieux conteur, comme toujours, il expérimente, touille ses images, joue de ruptures de rythme, s’amuse de son sujet, refuse l’héroïsme - et le résultat est tout sauf scolaire. Tout sauf ce que le premier boutonneux à barbichette qui arbore fièrement ses tee-shirt made in China à l’effigie du révolutionnaire peut espérer.
Je vous rejoins sur un point.
Effectivement : Soderbergh n’est pas Spielberg. Il s’occupe de la photo de ses films, il sait diriger des acteurs, il ne confond pas rythme et épilepsie, lui.
(et revoyez son Kafka, vraiment pas honteux et qui vieillit très bien).
meilleurs vœux pour 2009, qu’on espère riche en découvertes cinématographiques (à commencer par ce formidable Morse à venir en février, un anti-Twilight formidable)
salutations
S.
hum !
2 fois "formidable" en un si courte phrase, c’est dire mon enthousiasme !
Disons que je garde un "formidable" pour Morse et que j’attribue le second à la ressortie il y a quelques mois (et dans la plus parfaite indifférence des kritikakouatiks du landerneau parisien) du bijou signé Paul Newman de l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites
(j’dis ça, au lieu de perdre son temps à dézinguer un Spirit, un Largo Winch ou Australia… comme il est joliment écrit dans Siné Hebdo : Est-il besoin de voir des navets pour savoir que c’en sont (et Dalila) ?).
bien à vous
S.