Saisi par le chef de l’Etat d’une plainte contre Yves Bertrand, le procureur de Paris apparaît aussi dans les sulfureux carnets de l’ex-patron des RG.
Nicolas Sarkozy entend supprimer le juge d’instruction, fonctionnaire réputé « le plus puissant de France », au profit de l’omnipotence du Parquet. Le Président de la République estime que le juge d’instruction « ne peut être l’arbitre » des enquêtes judiciaires, contrairement au procureur de la République qui, dans ce projet, se verrait attribuer le rôle de chef des enquêtes.
Un tel transfert de compétence pose la question de l’indépendance des magistrats du dit Parquet, indépendance que ces derniers viennent d’ailleurs de réclamer [1]. Au delà de l’indépendance à l’égard du politique, se pose la simple question de l’indépendance à l’égard de toute forme de coercition ou de tentation. C’est d’ailleurs stipulé dans le serment des magistrats. Pas sûr que tout le monde en soit farouchement convaincu…
L’affaire des carnets noirs de l’homme réputé le mieux informé de France, l’ex-patron des Renseignements Généraux, Yves Bertrand, et dont des extraits sont cités en audience publique par le Président de la 11° chambre correctionnelle au procès de l’Angolagate, pose ainsi un grave problème de principe. L’enquête préliminaire sur ces carnets voit un même magistrat –Jean-Claude Marin – diriger les investigations préliminaires et être cité par le principal protagoniste du dossier.
Ainsi dans son « pense-bête » Yves Bertrand croit-il utile de noter :
« Marin = Tenu à Nanterre a arrangé 1 aff financière Bernheim Descours (André) a etouffé avec du fric versé sur 1 compte à l’extérieur. »
Yves Bertrand consigne ensuite que cette information aurait été recueillie au cours d’un dîner par le fils de Charles Pasqua, Pierre.
Rien, faut-il le préciser, bien sûr, ne laisse préjuger d’une véracité quelconque des notes d’Yves Bertrand. C’est une évidence confortée par de nombreuses autres annotations fantaisistes déjà repérées dans les carnets.
Mais les mots ont un tel poids qu’on attend avec impatience la réaction du Parquet Général devant une telle mise en cause d’un des plus hauts magistrats. Et d’autant plus que l’affaire évoquée par Yves Bertrand, le contentieux judiciaire autour des chaussures André est une affaire bien réelle, laquelle s’est effectivement soldée par un non-lieu au profit d’Antoine Bernheim, l’un des plus puissants patrons français. Contre l’avis du juge d’instruction, Yves Dando, le Parquet de Paris avait soutenu, en 1996, la prescription des délits (abus de biens social) retenus par le juge contre M. Bernheim. A la même époque, Jean-Claude Marin est procureur adjoint à Paris en charge des affaires financières, dont il est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes.
En second lieu, il convient de relever qu’il s’agit de la mise en cause d’un haut fonctionnaire par un autre haut fonctionnaire. Les deux hommes se connaissent, leurs fonctions respectives les conduisant inévitablement à travailler sur les mêmes dossiers. Ceci pendant des années. Yves Bertrand n’a donc pas là seulement consigné un simple « ragot » concernant un inconnu ou quelqu’un qui lui est indifférent. C’est d’un magistrat qu’il connaît depuis des années qu’il « parle ».
Or, cette mise en cause du procureur de Paris n’a jamais été mentionnée nulle part. Dieu sait pourtant si « indiscrétions et ragots » pêchés « en eaux troubles » par le « graphomane » n’ont pas manqué de stimuler l’ardeur de la presse à se procurer, puis à disséquer, les 23 carnets saisis en 2008 lors d’une perquisition au domicile d’Yves Bertrand dans le cadre de l’affaire Clearstream.
Rappelons que c’est le Parquet de Paris qui, comme l’a révélé Bakchich, a recueilli la plainte déposée par le Président de la République pour « atteinte à la vie privée » et « dénonciation calomnieuse ». Les « brouillons » du patron de RG contiennent en effet des notes selon lesquelles Nicolas Sarkozy aurait touché de l’argent ; des notes évoquées cette semaine par le Président Parlos aux audiences de l’Angolagate ; d’autres notes de Bertrand suivent comme le lait sur le feu sa vie privée et encore la couleur des rideaux de Cécilia…
Une lecture attentive des mêmes carnets montre qu’à l’évidence, Yves Bertrand ne s’est pas fait saisir ses carnets par « surprise », mais que de longue date, il s’était préparé à cette éventualité. Il a pris soin de biffer certains noms qui pour certains, pouvaient représenter un danger pour lui, et notamment dans le cadre de l’atteinte à la vie privée. D’autres biffures visent à protéger des proches et notamment un important responsable syndical de la police, dont les fins de mois difficiles sont améliorées de quelques gratifications issues des fonds secrets. Parmi les passages qu’Yves Bertrand a choisis de ne pas soustraire à la curiosité générale et en premier lieu à celle de la justice, l’un concerne précisément l’homme qui est au cœur de toutes ces brulantes procédures en cours. Il s’agit de Jean-Claude Marin, l’actuel procureur de Paris, deuxième magistrat du pays.
Si Yves Bertrand s’est fait relativement discret ces dernières semaines – trêve des confiseurs oblige –, il sait aussi distiller des messages, fusse par des canaux discrets. On retiendra tout particulièrement celui diffusé par l’intermédiaire du journaliste Jean-Paul Cruse (ce dernier n’est pas l’un de ses plus farouches détracteurs), message consigné sur le site de ce dernier « le monde réel ».
Ainsi, à la date du « Dimanche 19 10 2008, 15h37 » (sic), on trouve trace de la déclaration suivante :
« Puisqu’on m’accuse d’avoir enregistré, sur des carnets que je n’ai confiés, moi, à personne, et surtout pas aux journalistes, "rumeurs et ragots" dérangeants sur les uns et les autres, que le parquet prenne l’initiative d’ouvrir des poursuites sur les turpitudes mentionnées, vraies ou fausses… Et qu’on m’accuse alors, si les notes des carnets correspondent à des faits réels et vérifiés, d’avoir violé l’article 40 du code pénal, qui exige de tout fonctionnaire qu’il signale au parquet les délits ou les crimes dont il a connaissance. Ou si, enquête faite, c’est faux, alors qu’on le dise. Et on verra… »
Une déclaration qui claque comme une sorte de défi à l’autorité judiciaire. Que celle-ci ne manquera certainement pas de relever.
La réponse du Parquet de Paris
Sollicité par Bakchich mercredi 14 janvier, Jean-Claude Marin, « très pris », n’a pas pu répondre personnellement à nos questions. Porte-parole du Parquet de Paris, Mme Isabelle Montagne nous a toutefois déclarés, à propos des notes d’Yves Bertrand, que « ce sont des allégations, des propos mensongers. Il n’y a eu aucune tentative d’étouffer une affaire dans laquelle il y a eu des condamnations et qui est allée jusqu’à la Cour de Cassation. » Mme Montagne n’a pas souhaité commenter le problème de principe soulevé par la mise en cause du procureur chargé de cette enquête préliminaire, par l’un des principaux protagonistes.
Lire ou relire dans Bakchich :
[1] La conférence nationale des procureurs de la République souhaite que la suppression du juge d’instruction s’accompagne d’une réforme du mode de nomination des magistrats du Parquet afin « d’éloigner tout soupçon de dépendance ».
Yves Bertrand n’a pas recueilli ces informations concernant un magistrat sans arrière-pensée.
Vous pouvez être à peu près certains qu’il l’a fait chanter pour obtenir des classements sans suite ou des non-lieu dans d’autres affaires.