On dit que le ministre du Travail rêve de Matignon. C’est faux : en réalité, il ne pense qu’à l’Élysée. Quant à ses petits camarades du gouvernement, tous détestent l’art qu’il a de les dénigrer avec l’air de ne pas y toucher, et son allure débonnaire de gros chat qui griffe.
Le jeune (42 ans) ministre du Travail a autant d’ambition, dit-on, qu’en leur temps François Mitterrand, Jacques Chirac ou… Nicolas Sarkozy. L’Élysée, il y pense sûrement en se rasant le matin… En s’exprimant dans l’Express, le 21 février, sur son appartenance au Grand Orient de France depuis treize ans, il a joué fin. L’hebdomadaire ne lui a pas franchement forcé la main, mais lui aurait proposé de donner une interview sur le sujet. « Une belle opération de communication », a ricané une de ses collègues ministres. Une vision des choses que L’Express réfute. « Nous avons enquêté trois mois et avons demandé à Xavier Bertrand s’il acceptait de s’exprimer sur son appartenance à la maçonnerie, ce qu’il a fait. Il ne nous a apporté de lui-même aucune information sur le sujet », explique François Koch, l’auteur de l’enquête.
Avec cet « outing » franc-maçon, Bertrand a pris date devant le camp laïque, que Nicolas Sarkozy inquiète avec ses discours sur les religions et la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Bertrand se verrait donc bien en porte-drapeau du camp de la laïcité.
Pendant la campagne présidentielle, alors qu’il partageait son temps entre le ministère de la Santé et le QG de campagne de Nicolas Sarkozy rue d’Enghien, il s’était un jour extasié : « C’est formidable, j’ai une ligne de métro directe pour y aller, et ça va vite ! ». Pourtant, Xavier Bertrand n’est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche. Fils d’employés de banque, il n’a pas fait les grandes écoles. Sa maîtrise de droit public en poche, il est devenu agent d’assurances et s’est lancé dans une carrière politique à l’ancienne, en partant des mandats locaux. Mais à toute allure : député de l’Aisne en 2002, il devient deux ans plus tard secrétaire d’État à la sécurité sociale, puis ministre de la Santé. Porte-parole de Sarkozy pendant la campagne présidentielle, il est devenu en mai 2007 ministre du Travail, des relations sociales et de la solidarité.
Mais au sein du gouvernement, Bertrand est devenu le plus détesté des ministres. Sous couvert d’anonymat, ses collègues se lâchent : « Il a une ambition incroyable », dit l’un. « Il tuerait père et mère », accuse un autre. « Il s’est fait bien voir des journalistes pour avoir des bons papiers, en leur donnant tout le temps des informations, mais ça n’est pas un bon camarade », assure un troisième. Tous détestent l’art qu’a Bertrand de dénigrer ses collègues avec l’air de ne pas y toucher et son allure débonnaire de gros chat qui griffe. Tous les ministres qui ont travaillé avec lui ont souffert. Il s’est fâché avec son prédécesseur à la Santé, Philippe Douste-Blazy. Philippe Bas, qui fut son secrétaire d’État à la sécurité sociale du temps de Villepin, avait tenté de prendre de l’ascendant. En vain. Les deux hommes ne se parlent plus.
Aujourd’hui, la pauvre Valérie Létard, sa secrétaire d’État à la solidarité, est moquée parce qu’on ne l’entend jamais. Et pour cause ! Quand elle doit annoncer un plan d’actions contre les violences faites aux femmes, Bertrand exige de le présenter lui-même en Conseil des ministres. Et quand la rumeur de la fausse démission de Christine Lagarde a couru les rédactions, Xavier Bertrand qui aimerait prendre sa place à Bercy, a été montré du doigt.
Dans le même temps, ses collègues reconnaissent son talent, à Xavier Bertrand. De la crise du Chikungunya à la réforme des retraites en passant par l’interdiction de fumer dans les lieux publics, Bertrand a réalisé un sans faute. « Il est très bon », « Il sait s’entourer ». « Il est brillant », entend-on dans les ministères. « Il est fort » soupirait, admirative, la PDG de la SNCF, Anne-Marie Idrac, quand elle croyait encore être reconduite à son poste.
Mais Xavier Bertrand, ce sont encore les « Guignols de l’info » qui l’ont le mieux percé à jour : sa marionnette montre un homme gentil, qui n’élève jamais la voix, fait mine de manifester de la compassion et ensuite dit « non » à toutes les demandes. Bertrand, c’est « un esprit carré dans un corps rond », comme disait Raymond Barre. Bertrand, c’est un peu Raymond Barre. Les diplômes en moins, mais l’ambition dévorante en plus. Ce qui change tout.