Montrés du doigt après les violences qui ont émaillé la grève générale sur l’île, les jeunes Guadeloupéens disent leurs colères et leurs rêves à Bakchich. Récit d’un malaise.
Assise sur un banc en face du port de Pointe-à-Pitre, Katy parle de la discrimination dont les jeunes noirs, comme elle, sont victimes dans les entreprises en Guadeloupe. Elle explique : « C’est à cause des Békés et de ceux que j’appelle les nouveaux békés, qui en contrôlent la plupart… » La conversation s’interrompt. En face, quatre amis lui font des signes. « Il faut rentrer ! » « Déjà ? » « Il est 20 h, c’est le couvre feu, si on tarde, on prend des risques ». Le couvre feu, c’est Domota, le porte-parole du collectif LKP, qui l’a demandé, alors qu’à la nuit tombée, des jeunes commençaient à réinstaller leurs barrages. Ils attendent maintenant que le rouge passe au orange clignotant pour bloquer les routes et peut-être foutre le boxon dans la ville. On ne sait pas. Mais un vent de panique s’est emparé de la foule, rapidement dispersée après la réunion à huis clos (et stérile) entre les leaders du LKP et les représentants de l’Etat. Katy s’en va, bras dessus bras dessous avec son copain. Elle s’éloigne. Nous l’entendons malgré tout murmurer : « J’entends les sirènes, déjà… On verra bien. »
Ici, les jeunes des barricades sont divisés en deux. Il y a d’une part les jeunes défavorisés, d’autre part les exclus.
Petit debriefing, avec un éducateur, Franck Phazian, qui travaille dans les quartiers difficiles de Pointe-à-Pitre (Lacroix, Henri IV, Zamia, Carénage, Lauricisque, Grand Camp) depuis dix ans. « Quand le mouvement a démarré, ça a été un signe d’espoir pour tous ces jeunes “que personne, pas même le LKP, ne contrôle ni ne maîtrise”. Qu’ils soient défavorisés simple ou double, ces jeunes ont vu en Domota un sauveur. Mais les jeunes exclus n’ont pas d’autres moyens que la violence pour s’exprimer. Ils manquent de tout. Ce qu’ils demandent ? La même chose que le LKP, puissance dix. Ce ne sont pas des voyous mais des jeunes perdus qui, souvent, ont passé leur vie entre la prison et la rue, et dont le maître mot est “je n’ai pas de limites”. »
« J’ai mis mon T.shirt de foot, pour qu’ils voient que je suis avec eux », sourit Franck. Il s’éclipse quelques instants, « préparer le terrain », et revient après une demie heure : « C’est bon, deux jeunes acceptent de vous rencontrer. Il ne faut pas traîner, si tu les fais attendre trop longtemps ou si tu leur dis “je viens” et qu’en fait tu ne viens pas, ils n’aiment pas ça, c’est une marque de non respect. »
Après une quinzaine de minutes de marche, nous arrivons à l’orée du bois du quartier Lacroix, une citée HLM probablement construite dans les années 1960. Franck corrige : « On a dû mal à le croire, mais tous ces bâtiments ont été construits dans les années 1990 ».
Nous nous approchons des cinq adolescents amis adossés à un immeuble. Ce coin de rue semble être leur lieu de vie. L’un fume son joint, un autre, assis sur son scooter, récupère un peu de sommeil, tandis que les trois autres discutent, le bras à portée des canettes de bière. Un petit air de Clichy-sous-Bois.
Nous les saluons. Un ange passe. Peut-être sommes-nous trop nombreux, à six ? Le malaise, ce sont surtout les deux Guadeloupéens qui nous accompagnent. « Les noirs peuvent être dangereux », murmure le fumeur, tout aussi noir de peau. Ils sont potentiellement dangereux car ne sont pas journalistes. L’ange qui passe s’éternise. Le refus de nous parler est catégorique. Nous faisons demi-tour, déçus de l’accueil froid.
Comme s’il s’excusait pour eux, Franck explique que leur accueil dépend beaucoup de leur humeur, qui peut se retourner en moins de deux.
Au bout de la rue, le rond-point de « Solitude ». Solitude, le nom d’une statue en contrebas de deux arbres fleuris, au milieu de tas d’ordures ménagères et de carcasses de voitures brûlées renversées.
De l’entrée du déjà vieil HLM qui jouxte la seule pharmacie du coin et probablement de la ville ouverte, un jeune homme passe la tête dans l’encoignure de la porte. Un jeune comme ceux que nous venons de croiser. Contre toute attente, il nous fait signe d’entrer.
Laury est en première année de BTS audiovisuel, il nous confie ses inquiétudes.
« On a entendu des coups de feu la nuit dernière dans le quartier. On peut se faire blesser en allant chercher des médicaments. Le vrai problème, c’est que pas mal de jeunes ici sont armés, et je ne crois pas qu’ils aient des armes à blanc. Je crains pour notre sécurité. C’est pas normal d’être armé comme ça. Il faudrait que Domota prenne le temps de faire un tour dans nos quartiers, pour essayer de convaincre ces jeunes que ce n’est pas en mettant le feu qu’ils trouveront du boulot. Mais avant tout, c’est le problème de fonds, celui du chômage, qui doit être réglé. On pourrait fabriquer des parfums, vendre des épices, on pourrait faire toute sorte de choses en Guadeloupe. »
Direction le quartier populaire de Chauvel, où des barrages de cars brûlés renversés bloquent l’entrée de la rue principale. Deux jeunes reconnaissent l’ami qui nous accompagne, et nous ouvrent le passage. Au bout de la rue et de part et d’autre des barres de HLM, a été construit un cabanon, où un groupe de jeunes hommes jouent aux dés, sirotent du mousseux et discutent en écoutant Jégo à la radio.
« Le problème, c’est qu’on n’a pas de boulot, on n’a pas de formation, on vit avec le RMI et de débrouillardise, de petits boulots à droite à gauche. On a besoin que monsieur Sarkozy apporte des solutions ici en Guadeloupe. Donnez-nous du travail, m’sieur le Président ! ». Pas de travail, comme 55,7 % des jeunes en Guadeloupe.
Pour eux, les 200 euros ne changent rien. « Je ne me sens pas concerné », indique l’un d’eux. Mais, poursuit-il, « Domota, on adhère à ses idées, Domota, il me fait un peu penser à Malcom X ! » Ce qui ne suffit pas à les faire venir à la marche prévue demain, à la mémoire de Jacques Bino : « On n’ira pas, le gars qui est mort, c’est un accident collatéral, c’est tout. »
Un vieux médecin, blanc et paniqué, déboule devant nous. Il s’adresse aux jeunes. Désolé de les « importuner en pleine conversation », il explique qu’il doit passer à tout prix, juste pour faire son travail, soigner des gens. Et les gars disent oui, bien sûr. Celui qui a l’air d’être un peu le meneur du groupe interpelle un de ses colocataires : « Eddy, c’est toi qui gère les scooters, tu veux bien conduire le docteur jusqu’à l’hôpital ? » Eddy fait mine d’hésiter : « Mmmm, ça dépend, c’est une femme ou un mec le docteur ? » Ce qui fait rire tout le monde.
Ce ne sont pas ces mecs là qui brûlent des voitures la nuit, eux construisent des barrages, c’est tout.
Lire ou relire dans Bakchich :
Merci d’avoir fait le déplacement pour mieux rendre compte des évènements.
Je ne peux m’empêcher de recommander à vos lecteurs d’autres sites d’information :
http://www.bondamanjak.com/
http://www.caribcreole1.com/accueil-cc1.php
Bonne continuation
c’est terrible quand nos bons sentiments ne nous mènent pas jusqu’à l’autre, votre article est bien plus révélateur que vous ne pensez. la façon dont vous parlez de ces jeunes est hallucinante, on dirait que vous allez rencontrer des extra terrestres, notez bien que l’idiot d’éducateur n’explique pas le comportement des jeunes par la raison et triche stupidement avec 1 tshirt de foot, vous allez rencontrer des jeunes avec ce guignol ? ça part mal. ensuite ils vous testent rapidement pour voir si vous êtes racistes en observant votre réaction à une injonction paradoxale qu’il faut se méfier des noirs alors qu’ils le sont, pour voir votre réaction
et là le courant ne passe pas, même les journalistes de bakchich sont chargé du poids historique des injustices, journaliste à bakchich est encore un costume trop proche des nazis tropicaux pour pouvoir parler aux jeunes pauvres ? c’est étonnant, le malentendu est immense
en vérité vous avez en face de vous des descendants d’esclaves et vous ne savez pas quoi leur dire, vous n’êtes pas clairs par rapport aux bourreaux, exploiteurs, tortionnaires, esclavagistes, racistes, vous avez en face de vous les descendants des victimes d’un crime immense, d’une injustice insoutenable et vous ne savez pas quoi leur dire, eh bien dites leur ça, je ne sais pas quoi vous dire, nous venons de tellement loin, je comprends que vous foutiez le feu, je crois qu’il faut foutre le feu, fais moi fumer petit.
Au Pape dur et si gai, une seule manière de nous apprendre, c’est d’y aller à la place de l’éducateur.
Sinon s’abstenir de mots inutiles et blessants.
je peux pa remplacer chaque con mais c’est 1 con pour ça :" J’ai mis mon T.shirt de foot, pour qu’ils voient que je suis avec eux, si tu les fais attendre trop longtemps ou si tu leur dis “je viens” et qu’en fait tu ne viens pas, ils n’aiment pas ça, c’est une marque de non respect. » et de ça :"Comme s’il s’excusait pour eux, Franck explique que leur accueil dépend beaucoup de leur humeur, qui peut se retourner en moins de deux."
je dois humblement reconnaître que je serais bien emmerdé si je devais travailler pour l’état français dans une non ex colonie, proposez-moi un job à l’anpe locale, non je ne voulais donner une leçon qu’aux journalistes.
L’école publique laïque obligatoire est bien implantée dans ce département qu’est la Guadeloupe, non ? Car c’est le 1er étage de l’ascenseur social et il a du mal a décoller quand on reste dehors la nuit à glander au lieu de bosser. Faut bien se foutre ça dans le crâne.
La situation aux antilles ne rends pas le métropolitain vivant ou ayant vécu en banlieue incompréhensible… De jeunes qui s’auto accablent en groupe et en nourissent une rancoeur de meute au parcours bien traçé : Une vie entre cité et prison… tandis que d’autres savent rester en dehors de ça et sortir de cette merde.
Les patrons ne sont pas le RMI donné sans contrepartie et avoir une valeur ajoutée pour un patron ne se travaille pas la nuit en pied d’immeubles.