Hier après-midi, Areva et l’un de ses cadres comparaissaient devant le tribunal de Paris en correctionnelle pour discrimination et incitation à la haine raciale. Cette affaire fait suite à des propos tenus par Thierry d’Arbonneau, responsable de la sécurité des sites, lors d’un colloque organisé par le Medef.
Au Niger, Areva, premier employeur dans le pays et numéro un mondial du nucléaire civil, subit de plein fouet, depuis 2007, une rébellion touareg [1]. En évoquant cette situation, le 21 octobre 2008, Thierry d’Arbonneau, directeur protection du patrimoine et des personnes d’Areva, sur le thème « garantir la sécurité économique », est intervenu pour appeler l’Etat français à prendre les choses en main.
Les associations Alhak-En-Akal et Menschrenrechte 3000 E.V. [2] reprochent à Thierry d’Arbonneau d’avoir appelé à « mater » la rébellion touareg, et l’accusent de discrimination pour avoir présenté les Touareg comme « ces hommes en bleu qui font rêver les hommes et chavirer le cœur des femmes, mais ce n’est qu’illusion ». La défense de l’amiral est toute trouvée, outre de multiples failles procédurales, les propos invoqués par les parties civiles sont « erronés ». « Je ne les ai pas tenus et ils sont contraires à ce que j’ai exprimé », explique le Sieur d’Arbonneau. Enregistrement à l’appui, il s’avère que les propos diffèrent. Lors de cette table-ronde, introduite par Michèle Alliot-Marie, Thierry d’Arbonneau a souhaité rebondir aux propos de la ministre de l’Intérieur sur l’attente d’entreprises privées envers les sociétés de sécurité.
Aux accusations de Maitre Bouquet-Elkaïm, conseil des parties civiles, l’amiral répond que « la rébellion c’est le problème de l’Etat du Niger » et que « les relations entre la France et le Niger dépassent Areva ». Il en viendra ensuite à présenter ses bonnes relations, « neutres », avec « tout le monde », c’est-à-dire, « le président nigérien, les parlementaires, les ministres, les maires… ». On lui a même offert des « vêtements touaregs » ! On comprend que cette action en justice soit « blessante » . Un homme au chech couleur sable, musicien touareg, se dit lui aussi blessé mais pour ce qui constitue une atteinte aux droits du peuple touareg.
Après plusieurs heures de débats, très procéduraux, quant aux propos tenus par Thierry d’Arbonneau, vient le temps des plaidoiries. L’occasion pour Maître Jérôme Bouquet-Elkraïm de faire un énoncé virulent contre la politique d’Areva au Niger. « Eaux irradiées, expulsions, répressions, tortures, déplacements de populations », telle est la réalité au Niger. « On ne s’est pas trompé de lieu (…), c’est bien un procès pénal qu’on veut », explique-t-il, « on ne peut pas appeler au soutien d’un Etat qui viole systématiquement les droits de l’homme, sans appeler du même coup à des discriminations. »
La procureure de la République quant à elle demande la relaxe devant tant de difficultés procédurales. « Il n’y a pas, à mon sens, exhortation à la violence, à la discrimination, il n’y a pas d’incitation directe à la haine raciale ». La défense est en terrain conquis. « C’est un non-procès », une « tentative d’instrumentalisation de la justice », plaide l’avocat de l’amiral. En direction des juges, il lance : « on se moque de vous quand on vous dit que la situation est telle au Niger ». La situation se retourne alors contre les parties civiles, qui se voient demander un euro de réparation pour son client et 10 000 euros au titre du préjudice matériel subi.
Du côté d’Areva, « on comprend et partage le ressenti de Mr d’Arbonneau », mais « ce qui importe à Areva, c’est de poursuivre dans la ligne d’un partenariat avec l’Etat et les populations locales », le géant jaune « entend signifier qu’elle se positionne là-bas comme un partenaire. »
A l’issue de l’audience, devant l’entrée de la XVIIe chambre, s’engagent alors des discussions entre le cadre d’Areva et les touareg présents. Pour Thierry d’Arbonneau, les plaignants ne vont pas « créer la bonne volonté des interlocuteurs par des séances comme cela. »
De son côté, l’avocat des parties civiles dénonce les « pressions » dont ils auraient fait l’objet, lui et ses clients. Il se dit également peu surpris par la position du procureur du fait de la participation à hauteur de 93% de l’Etat français dans le capital d’Areva, mais relève que « le rôle du parquet est de relever les troubles à l’ordre public, et c’était le but » de l’action. C’est aussi le moment choisi par un collaborateur d’Areva, dissimulant son identité en se présentant comme un simple nigérien, de demander à l’auteur de cet article, seul journaliste présent sur le banc de la presse, ses impressions. Manque de chance, les apparences cette fois ne trompaient pas, et surtout une discussion qu’il tint deux minutes plus tôt sous sa véritable identité l’a démasqué. Il ne manquera pas, tout en se présentant comme neutre, d’expliquer qu’« Areva fait son travail » et que lui, pour sa part, « reprocherait beaucoup de choses à [son] Etat. » Le géant jaune a de fervents communicants, en plus d’avoir de bons avocats.
Le jugement sera rendu le 15 septembre prochain. En attendant, chez Areva, on doit encore fêter l’obtention du droit d’exploiter le plus gros gisement d’uranium en Afrique, à Imouraren, au Niger, en territoire touareg.
À lire ou à relire sur Bakchich.info :
[1] Une première rébellion touareg avait donné lieu aux accords de 1995.
[2] Alhak-En-Akal est une association de droit nigérien tandis que Menschrenrechte 3000 E.V est de droit allemand.