Dans les sports d’endurance, la vieillesse n’est pas incompatible avec le triomphe. Le dernier succès de Jeannie Longo le 27 juin dernier en atteste. Les explications du Dr. Jean-Pierre de Mondenard.
Cinquantenaire depuis le 31 octobre, Jeannie Longo – sportive française la plus porteuse de lauriers avec treize titres mondiaux et un olympique – a, lors du récent Championnat de France du contre la montre, remporté un 56e titre national devant Edwige Pitel, une gamine de 42 ans, ingénieur en informatique et mathématiques appliquées mais aussi maître de conférences.
Allez savoir pourquoi, quand vous prononcez le nom de Longo le plus souvent vous faites rire la foule. La gentille dame n’entre dans aucun des critères de la woman beauty genre Arielle Dombasle. Elle n’écrit pas un journal et ne passe jamais à la télé et on l’imagine sortie d’un vieux catalogue de la défunte Camif…Cause toujours, reste que sur un vélo la possible grand-mère est un phénomène qui fait des tonnes de kilomètres en polluant moins que les hélicos d’Arthus-Bertrand.
Examinons l’histoire de ce monstre. Une carrière sportive peut se décomposer en trois périodes : le début de la compétition, « l’âge des records » et enfin l’âge d’arrêt des épreuves. Lorsque « l’âge des records » est atteint tardivement comme pour les skieurs de fond et certains cyclistes tels que Raymond Poulidor, Pino Cerami ou Joachim Agostinho, tous trois professionnels à plus de 24 ans (Jeannie Longo débute le cyclisme à 21 ans), l’âge d’arrêt est également tardif. Puisque nous sommes dans les chiffres, les statistiques nous montrent que ce sont surtout dans les sports d’endurance que l’âge des records est tardif (27 à 32 ans) ainsi que « l’âge d’arrêt » de 30 à 35 ans, voire beaucoup plus.
Les sports d’endurance nécessitent un prélèvement d’oxygène musculaire très élevé. C’est d’ailleurs dans ce type d’effort que l’on rencontre les consommations d’oxygène (VO2 max) les plus performantes. Or, cette caractéristique fondamentale du rendement du moteur humain diminue avec l’âge, ben oui, j’y peux rien. Cela est dû au vieillissement du muscle cardiaque, des artères nourricières du cœur et des cellules musculaires elles-mêmes qui voient leurs possibilités de réponse à une sollicitation sportive maximale s’atténuer. Enfin, les facultés d’adaptation à la chaleur déclinent elle aussi au fil des ans. Une étude scientifique a démontré que les hommes de 39 à 45 ans arrivent à la sudation deux fois moins vite que ceux de 19 à 31 ans et, après l’exercice, continuent à transpirer plus longtemps. De plus, ils se blessent plus facilement et se remettent plus lentement. Alors, paradoxe, on peut se demander pourquoi les meilleurs résultats dans les épreuves d’endurance sont habituellement obtenus par des athlètes âgés de 27 à 32 ans, voire beaucoup plus chez certains sujets au mental hors norme, alors que c’est vers 20 ans que le VO2 max atteint son apogée ?
Si le VO2 max s’arrête de croître à 20 ans et qu’ensuite il se dégrade progressivement, cela provient de la baisse du pouls maximal avec l’âge. Ainsi, un sujet de 20 ans pourra en plein effort pousser son régime cardiaque au-delà de 200 pulsations par minute alors qu’à la quarantaine, le plafond ne dépasse pas 180. Ce qui explique en partie pourquoi le nageur Mark Spitz, à 42 ans, n’a jamais pu battre ses temps réalisés 20 ans auparavant et se qualifier pour les JO de Barcelone. Dans cette quête impossible, le septuple médaillé d’or des Jeux de 1972 partait avec un handicap rédhibitoire. Rappelons qu’une nageuse, Dara Torres, elle aussi américaine, surnommée la « Longo des bassins », qui a stoppé son entraînement pour cause de grossesse, a remporté, à 41 ans, trois médailles d’argent aux Jeux de Pékin (50 m, 4 x 100 m, 4 x 100 m 4 nages).
Dans les sports d’endurance, ce qui importe le plus, c’est le pourcentage du VO2 auquel le sportif peut faire appel au cours d’un exercice prolongé. En effet, l’athlète ne peut pas travailler à son maximum très longtemps, sinon il sera rapidement dans le rouge de son compte tour biologique, asphyxié, et contraint de ralentir, voire d’interrompre son effort. Ce pourcentage augmente avec l’entraînement. Donc, même si la consommation maximale d’oxygène diminue après 20 ans, on peut accroître son potentiel d’endurance en augmentant le pourcentage de la consommation maximale d’oxygène prélevé pendant l’exercice, par un entraînement très poussé. Vous après compris ? Alors pédalez et captez cette tranche de « Max » que vous pouvez encore dénicher.
A la cinquantaine, il est tout à fait possible de conserver une consommation maximale d’oxygène encore très élevée, supérieure même à celle de certains sujets de 20 ans. La traque à l’oxygène se cache dans un entraînement très important . Et c’est là que se cache le secret de ces coureurs vétérans qui se distinguent encore à l’âge des pantoufles. Et de tenir tête de manière surprenante à des coureurs beaucoup plus jeunes. Au sein du milieu cycliste, la Longo est connue pour sa haute conscience professionnelle. De la reprise de l’entraînement à la fin de saison, elle fait consciencieusement le métier tout en parcourant le chiffre respectable de 25 000 km ! Si la force musculaire décline, cette baisse est inférieure à 8 % à 50 ans et peut être compensée par l’amélioration du geste technique.
Les performances parfois ahurissantes réalisées par les « doyens » démontrent qu’après tout les vieux ne se portent pas si mal. Qu’ils peuvent se maintenir parmi les meilleurs, voire leur montrer « leur roue arrière » si leur hygiène de vie se maintient au plus haut niveau. Ce que les vétérans perdent en tonus ou en impulsion, ils le gagnent en expérience comme l’expliquait notre ami Casanova…
Et ainsi, la messe est dite. On comprend mieux qu’une championne bien pourvue dès sa naissance en fibres musculaires performantes, s’entraînant quotidiennement par tous les temps et pourvue d’une science du train peaufinée par 30 ans de carrière, sache mieux que quiconque gérer son capital énergétique et devancer de beaucoup plus jeunes qu’elle. Chez la Longo, le bonus de l’expérience compense le malus des ans.
Si les cyclistes de 40 ans sont encore très présents sur les podiums des compétitions internationales à la cinquantaine, ils deviennent rarissimes. Citons parmi ces « dinosaures » :
Benoît Faure (Français), né en 1899. 1948 : 49 ans, réussit dans Paris-Brest-Paris une échappée solitaire de 560 km avant d’abandonner 1950 : 51 ans, 1er du Grand Prix de Gueugnon 1951 : 52 ans : raccroche après avoir participé à son 3e Paris-Brest-Paris (20 ans après le premier)
André Foucher (France), né en 1933 S’est encore distingué en 1984 (donc à 51 ans) dans les épreuves régionales
Reginald Harris (Angleterre), né en 1920. Effectue un « come back » en 1974. A 54 ans, il devient champion de Grande-Bretagne de vitesse pro. Cet exemple doit faire espérer à Jeannie Longo d’être présente à Londres en 2012 pour ces 8e Jeux olympiques, elle n’aura alors que…. 53 ans !
Henri Lemoine (France), né en 1909. Champion de France de demi-fond en 1951, 1952 et 1953. 3e des Championnats du monde de demi-fond en 1951, 1952 et 1953. En 1958, à 49 ans, il termine 6e du Championnat de France de ½ fond.
Rappelons que l’une des adversaires de Jeannie Longo, l’Italienne Maria Canins, qui a remporté deux fois le Tour de France féminin, dont l’édition 1985 devant la Française, était encore 3e du championnat sur route de son pays à l’âge de 46 ans.
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