Les envoyés spéciaux de Bakchich en Afrique du Sud. Etape à Durban, cuisine indienne et dangers du centre-ville.
"Vous ne pouvez pas manger ça avec des couverts". La voix est polie, la phrase assénée avec un sourire par la serveuse indienne. Après tout Gandhi est passé par là. Une longue promenade du bord de mer porte même le nom du Mathma. Et au bord de l’Océan, le leader indien a fait grandir ses idées de non-violence, avant qu’une part de ses cendres y soit déversée l’an dernier. En plein pays zoulou, à Durban, capitale provinciale.
Du Kwazulu Natal, où les Boers ont achevé leur grand Trek, les guides égrènent les baies, la faune sauvage, ou les paysages magnifiques de la côte des éléphants.
De Durban ils narrent la cuisine indienne, les plages alentours, les requins, et les dangers du centre-ville la nuit. Abandonnée par la foule, les voitures et l’animation. Même en pleine coupe du monde, les rues sonnent creux.
Étonnamment la "Costa del Sol" n’est nulle part indiquée. Enfin, le Costa del Sol. Un rade coincé dans une longue artère qui mène à la mer. Un peu avant le Fifa Fan Fest, qui a griffé la plage. Circulation impossible en bord de mer et alentours, flics à tous les étages, et quelques vendeurs de ganja, ou de marijuana peu impressionnés par la présence policière. Plus simples à dénicher qu’un bar (avec une cuisine) ouverts après 23 heures. Perdus dans la nuit de leur hôtel, des supporters brésiliens et portugais, en attente du match qui opposera leurs pays le 25 juin au soir à Durban. Une jolie lusophonie pour le stade Moses Madiba.
Le petit rayon de soleil intervient sous les coups de minuit. Deux bières, un curry et Mutton Bunny chow… à manger avec les mains. Sorte de ragout épicé et confiné dans une miche de pain. Du bonheur de manger avec les mains sentir physiquement les humeurs sur ses doigts, malaxer la viande cuite. Du plaisir d’être carnivore…
En cuisine des Indiens, derrière le comptoir des Indiens. En salle des noirs. Chaises en plastique, toiles cirées, prix cassés, lumière tamisée. Néon verdâtre. 81 rands pour deux plats, quatre bières, house music planante incluse. Deux écrans crachent le même match du mondial. Slovénie-Angleterre, perfide albion qualifiée pour les huitièmes de finale où elle rencontrera l’Allemagne. Dans l’indifférence générale de la Costa del Sol. Les gus présents sont fascinés par le pool et les poules. Qui naviguent de tables en tables. Au choix. Elancées ou dodues, cambrées ou plates, cheveux courts à mi-long. Non négociables, les talons perchés et le teint. Noir. Comme leurs regards qui cherchent le prix de la nuit dans les étrangers échoués ici.
Deuxième tournée. Et un port toujours altier. La journée, les vacanciers peuvent se tremper sur les longues plages de sable. Entre deux panneaux, pour laisser la place aux surfeurs de plancher, sous le lointain regard des porte-conteneurs qui ponctuent l’horizon.
Gigantesque dock, Durban, premier port sucrier mondial, plus grand port d’Afrique australe. Asie et Afrique se retrouvent là. Sur les docks, sans le poids et l’ennui, et dans la population. 20% de la cité de 3 millions d’habitants dévoilent des ascendances indiennes. Le reste se partage en Afrikaners, Européens et Noirs (60%), principalement des Zoulous, l’ethnie du président Jacob Zuma.
En guerre contre les Boers au XIXe siècle, en conflit avec les Xhosa de l’ANC (les présidents Mbeki et Mandela) à partir de 1994, presque en paix depuis l’arrivée au pouvoir d’un des leurs, le Zumagicien ou Jay-Z en 2009, les Zoulous (paradis) cohabitent depuis deux siècles avec l’Inde africaine. Mais perdent ce soir au billard.
Soleil couchant, les rideaux de fer se baissent lentement. Le Costa del Sol renvoie gentiment ses squatters à l’aurore.
Après les vapeurs du Winesland, le désert du Karoo, les Veld du Free State, les brumes des montagnes du Drakensberg, les Trekboers ont échoué sur les plages du Kwazulu-Natal.
Fidèle au moins à l’histoire, Bakchich continue d’emprunter leurs pas. Prochaine étape, le Zoulouland.
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