Ce 26 juin, Sarko débarque enfin en Guadeloupe. Mais les stigmates de la grève générale ne sont pas refermés. Notamment l’affaire des mutuelles de l’île, qui ont vu leur patrimoine, 657 millions d’euros, s’évaporer.
C’est un long accouchement. Trois mois et demi après la fin de la grève générale en Guadeloupe et en Martinique, Nicolas Sarkozy s’est décidé à se rendre aux Antilles. Enfin ! A Gwada, on l’attendait pour le début des Etats-Généraux de l’Outre Mer, en avril, puis pour mai, et enfin juin. Remaniement oblige, Sarko 1er n’est pas accompagné du négociateur des 200 euros, Yves Jégo – qui, alors qu’il était apprécié des Guadeloupéens, a été habilement évincé du gouvernement. Mais de sa nouvelle secrétaire d’Etat à l’Outre Mer, Marie-Luce Penchard (UMP). Une nouvelle tête ? Pas vraiment. Marie-Luce Penchard est l’ancienne conseiller technique à la présidence de la République, en charge de l’Outre Mer ; par ailleurs fi-fille de Lucette Michaux-Chevry – sénatrice régionale de Guadeloupe depuis 1995, et ancienne ministre et ex-présidente du conseil régional de Guadeloupe. Une hérédité qu’on espère prometteuse…
Quoi qu’il en soit, en débarquant en Guadeloupe vendredi 26 juin après la Martinique le 25 juin, il va s’agir de répondre aux demandes des Antillais qui, pour les moins bien lotis, ne vivent guère mieux après qu’avant les six semaines de grève générale et la signature des accords Bino (c’est-à-dire les accords sur les 200 euros annuels ajoutés aux plus bas salaires). Mais, si Nicolas Sarkozy continue de bouder Elie Domota, le leader populaire du collectif initiateur et moteur de la grève générale, Lyannaj Kont Pwofitasyon (LKP), sa visite risque de décevoir. D’autant que les revendications du LKP sont encore loin d’être satisfaites. Y compris des questions graves et qui traînent depuis des années, comme le démantèlement des mutuelles de Guadeloupe. Un problème à plusieurs centaines de millions d’euros, sur lequel Bakchich s’est penché.
Les soirs de grève générale à Gwada, bien sourd celui qui, au Palais de la Mutualité, n’entendait pas Germaine Chicot-Marcin. Inlassablement, la dame, présidente du comité de défense des mutuelles de la Guadeloupe, interpellait, qui un journaliste, qui un gréviste à l’air attentif, qui les officiels autour de la table des négociations : « Et les Mutuelles, personne ne parle du démantèlement de nos Mutuelles ! Le préfet et le gouvernement s’en contrefichent ! »
Le démantèlement des 51 mutuelles dites « de proximité » de Guadeloupe, faisait partie, pendant la grève générale, des revendications phares du LKP, qui a d’ailleurs fait son siège du Palais de la Mutualité. Tout un symbole ! Il faut dire que le dossier traîne depuis 2005. Quatre ans d’incompréhension, de sentiment d’injustice, de manifestations, pour finalement aboutir à une judiciarisation. En pleine grève générale, le 17 février 2009, le comité de défense des mutuelles de la Guadeloupe, qui regroupe 30 mutuelles locales (dites de proximité), représenté par Mme Chicot-Marcin, dépose une plainte contre X au pôle financier du parquet de Paris. Une plainte, notamment pour « atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation », et pour « détournement de fonds publics », d’une valeur estimée à… 657 millions d’euros ! Un préjudice qui concernerait la moitié des Guadeloupéens. Soit environ 200 000 personnes qui, ayant déboursé, soit depuis des années, soit toute une vie, pour disposer d’une couverture médicale et/ou d’une retraite ne peuvent plus accéder au pot commun. Pour Mme Chicot-Marcin, l’argent aurait même « disparu ». Envolé dans la nature, ou plutôt dans des caisses inconnues. L’accusation est lourde.
Le motif de la liquidation judiciaire, la non-mise en conformité des mutuelles avec les normes européennes, semble quant à lui plutôt léger. C’est Philippe Borgat, alors fraîchement nommé administrateur de l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (l’Acam) [1], une autorité administrative publique indépendante, qui en a fait la demande express auprès du tribunal de grande instance de Paris.
Bizarrement, c’est le même Philippe Borgat qui, nommé co-liquidateur de nos 51 Mutuelles, s’empresse de récupérer argent et biens, pour les remettre à… on ne sait pas. Et c’est avant tout là que le bât blesse. Interrogée par Bakchich, l’Acam n’a pas encore répondu.
L’enquête préliminaire ouverte par le parquet s’est achevée depuis deux semaines, l’affaire est désormais entre les mains du procureur de Paris…
En février 2005, l’ensemble du patrimoine des 51 mutuelles de proximité, dont elles étaient propriétaires (locaux, voitures, bureaux, etc.) et une belle somme d’argent, au total autour de 657 millions d’euros, leur ont été retirés. Sans que, pour ce qui concerne l’Union des mutuelles de la région Guadeloupe (UMRG), leurs présidents en ait été informés au préalable, selon la représentante du collectif de défense de l’UMRG, Mme Germaine Chicot-Marcin.
Les Mutuelles liquidées étaient-elles en infraction pour subir pareil spoliation ? Réponse de l’avocat du collectif des Mutuelles de la Guadeloupe, Maître Freddy Brillon : « Les unes oui. Les autres non. Même si certaines n’étaient pas aux normes, ce n’était pas une raison pour que toutes en subissent les frais. L’Union des Mutuelles de la Guadeloupe, le dossier que nous défendons, était en tout cas aux normes ». Explications.
A partir de 2003, c’est le règlement, les Mutuelles de France, de Navarre et de Guadeloupe doivent se mettre en conformité avec le nouveau code de la Mutualité, européen. Pour cela, elles doivent obtenir un agrément, et pour obtenir l’agrément, afficher des comptes créditeurs. Problème, les Mutuelles de la Guadeloupe sont de toutes petites structures, qui datent de la période de l’esclavage, et qui ont toujours disposé de peu de moyens.
Pour acquérir les euros nécessaires, 30 mutuelles de proximité se regroupent donc en Union, en octobre 2002. C’est la création de l’Union des mutuelles de la Région Guadeloupe (UMRG). Ce qui permet aux mutuelles membres d’équilibrer leurs comptes, et d’être même, au total, bénéficiaires.
Ne lui manque plus que l’agrément, rapidement demandé auprès du ministère de l’Emploi et de la solidarité. Mais qui ne sera jamais obtenu. « A cause des lenteurs de l’administration, dont l’Union des mutuelles de la Région Guadeloupe n’est en rien responsable, la démarche n’aboutit pas », nous indiquent de conserve la présidente du collectif et son avocat. Ce n’est qu’au bout de 24 mois que le ministère finit par répondre que la date de péremption est passée… Liquidation judiciaire !
A lire ou relire dans Bakchich notre dossier spécial Antilles
[1] Ex Commission de contrôle des mutuelles
Lucas,
Tu dois très certainement faire partie de ceux qui "vivent très aisément" aux Antilles. Tu sais de quoi je parle ! Une grève, où quelle soit, peut entrainer de gros débordements lorsque les gens ont le sentiment de ne plus être écoutés (En métropole, ces derniers mois, il y a eu plusieurs séquestrations de patrons, des menaces de faire sauter des usines et le saccage d’une préfecture !!!!). Donc diaboliser plus que nécessaire ce mouvement me semble être une prise de position plus que partisane. Depuis trop longtemps, ce sont ces fonctionnaires qui payent au prix fort (au sens propre) les dysfonctionnements socio-économique de la Guadeloupe. Et contrairement à ce qui tu dis, les instit ne vivent pas mieux qu’en métropole, bien au contraire, beaucoup se serrent la ceinture pour boucler les fins de mois. La crise a accéléré leur situation, donc pas étonnant qu’ils se rebiffent. C’est le système économique tel qu’il a été maintenu depuis l’abolition de l’esclavage qui doit être changé sans complaisance. L’Etat est le principal responsable, les Békés en ont juste profité en finançant au passage certains partis politiques. Précision : je ne suis absolument pas fonctionnaire de près ou de loin.
Financer un parti ? Une prochaine élection ? Voire pire une prochaine aide généreuse de l’Etat alimentée par cette disparition ?
L’Etat, le plus grand des voleurs, avant ou après les banques, c’est selon…