Carnet de bord des envoyés spéciaux de Bakchich en Afrique du Sud. Episode huit : sur la route des Winelands, "à la Boer comme à la Boer" et une atmosphère western mâtinée d’air mormon.
Colesberg. 12500 habitants. En plein cœur du désert du Karoo, à quelques centaines de kilomètres de Johannesburg, un millier du Cap. Un autre monde, une époque révolue. Que dix heures et des brouettes de route auront suffi à atteindre. Rue centrale, bordée de bâtisses coloniales et de supermarchés. Large, droite. A l’amont l’église hollandaise réformée. En aval l’autoroute pour Johannesburg. Entre, une atmosphère western mâtinée d’air mormon.
La touche Afrikaner. Une longue jupe en laine sur sabot, teint d’albâtre et cheveux sel. Un blanc fantôme ouvre la porte du passé. Accent gutturale et yeux qui roulent à notre anglais, la langue du colon. Quand l’idiome local s’avère celui de la domination passée. L’Afrikaans. Sec, rauque et froid.
L’auberge de jeunesse sonne creux. Les couloirs sont déserts. Et les robinets s’ouvrent dans le vide. Ni eau, ni chaleur. Un vague poster du pays et des bibles comme seul chauffage. Un peu à plus de 1000 mètres d’altitude.
Officiellement le backpackers est habité. Des journalistes allemands. Et des âmes semblent en effet voler. Autour du réservoir à eau de pluie, dans la piscine vidée aux furieux airs d’oubliettes. Sur les nappes à fleurs et les fauteuils à la poussière antique. Là au moins depuis 1829. Avant même le Grand Trek Boer, débuté en 1836. Fuyant la tutelle anglaise les Afrikaner quittent le Cap pour fonder et conquérir l’intérieur du pays. Pas grand-monde ne vint les déloger après qu’ils ont combattu les tribus locales. Terres arides, climat rude, langue imbitables…Et des dizaines de villes semblables à celles où Bakchich vient d’échouer. A 250 bornes de Bloemfontein, théâtre d’un autre naufrage. L’équipe de France de football joue son dernier match du Mondial juste après le Karoo. Endroit idéal pour une déroute. Passage obligé d’un reportage qui nous emmène sur les traces des Afrikaners.
Deux siècles après les Voortrekker, dont une poignée de huguenots franchouillards, les frisés de Bakchich ont repris le sentier du Trek Boer. Une odyssée où la calèche a gagné en chevaux (Une Toyota Yaris), et la calotte a cédé la place au pinard.
Plus de 2000 kilomètres. Départ au Cap. Etape à Bloemfontain, Durban la métisse, avant de rallier la capitale économique du pays Jobourg. Un itinéraire de rêve que rien n’aurait du arrêter à Colesberg.
Envoyés fort spéciaux, les frisés récupèrent au Cap un troisième larron avant de prendre la route du Grand Trek. David, installé depuis un an dans le pays, embarque à la mi-journée du 20 juin. "Tu porteras les bagages et t’occuperas de la bouffe… Allez, on déconne". Mais à l’entrée du parc naturel de Table Mountain, qui s’étend jusqu’au Cap de Bonne Espérance, le garçon est enfoui sous les sacs et le barda. L’entrée culmine à 75 rands par personne. Pas de petites économies…
Le blondinet sortira vite la tête du sac. Aussi prompt à se dépêtrer que les brumes à se dissiper. En fin de journée, le brouillard qui a enserré la région s’évanouit enfin. Place au crépuscule, là où s’achève la terre. Où se rejoignent les mers. A bâbord l’Atlantique, à tribord l’Indien, à l’avant l’Antarctique. Une union saluée par l’armée de babouins qui habite les lieux. Et le même horizon qui estourbit au XVe siècle Bartolomeu Dias, le premier européen à franchir le Cap.
Incontournable, une armée de Chinois. Qui poliment s’inclinent. "Vous venez d’Europe" "Et vous, vous êtes espagnols ?". Sourires bridés.
Le moteur crie. La route, encore un temps est sinueuse. Direction le repaire des Manchots à Simon’s Town, aux prémices de la Garden Route.
Deux espèces de pingouins. L’une tient les appareils photos en face de l’étrange animal. L’autre s’est habituée, à la longue, à se laisser tirer le portrait. Si patauds sur terre, si habiles dans l’eau, si inconscients que des panneaux "attention Pingouins" jalonnent les routes.
Plus discrètes les baleines d’Hermanus, un peu plus à l’est, se laissent désirer. Ni geyser, ni accouplement au début de la saison des amours dans leur nid douillet, si prisée des touristes voyeurs. Au bar seulement, d’étranges mammifères aux énormes protubérances laissent vaguement planer la silhouette des cétacés. Le vin rouge à 15°C permet quelques approximations. Voire d’inventer des parentés…
Une nuit à cuver et cogiter. Le plus court chemin, vers Bloemfontain, à 1000 km de là passe… par le Winelands, ses caves, ses dégustations de vin. A climat méditerranéen, vin qui tape bien. Le temps d’élire un capitaine de journée, commence la tournée.
Première étape au domaine Benguela, chapeauté par Schalk Dutoit. A l’étrange rosé. "composé à 45% de Syrah (rouge) et 55% de Cabernet Sémillon". Pas si mignon que ça… Immédiatement recraché. "Nous n’exportons pas en France, trop de contraintes". CQFD. La voiture repart un peu plus chargée. Rouge vermoulu, blanc gouleyant permettent d’oublier l’hérésie du mix fruité.
Et la route droite, rectiligne, lancinante. Un virage tous les 300 kilomètres. Une étape à 400. Domaine de Viljoensdrift. 6 lichettes différentes de rouge. "Du plus léger au plus fort", prévient avec un sourire, Pius, un sommelier noir. Une rareté joliment fêtée. 13, 14, 15, 16 degrés. Du vin de sieste digéré le long des paysages du Karoo. 600 kilomètres de Veld. Paysages semi-lunaires, entrecoupés d’improbables bidonvilles, perdus entre péages et bourgades de passage. Infini méditation, perturbée par un son étrange. Entre les 33 tonnes qui fusent, à 140 km/heures, la voiture chasse de l’arrière.
Pneu crevé, et réparation à même l’autoroute. Une heure de perdue et un repli annoncé. Vers Colesberg, la ville qui mormonne.
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