Carnet de bord des envoyés spéciaux de Bakchich en Afrique du Sud. Episode sept : agressifs, pertinents et fouineurs, les journalistes sud-africains ont leur vision de la Coupe du Monde.
20 juin au matin. Un dimanche de travail. Levée aux aurores. Autour des 6 heures. Le Cap sous les brumes. La mer envahit la terre. Comme pour engourdir ses voyageurs. Ou les chasser, loin de la ville européenne. Vers ses vieux quartiers, nichés derrière Table Mountain. Les Cape Flats et Kayenistha, le plus grand township de la région. Le Soweto local.
Un matin en bidonville dans les shebeen (bar clandestins), un après-midi au Cap de Bonne Espérance, une soirée sur la côte, aux côtés des baleines, à Hermanus. Du bout de la misère au bout du monde pour finir au bout de la plaisance. Un résumé de l’Afrique du Sud, avec ou sans Mondial. Et des images qui défilent.
Trop pour les trier et toutes les décrire. Alors le gratte-papier fatigué, au coeur du Wineland afrikaner (vin à 14°C) se rabat par facilité sur le boulot des confrères. La revue de presse d’une semaine de voyage.
Agressifs, pertinents et fouineurs, les plumitifs sud-africains ont leur vision de la Coupe du Monde. A les lire, la France a depuis longtemps perdu l’Afrique. Bien avant la Coupe du monde. La défaite contre le Mexique n’est traitée que par des dépêches d’agences, quand l’Argentine est suivie pas à pas, et l’Angleterre minute par minute par le Cape Times.
Au soir du 19 juin, même l’appel de Villepin a occupé plus de place sur les sites internet sud-africains que le psychodrame Anelkien, aussi digeste que la nourriture locale… T-Bone steak de 500 grammes, hamburger de 700 grammes (le plus gros de la ville au Saul’s sur Main Road). A défaut de perdre son âme, le Cap peut la faire rendre aux artères sensibles en une bouchée.
Peu préoccupés par les souffrances françaises, les gratte-papiers locaux rongent d’autres os, bien plus moelleux et dorés.
Et remontent peu à peu les minijupes oranges des supportrices hollandaises. Le 14 juin dernier, 36 supportrices vêtues de tenues sexy (et fournies par une marque de bière) se sont retrouvées arrêtées, sur injonction de la Fifa. Accusées de publicité détournée, pour un sponsor non-agréé.
Depuis, pas un jour sans que le Capes Times, le Cape Argus, le Star ou le Sowetan ne se fendent sur les pérégrinations judiciaires des donzelles. Dont deux ont été traduites mercredi devant une cour de Johannesburg pour avoir contrevenu à une loi sud-africaine sur le marketing. "Les mini-jupes oranges donnent la migraine à la Fifa" titre même le Star en Une du journal. Et s’ensuit une immense polémique. Non tant sur les sexy hollandaises que sur la politique de la Fifa. Qui en faisant arrêter les jeunes filles a promu la marque de bière qui les a sponsorisées au-delà des rêves les plus fous de cette dernière.
Editorialistes, lecteurs, rédacteurs. Nul ne peut s’empêcher de se moquer de la fédération internationale, arc-boutée sur la défense de ses sponsors. Et l’une des grosses têtes du Cape Argus de se moquer de la mafia suisse qui hurle contre un vendeur de bières non-officiel quand la Fifa promeut McDo, Coca ou Budweiser. Autant de marques et de produits (alcool, hamburgers et boissons sucrées) totalement en adéquation avec le sport. Mens sana in portefeuille sano, comme on dit dans le conté de Zug, siège de la fédération…
Les manifestations du 17 juin ont ravi les "columnists" locaux. En pleine Coupe du Monde, une grève des stadiers et des personnels de sécurité, réprimée aux balles en caoutchouc, les flashballs bafana, par la police du Cap. Les malandrins, responsables de la sécurité dans quatre stades du pays (Durban, les deux enceintes de Johannesburg et Le Cap) ont osé demandé à être payés. Une bisbille entre une société de sécurité et le comité local d’organisation (Loc) sur les émoluments à verser. Quand l’important, sans doute, reste de participer. Et surtout de ne pas troubler le déroulement de la grande fête du football. Les flics leur ont gentiment rappelé la beauté et la glorieuse incertitude du sport. Pour les salariés, il conviendra de repasser une fois que le trophée aura été donné. Et le joug de la Fifa sur le pays sera enfin retiré.
De plaisants T-Shirts ont commencé à pulluler. Fick Fufa (sic). En rébellion contre l’hégémonie de l’association internationale. Avec une pointe de prudence. Le logo Fifa ne peut être détourné sans certaines précautions. Contacté par le Mail and Guardian, l’initiateur du mouvement a requis l’anonymat. Histoire que la Fifa et son secrétaire général, Blatter de son nom, Sepp de son petit nom, n’écrase pas le champignon contestataire…
Pendant ce temps là, très loin de Vera Cruz, la Coupe du Monde a fait sa première victime sud-africaine. David Makoeya, 61 ans au compteur, une femme et des enfants forts encombrants. Assez pour le battre à mort quand le patriarche a voulu mater Allemagne-Australie le 13 juin dernier. Un spectaculaire match. Tandis que les Teutons rossaient les Aussies, David s’est pris une avoinée de sa petite famille, désireuse de regarder un programme de Gospel. Impénétrables, les voies du seigneur l’ont toutefois conduit à la morgue sous les coups de sa femme, son fils et sa fille. La Passion a vaincu ses raisons… Une caution de 1500 rands (moins de 150 euros) a suffi à libérer la famille parricide. Après tout, tant que le ballon tourne rond…
A lire sur Bakchich.info :