Carnet de bord de nos envoyés spéciaux en Afrique du Sud : l’élimination des Bleus vue depuis les gradins du stade.
Le gus doit mesurer un mètre et demi de circonférence. Peut-être deux mètres au garrot. Dégarni et la voie gutturale. Un son du fond des âges. "That’s Ouaterlooooo !". Comprendre le Waterloo du foot français. Petite hésitation avant de répondre à la provocation. L’Afrikaner est imposant en ses terres à Bloemfontein, capitale de l’Etat Libre, et point final du carnet de la déroute française au mondial. Maillot des Bafana sur le dos, où nul blanc n’a foulé la pelouse, le Boer d’origine contrôlée sourit. Nous aussi. Après tout l’important reste que l’OM soit champion et que nos pas continuent à parcourir l’Afrique du Sud.
Une victoire pour l’Afrique du Sud contre la France, une défaite pour les Bleus, deux éliminations. Mais une nation s’est sauvée de l’humiliation. Et plus encore au soir du 22 juin.
"Un blanc et une noire à côté ils n’ont jamais vu ça", s’esclaffe la furie congolaise qui nous a logés à Jobourg et s’est retrouvée dans les gradins du stade de Bloemfontein. Sans doute.
Restent les frissons ressentis à l’instant où les vuvuzelas se sont tues, et où 35 000 personnes se sont unies dans le Kusi singelele, l’hymne national de la nation arc-en-ciel. Quatre couples pour quatre langues, Zoulou, Xhosa, Afrikaners et Anglais, repris en plein choeur par les Indiens, les Noirs, les Coloured et les Blancs. Suffisant pour transcender une équipe, surtout face à une sélection qui n’a plus d’équipe que le nom.
Dix minutes de jeu, trois actions, deux tirs cadrés et le matchs des attaquants français s’est arrêté. Suffisant pour supplanter l’Anelka-cas dans les statistiques. Trop léger pour résister à onze Bafanas avides de quitter leur Mondial avec les honneurs. Un coucher de soleil dans le stade et le crépuscule de la compétition pour les deux équipes.
Le temps que le gardien lyonnais Lloris se noie dans la béchamel, que le Bordelais Gourcuff abuse du bourre-pif et le match est plié. Deux zéros. Un fan marseillais, drapeau du commando Ultra affiché, savoure la fête. Le concert de trompettes a repris. Béni soit le vendeur de boule-quiès. Ustensile indispensable pour ne pas céder à l’ivresse des trompettes, actionnées par les milliers de supporters Bafana. Une rangée de blonds, une rangée de gros, une rangée de Noirs, un soupçon d’Indiens, une franche pincée de coloured. Des tranches d’Afrique du Sud. Des couleurs encore bien séparées, aussi net que l’Arc-en-ciel. Et en communion, à défaut d’une totale réconciliation, 20 ans après la fin de l’Apartheid, 16 ans après la fin du pouvoir blanc.
A la buvette. Match plié dès la mi-temps. Un troisième but évité par les Français grâce à une décision de l’arbitre. Hors jeu. Trop loin de l’action pour avoir un avis. La Budweiser, boisson de sportif exclusive des enceintes Fifa, coule à petits flots. 30 rands la canette, deux fois le prix pratiqué dans le reste du pays. Sans parler des hot dogs à 25 rands. Deux tranches de pains secs pour une rachitique saucisse. Presque une insulte dans la contrée du Braii et de la Boerwoers, où commander une salade relève de l’odyssée.
"Je suis dépité, dégouté, lassé". Coq sur le front, maillot sur bidon, le fan bleu a l’oeil maussade. Jusqu’à ce qu’un sud-africain lui propose un échange de maillot. "On nous avait raconté tellement de choses sur les gens d’ici, la violence, l’insécurité. Mais noir blanc métisse, ils sont géniaux". La principale victoire de l’Afrique du Sud. Eliminée malgré la victoire de l’Uruguay, dès le tour de poule. Une première pour un pays hôte. Une image redorée du pays. Court, peut-être pour renflouer les caisses de l’Etat, des Provinces ou des villes saignés par la vache à lait de la Fifa.
Demeurera la fierté d’avoir accueilli le monde et piétiné l’ancienne contrée des champions du monde. Au nom d’une certaine idée du football, d’une passion du maillot, de l’amour d’un pays. Autant de mots que le nouveau sélectionneur français devra réinculquer à ses ouailles. Se présente devant lui une feuille en Blanc cassé.
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