Carnet de bord des envoyés spéciaux de Bakchich au Mondial sud-africain. Episode quatre : les Blancs préfèrent le rugby, et voyage vers le berceau des Boers.
Petite gueule de bois au matin du 18 juin. L’Afrique du Sud, la veille au soir, a reçu une fessée de l’Uruguay. Au soir du Youth Day, symbole de la résistance de la jeunesse à l’Aprtheid, jour sacré par les pontes de l’ANC et férié depuis l’accession de la communauté noire au pouvoir, les Bafana ont pris une raclée Céleste. 3-0. L’écart entre richesses des Mall, toute puissance de la Fifa, argent déversé autour du foot-business et misère des Towship ne pourra plus très longtemps être masqué par la fierté d’accueillir le monde (voir Bakchich Hebdo n°29).
D’ordinaire, un soir de débâcle ne se soigne qu’avec du houblon qui racle. Mais l’Afrique du Sud a ses raisons que le poivrot ne connait point. Les rades de Melville, GreenWood ou de Brammfontein. Quartier tendance aisée chic que notre guide de nuit kinoise renâcle à qualifier de bobo ne grouille pas de fans désespérés. Un pub sans bancs et quasi uniquement Blanc. Une Afrikaner tombe bien ivre de sa chaise. Héritiers des premiers colons hollandais, instigateur et bénéficiaires de l’Apartheid, les Blancs du coin (voir encadré) sont plus enclins à supporter les Springboks, l’équipe de Rugby, que les Bafana. Son mauvais état doit venir d’ailleurs. "Brune et Boer, de toute façon c’est bizarre, sourit la petite furie congolaise. Ça doit la faire déprimer". Fin du débat. Et sortie du bar.
Après deux jours à courir comme des Nord-Coréens (la faim en moins), autant bien se rincer. Au Gin. Un comptoir déjà esquinté la veille. Quand géants Blancs et noirs se disputaient son zinc dans une joyeuse et chaleureuse mêlée. Inutile de vouloir se faufiler. Il a fallu pousser. Un maul pénétrant pour toucher au bar. Et tenir la position. Sans doute la raison pour laquelle les Sud-Africains se révèlent d’aussi bons piliers au rugby qu’au comptoir. Nos progrès d’un soir en mêlée inspirent le respect. Un cap de franchi à Johannesbourg.
Et Le Cap à découvrir, dès que point le matin.
Départ prévu vers le bout du monde à 8 heures tapantes… Repoussé à 10 heures eu égard à des incidents techniques presque indépendants de notre volonté. Avion à 11h20. Arrivée devant le comptoir des départs à 11h10. Le zinc, comme les deux dernières nuits, nous attend.
Pour un voyage vers le berceau de l’Afrique du Sud. Là où sont nés, se sont révoltés et ont pullulé les Boers avant de migrer vers les terres du nord pour fuir le colon anglais.
Capable d’accueillir en fanfare les pontes de la Fifa ou l’un des premiers discours d’un Mandela libéré de prison (en 1990), la ville a conservé un petit esprit rétif. Dans ses bidonvilles a grandi Mandela, le bourreau de l’apartheid. A sa mairie trône désormais la leader de l’opposition à l’ANC, Hélène Zille du Démocratic Party. Aussi cosmopolite que métissée, la mégapole aux trois millions d’habitants et aux townships débordants a conservé l’Afrikaans comme langue la plus usitée…
Et des hourras agitent (enfin) les bars à chaque but mexicain contre la France.
Ne se présentent que trois jours pour tenter d’effleurer les dessous de cette cité. Cap ou pas Cap’ ?
L’histoire sud-africaine aurait pu être banalement coloniale. C’était bien parti : peuplée par des tribus noires (Zoulou, Xhosa, Hottentots), « découverte » en 1488 par les Portugais, exploitée au XVIIe siècle par les Hollandais, conquise au XVIIIe par les Anglais. Un parcours classique qui se serait achevé par une lutte anticoloniale et l’indépendance, au détour des années 60. Trop classique pour être intéressant.
L’histoire a déraillé, grâce à une tribu. La seule ethnie blanche du continent, présente depuis 400 ans au bout du monde : les Afrikaners. Descendants des colons hollandais ou anglais, fils de Huguenots français, ces bons protestants — un brin consanguins — ont commencé par couper tout pont avec leur patrie d’origine. Abandonnant leur langue, leur mode de vie européen, leurs attaches, ils se sont mis en tête de créer un État blanc à la pointe du continent. Le sang qu’ils ont répandu dans leur lutte contre les Anglais, les Xhosas et les Zoulous fut lavé par leur foi.
Après les avoir écrasés dans la guerre des Boers (1899-1902), les Anglais accordent l’indépendance aux Afrikaners, tout en ayant le bon goût d’exclure les Noirs. L’État Sud-Africain né en 1910 est blanc comme neige. Et lave encore plus blanc en 1949 : l’apartheid est instauré. Durant 50 ans, le « développement séparé » est de mise. Noirs parqués et interdits de se déplacer, Blancs surprotégés socialement et militairement. La démographie met à bas le système. « L’expérience n’a pas marché », dira le parti afrikaner en 1990, date de son abolition.
Un peu de gonzo-journalisme avec des jeux de mots moisis, Eyes of the Tiger, une centrale nucléaire et Nino Ferrer :