Premier jour de Bakchich aux Antilles, premières impressions de Guadeloupe. Premier mort du conflit. Première polémique. La journée du 17 février par notre envoyée spéciale.
Actualisation du 18 février à 18h (Paris), 13 h (Pointe-à-Pitre)
12h30. Fin du meeting commun de LKP, UGTG et du collectif Akiyo au Palais de la mutualité. Au menu des discussions des leaders des grèvistes, dont Elie Domota , la mort par balle dans la nuit de mardi à mercredi de Jacques Bino, syndicaliste. La version unique de la préfecture, largement reprise dans les médias, d’un tir depuis un barrage de jeunes n’est pas encore acceptée. Et agace. Le terme de bavure n’est pour l’instant qu’évoqué…
La journée du 17 février
Aéroport de Pointe-à-Pitre, descente tranquille de l’avion à moitié plein. La grève générale en Guadeloupe n’a pas démotivé tous les touristes, venus pour la plupart avec leurs gosses, impatients de voir la mer. Face pile. Ou face. La pièce se retourne en tout cas quand, en route pour le centre de Pointe-à-Pitre, nous sommes obligés de faire slalomer notre petite Clio de location entre les barrages de bouteilles cassées, de poubelles renversées et plus rarement de voitures brûlées. Même sans les immondices, la ville coloniale serait sinistre, les vieux immeubles en béton tombent en ruine, tandis que leurs murs décrépis transpirent d’humidité.
« Pointe-à-Pitre, c’est une ville morte ! », s’exclame un gars en quête d’un briquet pour allumer sa clope.
Comme les boutiques closes et le silence général, une annonce sur la radio RCI (Radio Caraïbes internationale) résume bien la situation : « Pour cause de grève générale, nous ne sommes pas en mesure de diffuser nos programmes habituels ».
Apparemment absents, les Guadeloupéens ne sont pas tous cloîtrés chez eux. Tout se passe autour du Palais de la Mutualité. C’est le lieu de vie politique, où se retrouvent, chaque jour, les grévistes, pour discuter de la situation du département, boire sans alcool, rire et manger aussi. Sur place, un des leaders du LKP, avocat et porte-parole du mouvement culturel Akiyo, Patrice Tacita.
Patrice Tacita milite depuis des années pour que les Guadeloupéens se réapproprient « tout ce qui a été occulté du fait de la colonisation : leur langue, leur poésie, etc. » Radical, il se bat également pour que « la Guadeloupe devienne indépendante », sachant que, précise-t-il, « plusieurs déclinaisons sont envisageables ». « Elle pourrait être fédérale ou rattachée à la Caraïbe ». Mais cette revendication « est très forte, et qu’on soit de droite, de gauche ou d’extrême gauche, ici, tout le monde y pense, comme un simple moyen de vivre mieux ». Encore que 85 % des Guadeloupéens y sont opposés…
Et pour Patrice Tacita, pas question de laisser dire que l’indépendance de la Guadeloupe est ce que souhaite justement le gouvernement. « Sur le plan économique, nous sommes peut-être un coût pour l’Hexagone. Mais la France vit avec cette idée d’être une grande nation. Je crois que sur le plan géopolitique, elle a plutôt intérêt à nous garder ».
Dans la petite salle de réunion, Tacita ne fait pas l’unanimité sur tous les points. Et ses idées, largement respectées, rencontrent celles d’un autre leader du LKP, Jean-Marie Nomertin, le Secrétaire Général de la CGTG Guadeloupe. Aux « métros » (les blancs) qui se disent rejetés voire victimes de racisme à l’envers, Jean-Marie Nomertin répond du tac au tac : « S’il y a bien un peuple qui n’est pas raciste, c’est la Guadeloupe. Nous nous battons contre les profitateurs. Et parmi les profitateurs, on a des blancs, des nègres, des Chinois, des Indiens, et d’autres. »
Parmi les profitateurs, on a aussi Nicolas Sarkozy, de qui « on n’attend rien », ni de son allocution de mercredi soir, « car il ne proposera rien en faveur des salariés ».
Il est 20h30 sur la place du Palais de la Mutualité. A cent mètres, le feu déjà. « Ils ont commencé tôt ce soir », remarque une gréviste, un brin surprise.
« Ils », ce sont « les jeunes dans la merde ». Qu’ils soient compris ou pas, relativement maîtrisés ou totalement incontrôlables, ils foutent plutôt la trouille cette nuit. La consigne du LKP comme des médias qui transmettent le message, rester cloîtré chez soi. Les radios locales donnent, à la seconde, par les auditeurs, les nouvelles des derniers incidents nocturnes : Là « le rond point est en feu », « le centre commercial a subit des dégradations », ici « deux jeunes et deux gendarmes ont été blessés », « on nous signale des tirs », « des détonations partent de tous les côtés ». Des détonations de quel type ? Y a-t-il vraiment eu des balles de tirées ? Oui. Le conflit a fait sa première victime dans la nuit de mardi à mercredi. Jacques Bino, un syndicaliste de l’CGTG, ami de Patrice Tacita, membre d’Akyo, atteint d’une balle en plein thorax, tandis qu’il rentrait chez lui en voiture. D’un tir venu d’un barrage de jeunes…selon la police. L’entourage de la victime et de son accompagnateur est moins affirmatif. « On ne peut pas savoir d’où est venu le tir… »
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Le caractère "accidentel" de cette mort et la version officielle des autorités me rappelle l’affaire de l’explosion AZF à Toulouse en 2001. Le procureur de Toulouse avait immédiatement donné sa version de l’explosion, qui ne pouvait pas être un attentat (dans son esprit on comprenait qu’il ne fallait surtout pas que ce soit un attentat). Bel esprit de recherche de la vérité, qui écarte par principe une piste, sans même l’explorer.
Concernant la Guadeloupe, à entendre la version immédiatement diffusée largement sur les ondes, c’est une balle perdue qui a causé la mort du malheureux.
Et l’enquête, qui permettra d’établir les faits ? On s’en contrefout ?
Ce que je vois, c’est que ce meurtre vient à point nommé pour calmer les esprits surchauffés, et rappeler les leaders du mouvement de contestation guadeloupéen à leurs responsabilités.
Je ne dis pas que le gouvernement ou les grands propriétaires locaux ont payé des tueurs pour lancer un avertissement sérieux au mouvement et l’intimider, car ce serait de la diffamation. En revanche, c’est aussi une piste à explorer.
Toujours tenter de trouver la réponse à la question : à qui profite le crime. Si l’enquête (réellement indépendante) démontre que c’est un accident, cela mettra un terme net à la polémique.
Il y a l’intérêt des dominants qui est de dominer, et qui restera tel tant que nous leur laisserons une prise sur nous
Et puis il y a la surdité des pouvoirs, de plus en plus importante, pris qu’ils sont - prisonniers - du bruit et de la fureur qu’ils ont eux-mêmes engendrés.
Ne soyons pas comme eux ! Ne rendons pas oeil pour oeil, pour ne pas devenir aveugles, mais lançons nos Appels au Monde, humbles et fiers, et expérimentons avec Foi - une foi libre et souveraine - d’autres regards, d’autres contacts, une nouvelle fraternité sans frontières.