En plein Wimbledon, Richard Gasquet, contrôlé positif à la cocaïne en mars, est jugé ce lundi à Londres devant le tribunal de la Fédération internationale de tennis (ITF). Il pourrait être relaxé ou être suspendu deux ans.
La durée de la sanction que risque le tennisman Richard Gasquet, pour son contrôle positif à la cocaïne du 28 mars dernier lors du Masters 1000 de Miami, oscille entre la relaxe et deux ans de suspension. Pourquoi un tel écart ? Depuis le 1er janvier 2004, le code mondial antidopage distingue deux listes de substances et méthodes prohibées : celles qui le sont uniquement en compétition, comme les stimulants (cocaïne, amphétamine…), les narcotiques, les cannabinoïdes et les glucocorticoïdes.
Pour la cocaïne, la distinction est capitale puisque si le sujet est contrôlé positif pendant une compétition, il lui en coûtera, cette fois sans pouvoir y échapper, deux ans de mise hors circuit, alors que si le sportif est pincé pendant une activité dite « récréative » (une « teuf » en dehors d’une compétition), même si le contrôle est positif (au-delà du seuil de 50 ng/ml), il ne sera pas pris dans les filets des juges antidopage. Ni le sportif concerné, ni la fédération sportive ne seront informés de cette présence urinaire de cocaïne. Comme quoi, en matière de vie privée poudrée, le monde sportif est moins dur que celui des flics.
Mais alors, pourquoi Gasquet a-t-il reçu un courrier de sa « fédé » le prévenant de son test non-négatif, alors qu’il venait de déclarer forfait, ce fameux 28 mars à Miami, avant son premier match contre l’Espagnol Albert Montanes (35e mondial) ?
Pour définir le « cadre réglementaire », c’est-à-dire la période de la compétition pendant laquelle les stimulants sont interdits, il a été admis, pour le tennis, que celle-ci débutait le jour de l’ouverture du tournoi. En l’occurrence, pour le Masters de Miami, le mercredi 25 mars (en raison de son classement ATP, Gasquet, comme Nadal et les meilleures raquettes, est dispensé du premier tour et ne débute le tournoi que le 28). Deux jours plus tard, le 27, souffrant d’une tendinite de l’épaule droite, Gasquet passe une IRM qui confirme une inflammation de la région deltoïdienne. Après consultation et avis du médecin du tournoi, il décide donc de déclarer forfait.
Compte tenu de l’heure tardive à laquelle sont tombées ces conclusions médicales, le Français explique dans L’Équipe : « Il est 19 h 30 et je me dis que je vais me retirer officiellement le lendemain. Pour moi, en tout cas, le tournoi est fini. Je rentre à mon hôtel. » Le soir même, libéré des contraintes de la compétition, il sort et se rend dans un premier temps au club « Set » où se produit le DJ Bob Sinclar en fin de nuit, presque à l’aube. Le sportif en goguette se rend aussi au « Goldrush », une boîte de strip-tease. C’est là que le joueur aurait été mis en contact avec la coke. Le lendemain, 28 mars, en fin de matinée, le Biterrois se lève pour aller officialiser son forfait. Mais, puisque la compétition est officiellement en cours, il doit faire pipi dans un flacon. Et l’urine sera positive à un taux de 151 nanogrammes par millilitre, alors que la limite de sensibilité imposée aux laboratoires antidopage s’établit au seuil de 50 nanogrammes. Les traces de stupéfiant détectées chez Gasquet sont donc relativement faibles. Même s’il n’a pas joué, le règlement c’est le règlement : le contrôle a eu lieu pendant le tournoi.
Même si elle n’a rien à voir avec le cas Gasquet, cette bluette illustre les multiples usages de la coke. C’est un cycliste professionnel néerlandais des années 1960, Theo Sijthoff, qui la raconte : « Connaissez-vous l’histoire de l’arroseur arrosé ? Le coureur en question s’était caché un tube de caoutchouc rempli d’urine propre dans le derrière, après l’avoir enduit de pommade.- De pommade ? Pourquoi ?- Pour que cela glisse mieux (NDLR : sans douleur ; à ce sujet, rappelons que la première indication médicale de la cocaïne portait sur sa propriété d’anesthésique local d’action rapide au niveau des muqueuses), si vous voyez ce que je veux dire. Et pourtant il fut tout de même trouvé positif. Ce n’était pas possible, cria-t-il, et nous étions tous avec lui. On pensait que ça ne pouvait pas être vrai. Mais l’imbécile avait malheureusement utilisé une pommade anesthésiante à la cocaïne ! L’urine pure avait été contaminée. Le coureur protesta cependant avec succès. Il déclara qu’il avait de la pommade dans son pantalon parce qu’il avait des boutons sur les fesses. Et les types de la fédération lui firent des excuses ! » [Koomen T. - [25 ans de dopage] (en néerlandais) .- Laren (HOL), éd. Luitingh, 1974.- 144 p (p 120
A titre d’éclairage, rappelons que lors des derniers Jeux olympiques de Pékin, les épreuves proprement dites se sont déroulées du 8 au 24 août mais, officiellement, la date des compétitions démarrait le 31 juillet, date d’ouverture du village olympique, afin de permettre aux concurrents de se familiariser avec les sites de compétition, mais aussi de s’adapter au décalage horaire. Pendant cette période du 31 juillet au 8 août, toutes les substances étaient déjà recherchées comme si les sportifs participaient à une épreuve olympique.
Pour faire court, la cocaïne, une substance « non spécifiée » prise dans ces conditions, fait partie de l’arsenal du dopage et n’entraine pas la clémence des juges. Pour la petite histoire, depuis 2004, le Code mondial antidopage distingue deux catégories de substances : les spécifiées et les non-spécifiées. Dans l’édition du Code 2008, qui tient à force de loi pour 2009, voici ce que l’on peut lire de la règle : « Le Code révisé prévoit désormais que toutes les substances interdites – à l’exception des substances comprises dans les catégories des agents anabolisants et des hormones, ainsi que des stimulants identifiés dans la Liste des interdictions (NDLR : la cocaïne en fait partie) – deviennent des « substances spécifiées » à des fins de sanction. Cela signifie que lorsque un sportif peut établir comment une substance spécifiée est entrée dans son corps ou est entrée en sa possession et que cette substance spécifiée n’était pas destinée à améliorer la performance sportive, la sanction peut être réduite au minimum à une réprimande sans période de suspension et au maximum à une suspension de 2 ans ». Ouf, pardon, mais les juristes de la performance écrivent ainsi.
Cette règle implique que le sportif est responsable de tout ce qu’il absorbe, particularité précisée dans le même Code mondial à la rubrique Principe de la responsabilité objective : « chaque sportif est objectivement responsable des substances décelées dans son échantillon, et qu’une violation des règles antidopage survient quand une substance interdite (ou ses métabolites ou marqueurs) est trouvée dans son prélèvement corporel. Il y a violation même si le sportif a fait preuve de négligence ou qu’il n’ pas agi intentionnellement. »
La chose est dite, « l’insu de son plein gré » n’est pas prévu par la loi. Toutefois, un peu de clémence dans ce monde de brutes, si une sanction maximale est prononcée par le tribunal antidopage de l’ITF, Gasquet peut saisir le Tribunal arbitral du sport qui, lui, pourra éventuellement casser la sanction. Ici, il faudrait que les défenseurs du joueur démontrent que « des circonstances exceptionnelles ont fait qu’une substance s’est retrouvée dans l’organisme d’un sportif sans qu’il y ait eu négligence significative de sa part ». Plus compliqué qu’un passing le long de la ligne, même si l’emploi de ce mot est prohibé dans ce genre d’article cocaïneux.
On comprend pourquoi le clan Gasquet essaye de démontrer l’existence d’une « contamination extérieure » lors de la soirée du vendredi 27 mars à Miami et porte plainte contre X pour « administration de substance nuisible ayant porté atteinte à son intégrité physique ». Lourde machine de guerre qui, a priori, doit mobiliser en France un juge et des policiers et motiver l’envoi d’une commission rogatoire internationale aux USA afin de permettre aux enquêteurs français de se rendre à Miami (aux frais de la princesse).
Au vu des éléments connus du dossier Gasquet, le tribunal antidopage de Londres devra trancher entre quatre options : 1. Dopage stimulant (interdit) 2. Usage récréatif (autorisé) 3. « Doping to lose », dit aussi dopage à rebours (administration à l’insu d’un concurrent de substances diminuant ses capacités ou destinées à le rendre positif lors d’un contrôle) 4. Contamination accidentelle : baiser « empoisonné », boisson coke flottant dans l’air, etc.
Sur le premier point, si Gasquet s’était dopé afin de gagner son match contre Albert Montanes, on aurait dû trouver dans ses urines un taux de cocaïne six fois supérieur à ces 151 ng/ml. Si, par ailleurs, on connaît la réalité de son forfait, on peut admettre que la coke trouvée n’a pas été consommée dans un but de « performance » autre que festive. Sur le deuxième point, le Français affirme qu’il n’a jamais pris de sa vie de cocaïne. L’analyse capillaire effectuée à titre privée, et non par l’instance antidopage, semble accréditer cette thèse. La troisième cause possible ne paraît pas plus crédible puisqu’on a du mal à identifier le bénéficiaire du crime (sauf à imaginer un Machiavel russe ou chinois qui se livrerait à des paris compliqués sur les matchs de tennis…). La quatrième option, la « contamination accidentelle », semble donc s’imposer. Mais plaider cette thèse va s’avérer difficile… Pourquoi ? Parce qu’aucun scientifique n’a à ce jour fait valider une étude sur l’influence du baiser cocaïneux ou du verre aux bords poudreux sur le taux de cocaïne urinaire ! Si une décision est prise de « blanchir » Gasquet, elle devra essentiellement s’appuyer sur l’hypothèse n°1 : le dopage « dans un but de performance » n’est pas corrélé par des faits indubitables. Alors, Miami vice ? Docteur Jean-Pierre de Mondenard
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