Chaque lundi, Jacques Gaillard plonge dans son dictionnaire personnel et déshabille un mot à la mode.
Rhéteur, n. m. : brillant causeur
La classe politique a depuis vingt ans abandonné l’imparfait du subjonctif à Le Pen, qui lui-même n’en fait plus grand usage pour cause de proche péremption personnelle.
Sinon, nous pataugeons dans la jungle stylistique de nos quinquagénaires qui, à l’exception notable d’Arnaud Montebourg (il énerve, du reste, avec son lexique abscons et ses métaphores filées en cul-de-poule), parlent français comme des cochons.
En tout cas, dès qu’il y a des micros : peut-être, dans le déduit, enfilent-ils les conditionnels passés deuxième forme comme des perles précieuses, afin d’exprimer leurs regrets, vocation de ce temps et de ce mode. Hélas, de nos jours, les politiques n’ont pas de regrets, ils n’ont que des lacunes.
On a raillé le parler nasillard et lexicalement ravagé de Ségolène Royal, qui préfère désormais la rhétorique des robes calculées et des messages apostoliques. Notre Président exhibe une gestion très confuse de la syntaxe, et ne se risque pas à bâtir ce qu’on appelle une phrase complexe, avec principale, subordonnées et circonstancielles.
C’est la génération disco : Raffarin, fruit de la rock’n roll attitude, s’appliquait encore, comme les paroliers des regrettées "Chaussettes noires", à être percutant sans trop heurter Grévisse. Même Jospin, froid et gaffeur, fuyait solécismes et vulgarité. Tout est parti en vrille quand on a préféré tortiller son cul plutôt que d’enchaîner les figures du « bop », dont la rhétorique n’est pas si simple.
La rhétorique présidentielle, depuis deux ans et demi, c’est la répétition : sa figure reine est l’anaphore (ou : retour en arrière répétitif), particulièrement avec, au refrain, « Moi, je » - suivi d’une assertion prétendument définitive ou une promesse, comme ces coups de cymbales qui, au cirque, ponctuent les tours des petits chiens savants. On répète tout (et même les discours aux bouseux !), deux, trois, douze fois. Mais de raisonnement, de démonstration, d’argumentation, point (lever les sourcils en accent circonflexe, bouche ouverte, avec l’air ahuri qu’on prête aux innocents invoquant l’évidence, ce n’est pas argumenter).
Obama, bon orateur, passe pour un rhéteur parce qu’il fait des phrases de plus de trente mots.
Pesez celles de Sarkozy : ses « plumes » savent bien que leur poulet ne vole pas bien haut, et que son public se contente de peu. Cela dit, à la tribune, il ressemble de plus en plus à Louis de Funès : faute de rhéteur, on a un acteur. Encore un pas en arrière, et c’est le pétomane.